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On se souvient d'‘”Alger la Noire” où Maurice Attia ravivait les fantômes de la guerre d’Algérie, un roman noir qui marqua les amateurs du genre et qui fut largement récompensé quelques mois après sa parution. Attia est désormais de retour avec “La blanche caraïbe”, titre aussi antithétique qu’ironique qui constitue l’une des marques de fabrique d’un écrivain dont l’activité dans le domaine psychanalytique manifeste un goût évident pour les possibilités qu’offre le langage. La pétition de principe d’Attia en dit d’ailleurs long sur son expérience
de l’existence : “On ne change jamais vraiment… Au mieux on explore des territoires encore vierges de sa carte du monde, au pire les marécages de son histoire… La vie est une suite d’emmerdements avec quelques moments paisibles que les gens appellent bonheur.” Pour un type qui a vu défiler des bataillons d’humains sur son divan c’est un résumé édifiant.
“La blanche caraïbe” nous donne l’occasion de retrouver Paco qui a quitté la police , sa complice et enfin épouse, Irène, et l’Arménien de Marseille, Khoupi, qui fut son collègue mais reste indéfectiblement son ami. L’une des constante dans l’art romanesque d’Attia tient aux liens très forts qui unissent Paco et son entourage comme si au fond l’expérience du psychanalyste débouchait sur une vérité finalement assez simple : rien de mieux que les fidélités que nous tissons dans nos vies…
Nous sommes en 1976 et Paco est devenu chroniqueur judiciaire et critique de cinéma pour “Le Provençal”. Il profite avec Irène d’une existence plus paisible qu’auparavant mais le passé va se rappeler cruellement à lui. Khoupi est en effet au coeur d’une sale affaire qui mêle magouilles immobilières, trafics et corruption. Pour ne rien arranger son ancien collègue a sombré dans l’alcool depuis qu’Eva, sa compagne, la quitté. Ajoutez une bonne dose de rhum, de sexe, de sorcellerie et vous obtenez une affaire complètement folle qui va obliger Paco à reprendre du service. Le paradis des Antilles devient à travers la prose d’Attia un marigot de la République où pataugent toutes sortes de créatures aussi peu recommandables que fréquentables. C’est acide, parfois brutal mais d’un réalisme à couper le souffle. Un roman qui tient ses promesses mais vous laisse les mains sales.
Archibald PLOOM
Le Gouiran nouveau est arrivé! C’est toujours avec grand plaisir que les lecteurs de cet auteur aussi prolixe qu’inventif découvrent son dernier petit noir. On se souvient de titres emblématiques comme “Putain de pauvres!”, “Sous les pavés, la rage”, “Maudits soient les artistes” qui ont fait la réputation de l’écrivain. L’une des particularités de Gouiran tient à sa passion pour l’histoire, chacun de ses vingt six romans nous propose une plongée au coeur d’un passé souvent trouble. C’est de nouveau le cas avec “Le diable n’est pas mort à Dachau”qui
voit Henri Majencoules, un jeune mathématicien qui travaille en Californie sur le projet Arpanet – acronyme de “Advanced Research Projects Agency Network » qui correspondait dans les années 1960 aux balbutiements d’Internet - rentre dans son village natal Agnost-d’en-haut en 1967. Agnost est un bourg montagnard du sud de la France très loin d’une Californie innovante du mouvement hippie, de la musique psychédélique, et de la créativité scientifique. Majencoules y revient à contre cœur pour assister aux obsèques de la mère, en présence d’un père taiseux et mutique.
