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En 1980, un an après l'accident du réacteur de la centrale de Three Mile Island, le Comité américain de l'énergie atomique fait pression sur le Congrès pour que tous les déchets nucléaires du pays soient stockés sur un seul site. Ce sera Yucca Mountain, à 4o kilomètres de Las Vegas, Nevada. Ce livre révèle les moindres détails de ce projet d'enfouissement massif: les dizaines de millards de dollars nécessaires pour aménager la montagne; le rôle des lobbyistes pro-nucléaires sur le vote des élus corrompus; l'échec des géologues à rendre la montagne imperméable; les 250 camions qui passeront chaque mois par le centre de Las Vegas, remplis de déchets radioactifs; les manuels scolaires financés par l'Etat pour convaincre les élèves que le " nucléaire est écologique"; le comité d'expert chargé d'inventer une enseigne indiquant la dangerosité du site et compréhensible dans i0000 ans; la visite guidée des entrailles de la montagne...
Mais la force du texte ne réside pas seulement dans les cris suscités par la peur du nucléaire. Mêlant avec force détails enquête de terrain et dialogues personnels - où s'invitent Noam Chomsky, Edward Abbey et Edvard Munch -, John D'Agata scrute les néons d'une ville derrière lesquels les suicides se comptent en masse et où la démesure ultime prend la forme d'un hôtel stratosphérique indestructible.
Un récit sombre et éblouissant, servi par une écriture cinématographique, qui s'avale aussi vite qu'une pastille d'iode et dont la chute est vertigineuse.
Yucca mountain, poubelle radioactive
Si je devais classer John d'Agata dans une catégorie, je le mettrais volontiers dans celle des écrivains reporter, avec William T. Vollmann par exemple. Ces auteurs intègrent souvent dans leurs essais une part de fiction, et mêlent habilement analyse scientifique et récit littéraire. Ils s'appuient sur des faits solides, mais leur travail de réécriture est constant. Ils sont constamment à la frontière du journalisme et de la littérature et leurs écrits sont souvent passionnants.
"Yucca Mountain" n’est pas une exception à cette règle. Ce court livre (moins de 150 pages) met en lumière le problème du stockage des déchets nucléaires au coeur d'une montagne dans le Nevada, à 160 kilomètres de Las Vegas. Tout le projet est édifiant et on est souvent horrifié au cours de sa lecture : quand on apprend par exemple que l'endroit n’est pas frais et sec mais gorgé d'eau, ce qui peut provoquer des fissures dans les conteneurs à déchets ; ou quand on apprend que le métal choisi pour constituer un bouclier supplémentaire à l’intérieur de Yucca Mountain se dégrade assez rapidement ; ou quand on se rend compte que le transport de ces déchets nécessite des centaines de convois par année passant par l'échangeur autoroutier le plus proche de Las Vegas... Parfois même, on est en pleine farce grotesque : lorsque par exemple un comité réunissant des artistes, des scientifiques et des linguistes planche sur la conception d’une pancarte de prévention du danger Yucca Mountain susceptible d’être compréhensible par nos descendants dans 10 000 ans !
Mais au-delà de ce problème, John d'Agata nous plonge également en plein coeur de Las Vegas pour nous montrer ce qui se cache derrière les apparences. Non, Las Vegas n’est pas la ville typique du rêve américain, clinquante et artificielle, qui attire les touristes en masse avec ses hôtels casinos qui frisent la démesure ; Las Vegas connaît aussi le plus fort taux d'échec scolaire, le plus grand nombre de ménages surendettés, etc. De quoi faire volet en éclat bien des clichés !
Ce faisant, John D'Agata nous parle aussi de plein d'autres choses a priori sans rapport avec Las Vegas et les déchets radioactifs américains : il évoque la défenestration d'un adolescent de 16 ans, il convoque la figure du cri d'Edvard Munch pour mieux saisir notre cri à nous, il examine la symbolique du chiffre 9, il met en relief la problématique des suicides et du gaspillage, il souligne la corruption... L'auteur semble digresser sans cesse ; il passe du coq à l'âne pour mieux revenir sur son sujet central qui nous revient amplifié du coup, comme un boomerang, avec d'autant plus de force que l'auteur utilise sans cesse des structures répétitives qui fonctionnent comme de véritables litanies.
Voici donc un document passionnant qui fait froid dans le dos mais que l'on dévore de bout en bout.