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J’avais déjà beaucoup apprécié les premières chroniques diplomatiques de Blain et Lanzac ; aussi, me suis-je précipité pour acheter et dévorer ce deuxième tome... et je suis loin d’être déçu ! Mieux construit que son prédécesseur qui se "contentait" avec brio de juxtaposer différents épisodes hilarants au sein du cabinet ministériel, cette nouvelle BD se concentre autour d’un fil rouge solide : la menace imminente d’une nouvelle guerre déclarée par les Etats-Unis au Lousdem et le souci pour Taillard de Vorms d’éviter ce conflit. A cette fin, et contrairement au tome 1, les membres du ministère voyagent aux quatre coins du monde et le lecteur est content de s’échapper avec eux de la boîte noire du quai d’Orsay qui risquait d’être pesante à force. Autre nouveauté importante : les auteurs délaissent un peu la figure imposante et génial du ministre des Affaires Etrangères pour s’intéresser davantage à son entourage ; du coup, on est moins impressionné par la grandiloquence ridicule de Vorms (et l’effet de surprise disparaît aussi) que par la violence avec laquelle se multiplient les petites traitrises ou les coups bas cruels : l’éviction de Valérie Dumontheil, conseillère Afrique, par Claude Maupas, directeur de cabinet, est un exemple frappant. Sinon, l’album est toujours aussi drôle que le précédent avec des moments franchement hilarants : la discussion sur le choix de l’avion pour les déplacements, les vacances du ministre, etc. Blain et Lanzac ont vraiment su conserver ce qui faisait la force du premier tome tout en se renouvelant pour éviter les répétitions et la lassitude du lecteur. Glop !
En août 2011, peu avant la publication française de La question Finkler, j’avais eu l’occasion d’assister à une rencontre organisée par l’éditeur où l’auteur, Howard Jacobson, présentait lui-même son livre. A l’époque, j’avais été séduit par le discours ironique de l’écrivain ainsi que par le sujet de son roman. Je m’étais imaginé un livre caustique, irrévérencieux, faisant voler en éclat le politiquement correct avec un style mordant pimenté d’humour noir...
Las ! En refermant le livre, j’ai un peu l’impression d’avoir été trompé sur la marchandise.
Certes, sous des allures un peu désinvoltes, Jacobson aborde l’air de rien des problématiques qui font mouche et met le doigt là où ça fait mal. Hélas, l’écriture est bien trop sage et policée pour en faire un roman vibrant, un véritable pavé dans la mare susceptible de transporter le lecteur. Je trouve le roman pas assez grinçant, pas assez piquant ; il se contente de nous divertir, comme du poil à gratter inoffensif, alors qu’il pourrait faire tellement plus. Mais peut-être, comme Fanny le souligne, est-ce un simple problème de traduction ? Je n’ai malheureusement pas la capacité de lire en anglais...
Il me semble aussi que le livre pèche dans sa première partie par un manque de rythme : la narration n’est pas assez soutenue, les personnages pourtant drôles rabâchent sans cesse les mêmes opinions et le lecteur a un peu l’impression de tourner en rond, il s’ennuie un peu.
Finalement, les passages les plus convaincants ne sont pas ceux qui abordent la brûlante question Finkler (c’est vrai que cela stigmatise moins !) mais ceux consacrés au personnage de Libor et à ses tentatives impossibles de faire son deuil. Là, l’écrivain retrouve une émotion nécessaire qui lui convient mieux et arrive à nous toucher... Dommage : ce n’était pourtant pas le sujet principal de son roman !
Au début du récit, le narrateur organise une soirée d’adieu regroupant ses deux enfants, son frère et sa femme, ainsi que sa voisine, en vue de son départ pour Pondichéry ; mais une fois sur le territoire indien, rien ne va se passer comme prévu...