Un événement va cependant bouleverser la vie du petit village car la veille de l’arrivée d’Henri les Stokton, un couple d’Américains et leur petite fille, installés à Agnost d’en haut depuis quelques mois, sont retrouvés massacrés dans leur maison. Henri va alors aider son ami journaliste Antoine Camarro, chargé de suivre le déroulement de l’affaire pour le journal « France Soir », à mener son enquête parallèlement avec celle de la police. L’affaire va rapidement prendre un cours surprenant avec des ramifications étranges qui relient l’horreur des camps de la mort, les expérimentations médicales sur des déportés, la guerre froide qui justifia la récupération des savants Allemands par l’US Army et l’OSS qui deviendra plus tard la CIA. Gouiran nous propose de nouveau un polar hyper documenté, rythmé et efficace qui s’offre même un petit détour par l’affaire du pain maudit de Pont Saint Esprit qui défraya la chronique au début des années 1950. La méthode fonctionne encore à plein avec “Le diable n’est pas mort à Dachau” qui révèle les turpitudes de certains états dans les années qui suivirent la seconde guerre mondiale.
Archibald PLOOM
Nicci French est un auteur bicéphale, une espèce de laboratoire improbable du polar composé d’un couple de journalistes londoniens qui n’ont rien trouvé de mieux que de passer leur temps libre à écrire des thrillers psychologiques. Nicci Gerrard a enseigné la littérature à Los Angeles puis à Londres, avant de se tourner vers le journalisme et de créer une revue artistique. Elle va rencontrer alors Sean French qui ne va pas tarder à devenir son mari et son compagnon d’écriture. Ils ont désormais pas moins de quinze titres à leur actif, autant de thrillers qui ont été
traduits dans le monde entier.
Leur dernière production intitulé “Ténébreux samedi” les deux auteurs remettent en scène la psychothérapeute Frieda Klein qui va se retrouver au coeur d’une enquête complexe alors même qu’au départ elle rendait simplement service à un collègue. Sa mission consistait à effectuer un examen psychiatrique, celui d’Hannah Docherty qui aurait, treize ans plus tôt, assassiné toute sa famille alors qu’elle n’avait que 18 ans. La présumée criminelle a été placée dans un hôpital psychiatrique où elle végète depuis plus de dix ans, traumatisée, victime de maltraitance et d’abus. Malgré un dossier judiciaire accablant Frieda Klein décide de rouvrir le dossier d’enquête.
Les deux auteurs parviennent à construire un climat psychologique particulièrement pesant. Leur enquêtrice va devoir affronter seule une affaire pleine de tension et de terreur. Malgré l’opposition frontale de la police Frieda Klein va poursuivre une intuition très personnelle basée sur des incohérences qui vont rapidement se révéler accablantes. Mais cette nouvelle enquête gêne quelqu’un qui ne tient pas à ce que la vérité du massacre soit finalement révélée. La sophistication d’un récit à la fois troublant et captivant va happer le lecteur jusqu’à un dénouement qui a été longuement préparé par deux maitres du suspense qui savent jouer avec le clavier des tensions et des peurs. Remarquable !
Archibald PLOOM
“Au-delà du raisonnable” éditeur emblématique d’Elena Piacentini créatrice de la série du commandant Leoni vient d’avoir la bonne idée travailler à la réédition des premiers volumes qui avaient été, en leur temps, publiés dans une autre maison d’édition. Rien de moins que les débuts d’un Léoni qui débarque de sa Corse natale avec une solide réputation de flic dur à cuire. “Un corse à Lille” constitue le prélude d’une oeuvre qui va rapidement s’étoffer. Suivront “Art brut” et “Vendetta chez les Chtis” qui ne devraient pas tarder à rejoindre “Un
corse à Lille” dans le rayon polars de notre bibliothèque. Pour les accrocs à cette remarquable série – quoi de mieux qu’un flic corse expédié à la tête de la section homicide de la PJ de la capitale du Nord – la tentation est trop belle de découvrir les premiers pas de Léoni à Lille.
“Un corse à Lille” n’est pas seulement un roman inaugural c’est aussi – et depuis Piacentini nous y a habitué - une excellente enquête de police qui démontre déjà le talent d’un autrice qui sait d’emblée installer une atmosphère qui va rapidement devenir sa marque de fabrique. Pour sa première affaire à Lille le commandant doit rapidement faire ses preuves et au vu de son caractère c’est ce qu’il préfère. Deux cadavres, celui d’une jeune prostituée et celui d’un chef d’entreprise connu pour son management disons musclé, sont retrouvés sans vie. Les enquêteurs de la PJ vont découvrir simultanément les méthodes et le caractère du commandant Léoni.
