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Si vous cherchez une bonne biographie d’Hitler, celle de l’historien Allemand Volker Ullrich intitulée “L’ascension 1889-1939” ne manquera pas de vous captiver. Ian Kershaw nous avait déjà proposé un remarquable travail sur le sujet, très axé sur le personnage d’Hitler, Ullrich examine, de son côté, avec beaucoup d’acuité l’univers intime et le domaine politique où celui qui allait devenir le Fuhrer exercera son talent maléfique. Près de mille pages accompagné d’un solide appareil de notes rejeté à la fin du second volume. Ce n’est cependant
que la première partie d’une biographie qui devra se prolonger sur la période qui englobe la seconde guerre mondiale jusqu’à la mort d’Hitler.
Volker Ullrich explique dans sa préface qu’il est indispensable de présenter Hitler comme un représentant de la communauté humaine. Pour lui on commet un grave erreur en croyant que le criminel du siècle était forcément un monstre. Cette tendance diabolisante a longtemps dominé la recherche historique autour du personnage Hitler. Reste que faire le portrait d’Hitler en tant qu’être humain ne revient pas, évidemment, à éveiller des sympathies pour lui ou a fortiori banaliser ses crimes.
Cette première partie traite de l’ascension d’Hitler et son intérêt tient au fait qu’il met en exergue qu’il ne s’agit pas d’une suite de succès ininterrompue. Volker Ullrich montre au contraire que la carrière d’Hitler a été constamment menacée d’échec, et de la manière la plus significative après le putch raté de novembre 1923 et la défaite électorale désastreuse de 1932. Ce que met en lumière l’historien allemand c’est que le chemin vers le pouvoir d’Hitler ne fut en aucun cas irrésistible : en 1933 encore on aurait pu empêcher sa nomination au poste de Chancelier du Reich. Il doit beaucoup au fait que ses adversaires politiques le sous estimaient.
Cette première partie constitue un portrait historique qui sort des vieux réflexes analytiques qui ont caractérisé la recherche historique dans ce domaine depuis une quarantaine d’années. Ce travail historique est l'œuvre d’une vie qui nous renseigne beaucoup sur la nécessité de rester vigilant face à la montée de certains périls politiques.
Les éditions Métailié ont le chic pour dénicher des polars méditerranéens d’une incroyable puissance narrative et d’une grande inventivité. C’est le cas du roman “Kadhafi, le foot et moi” un roman noir italien qui plonge le lecteur au début des années 80 à Turin au moment où les brigades rouges rendent leur dernier souffle . Luca Masali, qui est surtout connu en Italie pour ses ouvrages de SF, met en lumière un personnage haut en couleur, Giovanni Oddone, un peu souteneur et très dealer dont les deux passions sont le football et les voitures. Il faut dire que Turin
a le mérite de pouvoir conjuguer les deux puisque la cité du Piémont accueille à la fois le siège de la FIAT - qui soit dit en passant porte le nom de la ville dans son acronyme – et deux équipes de football de première division : La Juventus et le Torino, les meilleurs ennemis du monde sur le plan footballistique.
Giovanni Oddone va rapidement se retrouver dans une sale affaire de terrorisme avec laquelle il n’a pas grand chose à voir mais disons que les circonstances sont tout simplement accablantes. Voilà à quoi peut mener d’avoir à faire à des brigadistes à la petite semaine et à cette époque, en Italie, la Justice ne faisait pas de cadeau à ceux qui étaient, de près ou de loin, impliqué dans une affaire terroriste. Oddone se retrouve incarcéré. Mais le personnage est si mégalomane qu’il va imaginer depuis sa cellule une invraisemblable arnaque impliquant la FIAT, l’équipe de football du Torino et le colonel Kadhafi. L’homme est inventif et quel meilleur alibi que d’opérer depuis une prison… Mais les adversaires ne manquent pas que ce soit la police ou pire, la Mafia.