A première vue, le dernier livre de Nicolas Fargues possède toutes les caractéristiques du roman français contemporain tel qu’on peut le voir pulluler dans les étals de nos chères librairies et qui nous hérisse légèrement le poil : ultra court, vaguement introspectif, minimaliste dans le récit, avec une narration à la première
personne qui fonctionne comme un long soliloque...
Et pourtant, dès les premières pages, le charme opère. Cela tient sûrement à l’histoire : il n’est pas question ici de douleur intime qu’on expose à tout va, ni de morts agissant comme des fantômes qu’il faut combattre pour continuer à vivre malgré tout ; non, ici, on suit un écrivain sur le déclin qui a l’impression d’être en décalage par rapport aux autres personnes qu’il côtoie – famille et amis – mais qui s’efforce de s’adapter malgré tout en réglant ses comportements sur ceux d’autrui pour éviter les conflits et préserver sa vie en société. J’ai été particulièrement séduit par ce personnage solitaire, complètement désabusé par son entourage, lucide sur sa situation, cynique et pince-sans-rire, qui se retrouve dépassé par les événements mais qui met un point d’honneur à se montrer aimable et souriant en toutes circonstances, alors même qu’il bout intérieurement et peste contre l’attitude de ses semblables.
L’écriture de Nicolas Fargues est très agréable. L’auteur sait bien manier le sarcasme et l’ironie ; son propos impertinent (entre autres sur la famille ou le milieu littéraire) est souvent jubilatoire. Il s’attache à décrire avec une précision digne d’un entomologiste les faits et gestes du quotidien – il faut le voir par exemple détailler le fonctionnement de la machine à laver ! – privilégiant un vocabulaire quelque peu suranné et des emphases stylistiques un brin pompeuses, avec des termes délicieux comme "ordiphone" ou "baladeur vidéo-numériques". Par cet aspect, on pense souvent au style de Michel Houellebecq qui fonctionne un peu selon les mêmes principes.
Bref, il s’agit d’un bon roman, même s’il s’arrête trop abruptement à mon goût, me laissant sur ma faim, avec un goût d’inachevé dans la bouche : j’aurais préféré suivre pendant encore quelques temps les péripéties de ce narrateur clairvoyant et déboussolé.
Voici une BD qui accroche au premier regard par la contradiction apparente qu’elle suggère. A priori, le titre, Splendeurs et misères du verbe, en impose par sa grandiloquence et annonce une somme théorique un peu ronflante sur l’utilisation du dialogue dans la bande dessinée ; mais cette idée première est bien vite contrebalancée par l’aspect modeste de l’album édité dans l’excellente collection Patte de mouche de l’Association qui se caractérise par des volumes au format très petit et à la pagination faible. On est encore plus dérouté lorsqu’on feuillète la BD en
s’apercevant qu’elle entièrement muette !
Finalement qu’en est-il exactement ? La bande dessinée est un médium qui a ses propres codes pour raconter une histoire, dont l’utilisation des phylactères et le découpage particulier en différentes cases. A travers quatre petites scénettes très drôles, Ibn Al Rabin s’amuse à détourner précisément ces deux principes de narration en les utilisant de façon complètement différente par rapport à leur fonction première.
Bref, c’est amusant, ça ne coûte rien (3 euros) et cela nous fait réfléchir de manière ludique sur le neuvième art. Que demander de plus ?
Yakouba est un jeune garçon africain qui doit prouver sa bravoure pour être considéré comme un véritable guerrier. Pour ce faire, il doit passer une terrible épreuve : combattre un lion et le tuer. Mais le courage se mesure-t-il vraiment par la capacité de vaincre et d’imposer sa force ?
Voici un bel album jeunesse de Thierry Dedieu avec des grandes illustrations en noir et blanc magnifiques, réalisées au fusain, qui saisissent comme des instantanés les étapes importantes de cette épreuve initiatique – un peu à la manière d’un reportage documentaire : la femme en train de
préparer le repas, le voyage de Yakouba, le duel entre l’enfant et l’animal...