“Un corse à Lille” installe un personnage hors norme au coeur des paysages du Nord dont la présence va constituer, au fil des parutions, la toile de fond de la série. Piacentini parvient à embarquer son lecteur dès les premières pages dans une affaire nauséeuse et pleine de terreur qui va donner beaucoup de fil à retordre aux enquêteurs. C’est aussi pour l’amateur de roman noir la possibilité de découvrir la genèse d’une oeuvre et d’un personnage devenu, depuis, emblématique.
Archibald PLOOM
Jo Walton compte parmi les auteurs anglo-saxons les plus inspirés dans le domaine de la SF et de la Fantaisy. Notre écrivaine galloise vit au Canada depuis plusieurs années ce qui n’a pas interrompu le rythme de ses publications. Parmi celles-ci il faut absolument lire “Morwenna” manière de mise en abyme inspirée mettant en scène Morwenna Phelps, Mori pour ceux qui la connaissent bien, que son père a placée à Arlinghurst, une école privée qui accueille ses pensionnaires dans une grande et belle demeure victorienne. L’école se dresse isolée au milieu des terrains de sport
et des champs. Mori vient des vallées galloises, plus précisément la Cynon Valley où elle a passé son enfance à jouer dans des ruines qu’elle rebaptisait avec ses amis en leur attribuant des noms évocateurs –la chaumière de la sorcière, le château du géant, le palais de la fée – alors qu’il ne s’agissait en réalité que de friches industrielles.
Mori n’atterrit pas à Arlinghurst tout à fait par hasard, elle est en effet convalescente ayant été victimes quelques semaines auparavant d’un terrible accident dont elle conserve des handicaps. Mais la jeune fille sait s’abstraire de la réalité en s’immergeant dans l’univers de la SF dont elle est devenue une grande spécialiste. Delany, Zelazny, Le Guin, Silverberg et Robert Heinlein font partie de ses auteurs favoris qui l’aident à retrouver courage . Morvenna écrit aussi un journal où il lui arrive de parler aux fées. Elle est en effet entièrement immergée dans le folklore gallois qui avait déjà nourri l’imaginaire d’un auteur comme Tolkien. La mise en abyme consiste justement à proposer au lecteur de lire le journal de la jeune fille de seize ans à mesure qu’il s’écrit : le journal dans le roman qui revient sur les origines de l’écrivain lui-même. C’est très habile et surtout d’une efficacité narrative redoutable.
Quand Mori reçoit une photo brûlée où l’on distingue sa silhouette elle est bouleversée et comprent qu’un grand danger la guette. Celle qui se dresse face à elle est sans nul doute la sorcière la plus dangereuse qui puisse être et cette dernière est décidé à la tuer. Morwenna va devoir faire preuve de courage et d’intelligence face à une ennemie qui va s’avérer n’être autre que sa mère…
“Morwenna” est une oeuvre troublante, profondément psychologique, qui interroge une terre riche en croyances. Le personnage de la jeune fille qui se tourne vers le monde des fées tout en tentant de sauver sa propre vie, manifeste beaucoup des symptôme de l’adolescence parmi lesquels l’obsession de la mort. Le roman qui a été couronné des prix Hugo et Nébula constitue par ailleurs un magnifique hommage à la SF – à noter que le roman est publié chez Denoël dans une collection qui accueille tous les auteurs célébrés par Jo Walton - que les spécialistes apprécieront. Pour tous les autres “Morwenna” sera simplement une remarquable machine narrative, totalement addictive, qui ne vous laissera en paix qu’à la dernière page.
Archibald PLOOM
Antonio Manzini est devenu en quelques années un phénomène éditorial en Italie avec plus d’un million d’exemplaires vendus de sa série mettant en scène le sous préfet Rocco Schiavone. Les deux précédents volumes, “Piste noire” et “Froid comme la mort”, ont installé l’écrivain italien parmi les poids lourds du roman noir de la péninsule. Manzini a construit son style autour de trois piliers : un flic au caractère hiératique, des dialogues vifs qui font rapidement avancer l’action, un goût indéniable pour l’analyse sociale ; trois piliers qui fournissent l’assurance
d’un polar efficace et jubilatoire.