Luca Masali – remarquablement traduit par Serge Quadruppani - réussit avec “Kadhafi, le foot et moi” un roman picaresque qui hésite entre la farce, la comédie et le roman noir à l’italienne. On prend beaucoup de plaisir, on s’amuse mais on reste prisonnier d’un suspense qui durera jusqu’au dernier chapitre. Une très belle découverte.
Archibald PLOOM
En France quand Fred Vargas vend 100 romans, Anna Gavalda en vend 26 et Virginie Despentes 31. Hormis le fait qu’on pourrait se dire que les écrivaines dominent la littérature française - mais ce serait prendre l’actualité littéraire du moment pour la photographie d’une réalité pourtant bien masculine - la véritable question tient en quelques mots : pourquoi Virginie Despentes n’est-elle pas en tête des ventes? Car le phénomène littéraire c'est elle ! Despentes a su imposer un style néo punk qui ne consiste pas seulement à écrire avec une épingle à nourrice dans
le doigt. L’écriture Despentienne même si elle s’est un peu assagie conserve cette puissance célinienne qui emporte tout sur son passage pour le plus grand plaisir du lecteur. L’oeuvre de Despentes est sans doute ce qui est arrivé de mieux à la littérature française depuis vingt ans. On est très loin des romans germanopratins qui lisent les lignes de la main des névroses de la France qu’ont dit d’en haut. Despentes a toujours été du côté des vaincus et c’est ce qui fait la force de son écriture.
La trilogie “Vernon Subutex” se referme désormais sur un dernier volume qui débute sur la rage de dents de Vernon l’ancien disquaire devenu le gourou d’une petite communauté nomade qui se nomme elle même “le camp”. La cohorte de paumés ou d’originaux qui entourent Vernon ont fait de lui leur directeur de conscience, le révélateur de leur meilleure part. En trois tomes Despentes réalise une série de portraits des bas et hauts fonds de la société de ce début de millénaire. On retrouve avec bonheur certains personnages haut en couleurs et aux obsessions itératives. L’ensemble constitue une saga de plus de mille pages d’une rare efficacité narrative dont on taira la ligne générale pour ceux qui n’y ont pas encore mis le nez mais le déferlement de rock qui hante chaque chapitre renvoie à la passion de l’auteure pour la musique, ce langage universel qui constitue sans doute la meilleure religion pour l’humanité.
La vie de la petite communauté est croquée avec un talent et un réalisme à la croisée de la sociologie, de la critique des idéologies et de la psychologie des moeurs, le tout mélangé avec un bâton de dynamite dans un bain d’acide. Le seul reproche au terme des 1200 pages tient sans doute à l’idée générale qui sent sa thèse complotiste : au fond les crises économiques, le terrorisme et tout ça … c’est une organisation générale que les plus riches ont conçu pour mettre les crevards - c’est à dire la majorité de la population - au pas. C’est un peu fatiguant à la longue ce type de théorie mais bon, c’est un peu comme le naturalisme, il y avait pas mal d’élucubrations pour un peu de vérité mais à la fin on pouvait lire de la bonne littérature. C’est la méthode des orpailleurs et finalement celle de Despentes : transformer des quantités de saloperies humaines en or littéraire.
Archibald PLOOM (CULTURE-CHRONIQUE.COM)
Voilà un roman qui va surprendre. “Maîtresses femmes” est une oeuvre à la fois déstabilisante - pour les hommes - et stimulante - pour les femmes. L’écrivain islandais, Steinunn Sigudardottir, nous propose une fable bien de notre époque où le désir et la sexualité féminine se taillent la part de la lionne. Maria Holm est une vulcanologue islandaise, une sommité dans son domaine, qui se rend en France pour un congrès de vulcanologie. Dans l’avion entre Reykjavik et Paris elle croise Gemma , une belle italienne qui ne va pas tarder à lui faire des avances. Maria
qui se pense positivement hétérosexuelle refuse d’abord les propositions de l’envoutante italienne puis finit par lui céder à Paris.
