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Avec ce roman court (à peine plus de 100 pages), Hélène Vignal nous brosse tout en finesse le portrait d’une adolescente en deuil : Claire apprend le décès de Yvan, son meilleur ami, qu’elle avait perdu de vue depuis quelques années suite à la brouille de leurs parents respectifs. Le lecteur partage la douleur de Claire qui souffre de l’absence de l’être aimé subitement disparu. On sait tout des émotions qui submergent littéralement l’adolescente : la colère envers ses parents, pour avoir laissé des « disputes d’adultes » séparer deux âmes sœurs, les remords d’avoir accepté cet éloignement si facilement, les souvenirs de sa vie d’enfant avec Yvan… Tout cela se mêle pour essayer vivre malgré tout, pour s’accepter avec ses blessures inoubliables : c’est le long et difficile travail de deuil qui se fait petit à petit, avec le temps. L’écriture, juste et pleine de sensibilité, adopte le point de vue de Claire pour nous fait percevoir ce vague à l’âme universel que l’on peut ressentir à l’âge de 17 ans. Un livre bouleversant qui sonne juste et vrai.
Si je devais classer John d'Agata dans une catégorie, je le mettrais volontiers dans celle des écrivains reporter, avec William T. Vollmann par exemple. Ces auteurs intègrent souvent dans leurs essais une part de fiction, et mêlent habilement analyse scientifique et récit littéraire. Ils s'appuient sur des faits solides, mais leur travail de réécriture est constant. Ils sont constamment à la frontière du journalisme et de la littérature et leurs écrits sont souvent passionnants.
"Yucca Mountain" n’est pas une exception à cette règle. Ce court livre (moins de 150 pages) met en
lumière le problème du stockage des déchets nucléaires au coeur d'une montagne dans le Nevada, à 160 kilomètres de Las Vegas. Tout le projet est édifiant et on est souvent horrifié au cours de sa lecture : quand on apprend par exemple que l'endroit n’est pas frais et sec mais gorgé d'eau, ce qui peut provoquer des fissures dans les conteneurs à déchets ; ou quand on apprend que le métal choisi pour constituer un bouclier supplémentaire à l’intérieur de Yucca Mountain se dégrade assez rapidement ; ou quand on se rend compte que le transport de ces déchets nécessite des centaines de convois par année passant par l'échangeur autoroutier le plus proche de Las Vegas... Parfois même, on est en pleine farce grotesque : lorsque par exemple un comité réunissant des artistes, des scientifiques et des linguistes planche sur la conception d’une pancarte de prévention du danger Yucca Mountain susceptible d’être compréhensible par nos descendants dans 10 000 ans !
Mais au-delà de ce problème, John d'Agata nous plonge également en plein coeur de Las Vegas pour nous montrer ce qui se cache derrière les apparences. Non, Las Vegas n’est pas la ville typique du rêve américain, clinquante et artificielle, qui attire les touristes en masse avec ses hôtels casinos qui frisent la démesure ; Las Vegas connaît aussi le plus fort taux d'échec scolaire, le plus grand nombre de ménages surendettés, etc. De quoi faire volet en éclat bien des clichés !
Ce faisant, John D'Agata nous parle aussi de plein d'autres choses a priori sans rapport avec Las Vegas et les déchets radioactifs américains : il évoque la défenestration d'un adolescent de 16 ans, il convoque la figure du cri d'Edvard Munch pour mieux saisir notre cri à nous, il examine la symbolique du chiffre 9, il met en relief la problématique des suicides et du gaspillage, il souligne la corruption... L'auteur semble digresser sans cesse ; il passe du coq à l'âne pour mieux revenir sur son sujet central qui nous revient amplifié du coup, comme un boomerang, avec d'autant plus de force que l'auteur utilise sans cesse des structures répétitives qui fonctionnent comme de véritables litanies.
Voici donc un document passionnant qui fait froid dans le dos mais que l'on dévore de bout en bout.