“Maudit printemps” ajoute donc un troisième opus à la saga Schiavone. Où l’on retrouve avec plaisir le fulminant sous prefet dans une affaire qui va rapidement nous plonger au coeur des turpitudes d’une riche famille d’industriels du Val d’Aoste. Pour ceux qui l’ignoreraient le Val d’Aoste est une petite province du nord-ouest de l’Italie jouissant d’un statut particulier au sein du pays. Nous sommes en mai et pourtant il neige sur la région ce qui met Schiavone de fort mauvaise humeur. La disparition de Chiara, étudiante brillante et héritière de la famille Berguet, parmi les industriels les plus riches de la vallée ne va pas tarder à mettre le sous préfet sur la brêche.
La disparition n’est pas signalée par la famille Berguet mais par sa meilleure amie qui s’inquiète de son silence. Schiavone flaire la sale affaire et le moins qu’on puisse dire c’est qu’il ne se trompe pas. Entre coup de sonde sociologique mettant en exergue les tares de la grande bourgeoisie locale et course contre la mort pour le moins palpitante, Manzini porte sa narration au niveau maximum d’ébullition. Ce “Maudit printemps” annonce vraiment un sale temps pour Rocco Schiavone mais son caractère bien trempé aura une fois de plus raison de l’adversité. C’est tout ce qu’on aime chez lui… A lire rapidement et pas seulement au printemps !
Archibald PLOOM
Avec “Park Avenue“ Cristina Alger avait marqué les esprits avec un premier roman très réussi sur le milieu de la finance new-yorkaise. Elle avait déjà su peindre avec beaucoup de réalisme un milieu où les rapports humains se mesuraient en termes de profits, de prises de bénéfices et d’une bonne dose de cynisme. “Père et fils” ouvre à Alger l'exploration d'une facette du roman quand il s’agit d’examiner les mouvements de la conscience humaine. Cette fois l’écrivaine s’intéresse à des priorités qui concernent chacun d’entre nous. Son personnage Charlie Goldwyn
occupe un poste d’avocat dans un prestigieux cabinet à New-York. Il travaille comme une brute depuis la mort de son épouse deux ans plus tôt.
Goldwyn s’étourdit dans une activité, gagne très bien sa vie mais oublie son jeune fils Caleb qui a désormais cinq ans. Pourtant un événement va faire basculer la vie du père et de son petit garçon quand à la suite d’un écart de Goldwyn ce dernier est licencié par le cabinet qui l’employait. Désormais Charlie va devenir ce qu’il n’a jamais vraiment été : un papa. Cristina Alger ne néglige rien de la lumière et des zones d’ombre d’une vie. Pour Goldwyn c’est une transformation complète de ses habitudes, de ses choix et de sa philosophie. Il ne s’agit pas d’une rédemption mais plutôt d’une prise de conscience face à l’inanité de ce que fut son existence antérieure.
“Père et fils” prolonge la réflexion qu’Alger avait débuté avec “Park Avenue“. Ces deux romans interrogent en effet l’Amérique des grands centre ville, celle des décideurs et des gagnants de la mondialisation. Pourtant derrière les réussites qui s’affichent il y a souvent une misère existentielle qui ne dit pas son nom. “Père et fils” suggère qu’une vie vaut certainement plus qu’une série de zéros sur un chèque. Charlie Goldwyn va devenir à sa façon un héros en renonçant à ce qu’on présente comme l’idéal de la réussite américaine; mais après tout être père n’a jamais été une question d’argent…
Archibald PLOOM
Autrefois la littérature consistait à étendre le temps, à le dilater et à le précipiter finalement dans une forme narrative complexe que le lecteur pouvait finalement saisir au terme de sa lecture. “La Recherche” de Proust fut à ce titre le sommet de la littérature dans ce domaine. Mais les temps changent et l’appréhension du temps évolue au rythme de son époque. De nos jours, il serait impossible de publier “La Recherche”, “Guerre et paix” ou “Les Misérables”, on y trouve un temps d’une autre époque, un temps qui traine la patte, un temps paresseux qui
ne fait pas de l’action le dénominateur absolu de l’oeuvre littéraire. Désormais, il faut presser le récit, rebondir, surfer sur la vague de l’action et parvenir rapidement au point final de peur d’ennuyer le lecteur ; au final guère plus de 200 pages calibrées sur le mode d’une série télévisée. On pourrait regretter cette nouvelle donne littéraire qui ne nous laisse guère de repos au terme d’une journée souvent trépidante mais il arrive que cette approche accouche d’un roman aussi efficace que surprenant.