Ceux qui imaginent qu'il s'agirait d’une oeuvre polissonne où la froide islandaise serait dégelée par la brûlante méditerranéene en seront pour leurs frais car “Maîtresses femmes” est bien plus qu’un long glissement vers une autre sexualité. Gemma ne va pas seulement séduire Anna, elle va lui révéler une vision de l’avenir des femmes dans la société tout à fait originale. Certes les hommes en prennent pour leur grade mais il faut reconnaître que beaucoup de ses arguments font mouche. “ Je n’étais pas vieille quand je me suis rendu compte que les hommes sont, au meilleur des cas, un fardeau pour les femmes et au pire, de vraies bêtes féroces pour quelques unes, et ce dans le monde entier. Tout a concordé quand j’ai commencé d’y voir clair. Les hommes sont des destructeurs. Ils violent femmes et enfants, font mourir des millions d’hommes dans des fours à gaz et les goulags. Ils anéantissent la nature, les forêts vierges comme les hauts plateaux islandais, ils empoisonnent le monde et remplissent terres et mers de déchets, radioactifs au besoin. Ils se comportent comme si nous avions un jeu de planètes à notre disposition, où déménager quand nous aurons définitivement bousillé notre terre. Et cette heure approche.” Les desseins de Gemma vont évidemment bien au delà de son seul désir pour Maria Holm.
Ce roman truffé de pointes d’humour et de sarcasmes bien sentis se montre tout à fait rafraichissant. La rencontre entre les deux femmes offre une méditation passionnante sur des thématiques qui se concentrent sur la vie des femmes et la place qu’elles occupent dans la société. “Maîtresses femmes” est bien plus qu’un roman, c’est une oeuvre à la fois poétique et profondément philosophique qui vaut vraiment les heures de lecture que vous lui consacrerez.
Apolline SEGRAN (CULTURE-CHRONIQUE.COM)
Depuis “1984” d’Orwell la question de la surveillance des citoyens reste un sujet de prospective intellectuelle qui passionne les écrivains. “IDP 37” de Mathieu Neu se présente comme une nouvelle proposition romanesque sur cette thématique. Le titre est déjà une énigme en soi et le récit commence sur un mode assez festif mais en vérité la fête ne va pas durer très longtemps pour Paul, le personnage principal d’”IDP 37” . Paul est dessinateur de presse et chacun sait que c’est une profession où l’irrévérence est tenue pour une qualité professionnelle.
Le roman débute par une soirée masquée où Paul est invité. Il va faire la rencontre d’une jeune femme qui ne dévoilera jamais son visage mais se montrera d’une curiosité insatiable à son sujet. A la fin de la soirée elle disparaît sans même laisser un numéro de téléphone. Paul va tenter de la retrouver et son enquête va dévoiler des secrets sur la société dans laquelle il vit et ces derniers sont très inquiétants. Petit à petit il va découvrir que son environnement ne correspond pas exactement à ce qu’il pensait. C’est le moment où le roman commence à glisser vers la dystopie. Paul s’aperçoit que le gouvernement a développé une véritable surveillance de masse. L’administration a créé un indice de personnalité – le fameux IDP - et plus ce dernier est faible plus le citoyen est considéré comme un rebelle à surveiller de très près. L’IDP de Paul et de 37 ce qui équivaut à un score plancher. Du coup il se sait observé en permanence.
Mathieu Neu renouvelle avec beaucoup de talent le genre dystopique sur les sociétés de surveillance de masse. Evidemment le roman propose plus qu’un récit bien ficelé sur un sujet vieux comme les institutions politiques. Neu engage aussi une réflexion sur certaines dérives dont peuvent être victimes les démocraties. En plein état d’urgence ”IDP 37” constitue une excellente piqûre de rappel sur une question qui restera toujours d’actualité.