J’adore Florent Marchet ; je le considère comme l’un des chanteurs français contemporains les plus brillants de sa génération, tant pour ses paroles que pour ses arrangements d’orfèvre. J’aime aussi beaucoup Arnaud Cathrine et sa prose mélancolique et poétique... Du coup, je ne pouvais qu’être séduit d’emblée par ce projet réunissant les deux artistes amis, une sorte de roman musical écrit et composé à quatre mains !
Alors, qu’en est-il vraiment de ce "Frère Animal" ? Il s’agit d’un conte contemporain mettant en scène une entreprise tentaculaire, la SINOC. On
est ému d’abord par les parcours des différents salariés de la firme : Jean, le père, pour qui le métier constitue toute sa vie ; Maxime, "le vieil enfant" qui est rejeté par l’entreprise en raison de son âge ; Thibaut, le fils, un jeune idéaliste révolutionnaire qui s’oppose en bloc aux valeurs de l’entreprise ; Renaud, le jeune cadre dynamique ambitieux qui gravit progressivement les échelons au sein de l’entreprise ; le DRH, personnage froid et cynique faisant froid dans le dos… Surtout, on est surpris par la cruauté et la noirceur que dégage le texte : la Mère SINOC apparaît comme une industrie totalitaire et carcérale, ayant une emprise complète sur l’existence de ses protégés complètement aliénés. Je n’ai pas encore mentionné la musique : sublime, envoutante, qui se teinte de mélodies pop et rock, mais qui reste discrète pour laisser s’épanouir pleinement le texte.
Il s’agit d’un roman à la fois amer et émouvant, un récit engagé qui nous fait réfléchir sur la place de l’entreprise et du travail dans nos vies.
"Le coeur est un chasseur solitaire" est un livre choral qui nous plonge dans l’intimité de quatre personnes qui luttent contre leur solitude (intérieure et extérieure) en s’inventant un idéal humain qui prend les traits d’un sourd-muet nouveau-venu en ville, John Singer.
Carson McCullers est extraordinaire dans la description de ces personnalités en marge, ballotés par les vicissitudes de la vie, qui échouent dans leur communication avec les autres. Elle montre aussi toute l’absurdité de chaque être humain dans son besoin désespéré d’attribuer chez l’autre des qualités
qu’il souhaite lui voir, d’interpréter l’autre en fonction de ses propres désirs. Ainsi le sourd-muet ne comprend guère les "causes perdues" et les logorrhées des quatre habitants en colère mais lui-même semble aussi s’illusionner sur les intentions véritables de son ami Antonapoulos.
Le roman possède une dimension sociale passionnante à travers les parcours de Jake Blount et du docteur noir Copeland. Le premier est un ouvrier en révolte contre le capitalisme et les injustices sociales ; le second consacre tous ses efforts à améliorer les conditions de vie de ses semblables et à combattre les oppresseurs blancs.
J’ai été particulièrement touché par le portrait de l’adolescente Mick Kelly, enfant surdouée et incomprise, qui lutte dans "l’univers du dehors" hostile et inflexible mais qui se réfugie dès que possible dans "l’univers du dedans", rempli de projets grandioses et habité par la musique classique.
Le livre dans cette édition (Stock, La Cosmopolite) se termine par une esquisse du roman que l’on vient de lire (initialement titré "Le Muet"), intéressant pour saisir pleinement les intentions de l’auteur ainsi que plusieurs articles captivants où l’on découvre pêle-mêle les accointances de Carson McCullers avec la littérature russe, ses ouvrages préférés, son processus d’écriture, son sentiment vis-à-vis de la deuxième guerre mondiale, etc.