C’est le cas de “Passages du désir” de Cécile Huguenin qui se glisse dans les habits littéraires de son époque avec toute l’élégance de l’oeuvre qui fait mouche dans la simplicité même de sa forme. Huguenin est une écrivaine tardive et dans son cas on peut inverser la formule célèbre : le talent mérite parfois qu’on lui laisse quelques années de plus pour s’épanouir. Son premier roman “La Saison des mangues” avait été salué par le prix Alain Fournier, ce qui pour un coup d’essai est un magnifique coup de maître.
“Passages du désir” tient de la quête et du roman d’apprentissage tout en conjuguant avec beaucoup de finesse les âges de la vie. Le jeune Titus qui vit encore chez ses parents s’est forgé la conviction que le coup de foudre n’est pas déclenché par la totalité d’une personne mais par un détail. Le dessin d’une bouche, le contour d’un oeil, la finesse d’une nuque, le geste d’une main, , le galbe d’un mollet, l’empreinte d’un pied. On peut être foudroyé par une phrase et par le désordre de ses propres émotions. C’est ce qui va lui arriver quand il apprend la disparition de Clara Davidson, la veuve d’un célèbre couturier, qui avait ouvert une maison d’hôte à Zanzibar pour une clientèle essentiellement féminine. Avec tout l’audace de sa jeunesse Titus part à sa recherche. La nature de son périple lui permettra de découvrir celle de ses désirs et de son rapport à la sensualité... Ce récit initiatique réserve de très belles pages sur les mystères du plaisir féminin après soixante ans. Cécile Huguenin opère par petites touches conjuguant à la fois bonheur des mots et pudeur de l’expression quand il s’agit d’aborder les thématiques du désir et de l’exploration des corps. C’est si bien fait qu’on aurait aimé deux cents pages de plus mais ce ne serait vraiment pas de notre époque…
Apolline SEGRAN
Il arrive qu’un récit autobiographique vous touche avec la simplicité désarmante d’un sourire d’enfant. C’est le cas de “La petite Bourrique espagnole” de Marie Dumas Mérida qui relève à la fois de l’autobiographie et d’un questionnement sur la nature de notre rapport à ceux qui auraient dû nous aimer et qui n’y sont pas parvenu. L’auteur, comme le titre le suggère, est fille d’émigrés espagnols et son enfance a été gâchée par un rapport complexe avec une mère qui n'aurait pas du l'être. “ L’idée que vous ne pourrez jamais être “aimable, que vous
ne serez jamais à la hauteur. Le doute qui nait et vous poursuit toujours, vous donnant envie de devenir invisible. Le balancement entre cette envie de disparaître et le besoin d’attirer l’attention pour se sentir exister. Le besoin de rechercher l’amour à tout prix.” C’est justement à la disparition de cette mère qui ne fut guère bienveillante pour sa fille que cette dernière va éprouver le besoin de revenir sur son histoire.
Marie Dumas Mérida va recomposer sous nos yeux le puzzle d'un passé douloureux qui influencera toute son existence. La petite fille mal aimée - elle qui avait porté sa souffrance comme un lourd fardeau - s’est finalement consacrée à la protection de l’enfance. Marie, qui n’a jamais reçu un encouragement de sa mère va déployer des trésors de dévouement et de patience pour aider des enfants victimes de violences physiques mais aussi ceux qui, à son image, souffrent de blessures psychologiques terriblement handicapantes pour leur vie d'adultes.