Archibald PLOOM (CULTURE-CHRONIQUE)
Depuis des années la réflexion sociologique de Nathalie Heinich irrigue les sciences humaines d’analyses renouvelées sur l’art contemporain, le statut de l’artiste, la reconnaissance littéraire où encore l’identité féminine. Son oeuvre, à travers une alternance d’ouvrages de recherche et essais, Nathalie Heinich nous propose une pensée féconde et éclairante où la question des valeurs est première. Prolongeant le travail de Pierre Bourdieu tout en prenant certaines distances avec son maître - dont elle a su, soi dit en passant, interroger avec beaucoup d’intelligence
sociologique dans “Pourquoi Bourdieu” le statut d’ousider que ce dernier faisait de lui-même - Heinich revient avec “Des valeurs” sur le point nodal de son travail et de son oeuvre.
Le projet d’Heinich est inédit tant par rapport à la tradition philosophique qu’à la tradition sociologique car elle fait appel à deux niveaux d’énonciation : normatif et constatif mais aussi analytico-descriptif . Si la “valeur” est bien l’objet d’étude, c’est dans la discipline de la sociologie que s’inscrit ce projet. Comme le formule la chercheuse : “Quels que soient les matériaux utilisés (corpus littéraires ou archives historiques, articles de presse, entretiens, observations, questionnaires statistiques), l’important est que l’on exerce pas une activité intellectuelle uniquement spéculative , comme dans le cas de la philosophie, mais que l’on raisonne à partir de l’expérience effective.” Travailler sur “le rapport aux valeurs” exigera aussi de se détacher de la philosophie morale qui prétendrait énoncer ce que seraient les vraies valeurs.
En disciple de Max Weber Nathalie Heinich nous propose une approche plutôt désenchanteuse mais le rôle du sociologue n’est-il pas de nous arracher à une métaphysique qui ne dit pas son nom au profit d’un accord raisonné entre les humains. Le lecteur est invité à se plonger dans l’étude de l’activité normative ou axiologique autour de la question de la production du jugement de valeur, il pourra ainsi comprendre à quelles règles sociales dans ce domaine obéissent les humains. Dans une première partie Nathalie Heinich définit ce qu’est exactement un jugement de valeur à travers les diverses modalités de l’opinion, dans la partie 2 est consacrée aux trois sens du mot valeur - la grandeur, le bien, le principe - enfin la troisième partie traite des valeurs en tant que principe de jugement et permet de dégager une “grammaire axiologique” commune. Un ouvrage indispensable dans son domaine.
Archibald PLOOM (CULTURE-CHRONIQUE)
“L’arithmétique du mal” de Raphaëlle Eschenbrenner nous propose une vision sans concession de l’Amérique profonde, celle qu’un lecteur français ne peut pas imaginer. Ethel est française et vit aux Etats-Unis, jusque là rien de très exceptionnel mais les choses deviennent plus intéressantes quand elle se rend dans la banlieue d’Indianapolis au coeur du Midwest pour un contrat de quelques mois de peintre en bâtiment. Pour Ethel c’est une nouvelle vie qui commence, elle va devoir s’adapter aux moeurs locales, à un travail en équipe et à la monotonie d’une existence
d’où la fantaisie est totalement absente, c’est sans doute tout l’intérêt du roman.
Raphaële Eschenbrenner place habilement un regard hexagonal en plein coeur d’une Amérique qui vit à des années lumière de la Maison Blanche. Evidemment Indianapolis n’est pas une ville anecdotique mais il en existe des dizaines de répliques aux Etats Unis et c’est exactement la même chose pour les suburbs qui se ressemblent toutes. Ethel nous permet de découvrir l'Amérique des classes populaires très loin d’un “way of life” qui ne fait plus recette. Ce n’est pas, en effet, leurs maigres revenus qui leur permettent de rêver à une vie meilleure. Eschenbrenner décrit une société où le modèle social est totalement en panne et où l’espoir à reflué comme la mer les jours de grandes marées. Son personnage travaille dans un lieu de démesure, la réplique d’un château français qu’un milliardaire ce fait construire, c’est là tout le paradoxe de la société américaine : d’un côté la folie architecturale de celui qui peut tout se permettre – au bas mot deux mille six cent mètres de surface habitable - , de l’autre des êtres qui misent à la lisière du déclassement. Ethel découvre les préjugés de race, la violence, la débine et l’isolement dont sont victimes ceux avec qui elle partage ses journées de labeur. Le plus inquiétant tient sans doute au fait que personne ne semble s’offusquer du malheur qui prend les uns et les autres à la gorge ; le lecteur comprend que le déni s’incarne en chaque être comme la manifestation d’un refoulement général. Ethel observe ce monde avec les yeux du Candide qui prend progressivement conscience qu’il ne vit pas dans le meilleur des mondes.