J’aime beaucoup les deux premiers films de Marina de Van ("Dans ma peau" et "Ne te retourne pas") qui possèdent chacun leur univers mais se rejoignent sur une atmosphère particulière, assez malsaine, particulièrement bien rendue. C’est donc avec un a priori positif et une réelle curiosité que je me suis plongé dans ce livre, premier roman de la réalisatrice. En fait, il s’agit d’un long monologue d’une femme de 39 ans, dépressive, qui ne ressent plus rien – seulement la vacuité de sa vie qu’elle nous fait partager tout au long du récit. Les journées s’écoulent les unes après les autres sans qu’aucun événement ne vienne bouleverser la monotonie du quotidien. Au final, on s’ennuie bien vite (sur un livre déjà assez court de 120 pages) car la narration est très répétitive, suivant de près la torpeur extrême du personnage : chaque journée est l’occasion de la description inlassable des mêmes actes et des mêmes émotions ! L’ensemble est bien écrit toutefois, mais souffre aussi du syndrome de la première œuvre : on a un peu l’impression que l’auteur s’écoute écrire par moments. Bref, ce n’est pas un livre que je recommande.
Lorsque j'ai lu "Les immortelles" il y a quelques mois, j'avais trouvé cela pas mal sur le coup : l'histoire de la prostituée au grand coeur qui considère son métier comme un acte ultime de liberté m'avait touché ; le propos global de l'auteur - rendre hommage aux laissés-pour-compte de la société, aux femmes qui ont été oubliées lors du séisme en Haïti - me séduisait également.
Toutefois, quelque chose me chiffonnait sans que j'arrive à mettre le doigt dessus... En y repensant de temps à autre, je pense avoir trouvé ce qui ne fonctionne pas pour moi : l'éditeur nous présente
ce livre comme un roman alors que l’influence poétique se fait pourtant grandement sentir : le texte est une succession de paragraphes très courts, la langue prend son origine dans un registre poétique, etc. Du coup, le lecteur est un peu perdu et ne sait plus trop sur quel pied danser : S’agit d’un récit ? d’une poésie ? d’un poème en prose ? À mon sens, l’auteur ne développe pas un fil narratif précis ; par conséquent, son texte ne peut pas être classé dans le genre romanesque car l’intrigue, assez maigre, ne se déploie pas comme elle le devrait.
En bref, comme les éditions Zulma classent cet ouvrage dans la catégorie "premier roman", jugeons-le comme tel ! Je serais tenté de dire pour les raisons susmentionnées qu’il s’agit d’un mauvais roman. Toutefois, je lui mets deux étoiles pour la beauté de la langue (même si l’auteur est trop présent derrière ses phrases et que du coup l’ensemble dégage un côté poseur et artificiel assez désagréable) ainsi que pour la structure intéressante du livre (succession de paragraphes très courts qui laissent la part belle au silence, à la respiration et au bruit) et sa construction (alternance de plusieurs voix qui s’entremêlent à la première personne du singulier).
Le prix Goncourt 2011 est assez inégal et plutôt décevant dans l’ensemble. Certes, le sujet choisi par l’auteur pour son premier roman est passionnant : "la guerre de 20 ans" qui a secoué la France de 1939 (début de la seconde guerre mondiale) au début des années 1960 (proclamation de l’indépendance de l’Algérie) et sa mise en perspective avec notre société française contemporaine. Alexis Jenni est d’ailleurs très convaincant lorsqu’il s’agit de dépeindre l’horreur des guerres de décolonisation (Indochine, Algérie) ou de représenter l’affrontement des idéologies irréconciliables. Sa réflexion sur la langue comme principal socle d’une identité commune est également très intéressante. En revanche, le bât blesse quand l’auteur se pique de sociologie en commentant les faits d’actualité par la voix de son narrateur : sa description de la France comme un corps social malade au bord de la guerre civile est assez simpliste et caricaturale, tout comme sa vision des policiers français, forcément brutaux, violents et grossiers. De même, certains chapitres du livre sont carrément dispensables et viennent surcharger inutilement le récit : je pense notamment à l’épisode de la pharmacie ou à celui du marché lyonnais... En outre, le style de l’auteur est très boursouflé et répétitif, assez pénible à lire. Au final, on finit ce livre comme on terminerait un repas très bourratif : on a eu à manger en suffisance, du bon et du moins bon, mais on sort de table lourd, avec de la nourriture indigeste qui colle au corps et reste sur l’estomac.