Au fond la petite Marie devenue grande a cherché cette résilience qu’a théorisé Boris Cyrulnik. Elle a pu en effet à travers ceux qu’on appelle des tuteurs de résilience surmonter les manques profonds de l’enfance, avant de le devenir à son tour pour d'autres. Elle qui écrivait au début de “La petite Bourrique espagnole” qu’elle n’avait aucun souvenir de l’amour de ses parents ou de ses grands parents a réussi à se construire, malgré des peurs et des angoisses, une personnalité qui devint aussi une ressource pour d’autres êtres. Marie Dumas Mérida a su renoncer à une relation apaisée avec sa mère en comprenant que tout ne dépendait pas seulement d’elle, en cela cette autobiographie a valeur universelle. “La petite Bourrique espagnole” est une oeuvre touchante qu'il faut lire comme une oeuvre qui soigne et qui apaise.
Archibald PLOOM
RECOMMANDÉ PAR CULTURE-CHRONIQUE
Dassault est aujourd’hui l’un des plus grands groupes industriels français dont les succès aéronautiques, électroniques et informatiques ne se comptent plus. Du père, Marcel, au fils, Serge, c’est une extraordinaire aventure industrielle qui s’est développée sur désormais plus d’un siècle. Ce type de trajectoire semble une évidence aux béotiens mais en vérité les choses ne sont jamais aussi simples. L’ouvrage éponyme de Claude Carlier, “Dassault”, permet de faire le point sur les différentes étapes d’un développement qui n’eut rien de linéaire mais permet aussi de découvrir une famille au destin exceptionnel.
Marcel Dassault s’est éteint le 22 janvier 1986 à 94 ans. Cet homme qui était né au XIXeme siècle aura tout connu d’un siècle qui sera celui de la révolution des airs. De l’avion de toile de la première guerre mondiale au Rafale qui sera son quatre-vingt-douzième prototype et qu’il inaugurera un an avant sa mort, Marcel Dassault était devenu le symbole d’une success story à la française. La première vie de Marcel Bloch – il faut rappeler qu’il choisira de conserver son nom de résistant, Dassault, après la seconde guerre mondiale - ingénieur aéronautique s’achève en 1945, après avoir été constructeur d’hélices et d’avions pendant la première guerre mondiale, puis commerçant en meubles d’art puis promoteur immobilier jusqu’en 1930 avant de revenir à l’aviation. Il entre après la période tourmentée de la seconde guerre mondiale, à cinquante trois ans, sous son nouveau patronyme, dans la période la plus prolifique de son existence. Il sera tour à tour et simultanément capitaine d’industrie, sénateur, député, patron de presse et s’intéressera avec passion, à la banque, la Bourse, l’architecture et la viticulture. Personnalité totalement atypique il assurera d’une main de fer le développement de ses sociétés tout surmontant toutes les difficultés qui se mirent en travers de son chemin.
Son fils Serge qui va lui succéder n’avait guère les faveurs des politiques du milieu des années 80, pourtant il va réussir à s’imposer au terme d’un bras de fer de plus de six mois après le décès de son père. Né en 1925, polytechnicien et ingénieur aéronautique comme son père, Serge Dassault est certes moins flamboyant que Marcel mais il tracera sa voie avec une détermination sans faille. Il sut faire prospérer la société d’aviation, mais aussi les autres sociétés du groupe Dassault, tout en faisant face à plusieurs crises : industrielles, politiques, judiciaires, médiatiques et familiales.
Claude Carlier parvient à saisir en 400 pages une incroyable saga familiale où se conjuguent ambition, créativité et longévité. L’historien a su puiser dans les fonds d’archives nationaux et industriels pour retracer un siècle d’innovation, de défis, de combats et de réussites à travers les portraits de deux hommes très différents qui contribuèrent chacun à leur manière à la réussite des sociétés qu’ils dirigèrent.
Archibald PLOOM