"L'arithmétique du mal" est un roman impitoyable que l'on reçoit comme une gifle et qui laisse au lecteur un goût de sang dans la bouche. L’écrivain a su prendre cette Amérique du Midwest sur le vif à travers la peinture d’être ordinaires aux prises avec diverses formes d’insécurité. D’évidence le modèle social américain est à bout de souffle mais personne ne le remet en cause. C’est tout la force de ce roman : mettre à nu l’évidence de ce qui est tu. A lire de toute urgence !
Archibald PLOOM (CULTURE-CHRONIQUE.COM)
Tout le monde connait la première épouse de Napoléon, Joséphine de Beauharnais, personnage emblématique du premier Empire, mais peu connaisse, sauf évidemment les spécialistes de l’Empire, le nom et la personnalité de la seconde épouse du vainqueur d’Austerlitz et la mère de l’Aiglon. A son sujet les adjectifs dépréciatifs ne manquent pas. Les historiens ont généralement présenté Marie-Louise de Habsbourg-Lorraine comme une jeune fille un peu bête élevée à la cour d’Autriche dans la haine de Napoléon. Mais comme le souligne Charles-Eloi Vial dans sa biographie intitulée
“Marie-Louise” quand à 18 ans elle va être mariée à l’empereur des Français, la capitale de l’Autriche a déjà été occupée deux fois par les français. Entre 1810 et 1814 la jeune princesse a dû coup sur coup quitter sa famille pour un parfait inconnu, apprendre à diriger la cour d’un pays étranger, devenir mère et épouse modèle, comprendre un Empire de 130 départements bientôt envahi par un million de soldats ennemis, avant d’être détrônée et renvoyée chez son père entre deux piquets de gardes autrichiens.
Vous l’avez compris l’ouvrage de Charles-Eloi Vial est loin d’être un dossier à charge, c’est au contraire un vrai livre d’histoire qui recompose l’histoire d’une femme à qui le destin s’est imposé de la manière la plus brutale qui soit. L’historien tente de saisir la psychologie d’une jeune fille qui joua son rôle le mieux qu’elle le put tout en tenant son rang. C’est un livre important car le matériau historique sur Marie-Louise de Habsbourg-Lorraine a été complètement éparpillé depuis sa mort. Les sources se trouvent désormais en Italie, en France, en Autriche, aux Etats-Unis ou au Brésil. Marie-Louise depuis sa plus tendre enfance a entretenu une correspondance abondante et rédigé quantité de journaux intimes
Le travail de fourmi qui explore des archives inédites de Charles-Eloi Vial nous permet de reconsidérer complètement ce personnage trop longtemps négligé et qui su se montrer parfois très adroite dans des circonstances auxquelles elle n’avait guère été préparée. Une biographie importante.
HUGUES DE SINGLY (CULTURE-CHRONIQUE.COM)
Les Français ont un rapport très ambivalent à la guerre. Historiquement il faut certainement en chercher la raison dans les circonvolutions de la nation française lors de la période révolutionnaire. On passe rapidement de la “Déclaration de paix du monde” du 22 mai 1790, vision généreusement pacifique de l’avenir de l’humanité, à la déclaration de la guerre totale et révolutionnaire au nom de la liberté le 15 décembre 1792. Les révolutionnaires français passèrent de l’idéalisme à une vision beaucoup plus pragmatique de la guerre seulement en quelques mois. Pourtant
cette ambivalence a demeuré depuis, les français parviennent à se poser comme les premiers défenseurs de la paix tout en s’engageant sans hésiter dans des conflits armés : guerre de 1870, conquêtes coloniales, décolonisations, guerres mondiales. L’armée française est devenue une habituée des opérations extérieures (OPEX) depuis plusieurs décennies.