J’ai lu ce court roman grâce à William T. Vollmann, que je considère comme l’un des plus grands auteurs américains contemporains. Au cours d’une conférence à Lyon dans le cadre des assises internationales du roman de Lyon en 2012, cet écrivain hors norme signalait que son livre préféré était "Pays de neige" de Yasunari Kawabata. Ne connaissant pas du tout l’ouvrage en question et poussé par une curiosité fort bien placée, je décidai d’acquérir ce récit pour le lire ensuite et voir si la magie l’emportait.
Au final, me voilà comblé et je ne regrette pas cet achat
d’impulsion. Je ne suis pas un habitué de la littérature asiatique, et je ne sais donc pas à quel point ce livre est représentatif d’un "style nippon" en particulier. Quoiqu’il en soit, on peut dire que j’ai été sacrément dépaysé par cette lecture, qui diffère vraiment de ce que je peux lire en matière de romans français et étrangers. Ici, l’écriture est lente, contemplative, teintée d’une mélancolie douce et rêveuse. Kawabata s’intéresse moins au fil de l’histoire qu’à la description des émotions par lesquelles passe le héros, Shimamura, et qui s’accordent à la peinture somptueuse des paysages de grands froids. Ici, tout est délicat et l’ensemble ressemble plus à un poème en prose qu’à un roman.
Bref, j’ai vraiment été conquis : voilà une lecture puissante que je n’oublierai pas de sitôt ; j’en sors comme apaisé et rasséréné.
1974, 1977, 1980 : les années se succèdent et l’éventreur du Yorkshire continue de sévir... En choisissant comme personnage principal de ce troisième volet un flic intègre, David Peace donne un nouveau souffle à sa tétralogie. Ainsi, les excès de violence et de sauvagerie qui caractérisaient les deux premiers tomes se retrouvent ici relégués à l’arrière-plan ; le coté un peu "tape-à-l’oeil" et barbare des crimes perpétrés cède la place à une enquête plus distanciée, froide et analytique : Peter Hunter doit comprendre ce qui a été oublié les précédentes années pour faire éclater la vérité. Mais cette dernière n’est pas sans déranger son monde... Le lecteur voit alors tout de la corruption qui gangrène la police du West Yorkshire en même temps qu’il assiste à la déchéance d’un héros positif rongé par son affaire et sali par ses collègues. Le livre empeste toujours autant le réel : chaque chapitre s’ouvre sur une page d’extrait de procès verbaux relatant les derniers instants des victimes de l’éventreur ; le roman est truffé de petits flashs d’information qui nous immergent dans la situation sociale et économique de l’Angleterre de l’époque, alors que Margaret Thatcher vient d’être nommée premier ministre du pays (en 1979).
Comprendre l'histoire récente de l'Afghanistan
Depuis les attaques du 11 septembre 2001, l’Afghanistan a connu des temps de guerre, des périodes de troubles et de violences inimaginables... Le retrait des troupes américaines après la mort d’Oussama Ben Laden n’ont en rien arrangé la situation : le pays est exsangue et le chemin vers la paix semble encore très long. Cet ouvrage collectif dirigé par Pierre Micheletti (ancien président de Médecins du monde) s’adresse au grand public : il nous donne les clefs pour comprendre l’histoire récente de l’Afghanistan mais évoque aussi les événements plus anciens (l’invasion soviétique en 1979, la prise de pouvoir des talibans en 1996, etc.). Son principal atout est de proposer une multiplicité de points de vue - les contributeurs sont journalistes, chercheurs en sciences sociales, travaillant dans l’humanitaire – et de ne pas se contenter d’un seul type de discours. Toutes les questions sont évoquées : la production exponentielle de drogues, la confusion problématique entre l’humanitaire et le militaire, le risque d’une multiplication des acteurs sur le terrain, la situation géopolitique compliquée du pays... Bien sûr, et c’est le jeu de l’ouvrage collectif, certaines contributions vont nous toucher plus que d’autres selon nos goûts personnels, mais tous les chapitres sont vraiment passionnants et très instructifs.