L’ouvrage de François Cochet “Les Français en guerres” revient avec beaucoup d’acuité sur un siècle et demi d’évolution dans le domaine militaire qui pourrait se résumer en une formule : “ Les français n’aiment pas la guerre, mais ils la font souvent.” Où l’on voit la notion de bataille - qui comme le théatre classique respecte une unité de lieu, de temps et d’action - encore valide en 1870 se diluer dans la guerre moderne où le combat devient quotidien et peut durer plusieurs semaines où plusieurs mois.
La troisième partie du livre de François Cochet est particulièrement intéressante car l’historien se place au niveau des combattants, des hommes du terrain où l’on se bat, souffre et meurt. Il pointe que si les hantises des combattants engagés au feu restent les mêmes depuis l’Antiquité, les modalités des engagements ont évolué dans des proportions gigantesques depuis la guerre de 1870, en lien avec la technologie des armes et leur létalité mais aussi en fonction des moyens d’appuis dont disposent désormais un soldat en action sur le terrain.
“Les Français en guerres” permettra aux lecteurs, passionnés par les évolutions des conflits dans lesquels l’armée française est impliquée depuis des décennies, de se faire une opinion. Nourri des recherches les plus récentes et de sources inédites l’ouvrage est passionnant de bout en bout.
Hugues DE SINGLY (CULTURE-CHRONIQUE.COM)
RECOMMANDÉ PAR CULTURE-CHRONIQUE
Heinz Guderian est considéré comme le père fondateur de l’arme blindée allemande et sans doute l’un des plus grands spécialistes de la guerre de mouvement. Grand lecteur des textes sur la puissance mécanique de De Gaulle, Guderian aura ,à la différence du français, les moyens de ses ambitions. Il dut cependant se battre pour constituer les divisions blindées qu’il imaginait pour la Werhmacht. Ce général emblématique des grandes campagnes militaires de la seconde guerre mondiale en Europe avait un sens aigu de l’organisation des forces blindées dans le dispositif d’une bataille terrestre.
Guderian eut le mérite de noter ses impressions depuis l’accession d’Hitler au pouvoir jusqu’à la fin de la guerre dont il fut l’un des héros lors des premières campagnes et jusqu’à l’embourbement en Union Soviétique. Il écrit “Je me suis efforcé de narrer ce que j’ai vécu.” C’est ce qu’il va faire pendant des années. Des documents de première main que l’historien Benoit Lemay a mis en ordre et qu’il contextualiste avec beaucoup de rigueur. Il montre que contrairement à une opinion trop souvent admise, le haut commandement de l’armée auquel Guderian appartient, a joué un rôle décisif dans la préparation des guerres d’agression d’Hitler en fournissant à celui-ci des plans de campagne, anticipant même parfois ses désirs. La présence de l’historien permet de mettre en lumière les contradictions de Guderian qui recompose les événements sous un jour plus favorable. Ainsi laissa-t-il entendre après la guerre que c’est à la veille de l’offensive de Pologne qu’il fut informé alors même que la campagne était planifiée depuis fort longtemps et connue par les hommes de son grade. Il en a été de même pour l’opération Barbarossa. Mais contrairement à ce qu’affirme Guderian dans ses mémoires, il n’est pas vrai qu’il ne fut informé de l’attaque contre l’Union Soviétique à la mi-novembre 1940 et qu’il eut à ce moment là protesté avec énergie contre la perspective d’une guerre à deux fronts. C’est exactement là que se situe le travail de l’historien, écarter les imprécisions volontaires des acteurs de l’histoire et conserver la vérité des faits.
Ces souvenirs de Guderian permettent de saisir la réflexion d’un soldat qui fut l’un des génies militaires de son époque mais qui tentera plus tard de se replier derrière ses seules compétences militaires en fuyant devant ses responsabilités quant à ses complicités avec certains crimes de la Wehrmacht en Union Soviétique et en Pologne. Un document important et éclairant.