Pour le jeune lecteur occidental, ce livre donne l’occasion de s’ouvrir vers un monde inconnu, l’Afrique, et vers une nouvelle culture, tout en réfléchissant à des problématiques importantes liées à la morale ainsi qu’à la grandeur du choix.
Un merveilleux conte philosophique sur la sagesse qui a reçu le Prix Sorcière en 1994. A mettre en toutes les mains dès huit ans !
J’attendais le nouveau livre de Brady Udall depuis 10 ans ! Mon atteinte n’a pas été vaine : Le polygame solitaire est un bon roman, avec une histoire haute en couleur (la crise existentielle que traverse un mormon polygame ayant quatre femmes et vingt-huit enfants) et des personnages très émouvants (entre autres Rusty, un pré-adolescent de 11 ans confronté aux angoisses de la puberté, ou Trish, l’épouse effacée et délaissée, ou encore Beverly, qui règne en matrone implacable sur le reste de la famille). Brady Udall est à l’aise dans la variation des tonalités : les passages dramatiques sont franchement bouleversants, les moments comiques se font plus légers... Surtout, on retrouve le style d’écriture très particulier de l’auteur, déjà présent dans le Miraculeux destin d’Egard Mint, qui mêle le passé et le présent et rend le récit plus vivace, plus dynamique : d’ailleurs, on dévore ce pavé (plus de 700 pages quand même) sans même s’en rendre compte. J’espère maintenant de pas avoir à attendre 2021 pour avoir un nouveau texte de Brady Udall !
Je viens de terminer la lecture des domestiques, un livre ma foi fort sympathique qui n’est pas sans rappeler dans son principe général le film "Funny Games" de Michael Haneke – en version moins trash et plus édulcorée. Ou comment un jeune couple s’insère dans la vie de deux personnes âgées, s’installent dans leur propriété et leur font vivre un véritable enfer. Gustavo Bossert créé un huis-clos assez réussi, oppressant bien que court : le roman fait moins de 200 pages et se lit très facilement mais la tension est omniprésente et monte crescendo. Un regret cependant : pour faire avancer son intrigue, l’auteur argentin est contraint de s’échapper de la maison des vieux Marti (la bien nommée Captive) pour explorer d’autres lieux et d’autres scènes (le village proche, les repas du neveu, etc.) ce qui nous donne la possibilité de souffler un peu alors qu’on aurait aimé être totalement séquestré par ces faux domestiques manipulateurs et machiavéliques ! Bref, une lecture qui fait passer un bon moment, agréable et flippant, mais qui reste trop gentille pour marquer définitivement les esprits à mon goût.
Quatre voix structurent ce roman : celle du mari tout d’abord, Van, un émigré vietnamien installé en France qui nous raconte sa vie depuis son cercueil, après avoir passé l’arme à gauche, renversé par une voiture ; celle de la femme, Lou, croquée comme une bretonne pure souche à la peau blanche, casanière et sans fantaisie, trop sage ; celle de la fille Laure, une adolescente en crise au look gothique ; celle de la maîtresse enfin, Ulma, une belle eurasienne imprévisible. Ces quatre confessions s’entremêlent, déterrent le passé pour essayer d’éclairer les événements successifs
qui ont conduit au tragique accident.
Oubliez dès à présent tout ce que vous avez pu lire de Linda Lê. Certes, la romancière creuse encore ses obsessions, entre autres le rapport à la famille ou la problématique de l’exil ; pourtant l’écriture se veut plus légère par rapport à ses précédents livres, voire presque joyeuse, parfois même teintée d’ironie. Bref, il s’agit d’un bon roman de cette rentrée littéraire 2012 !
Ce fut une belle surprise pour moi que ce livre qui a obtenu le prix Médicis en novembre 2010. Maylis de Kerangal met en scène une dizaine de personnages tous partie prenante de la construction du pont suspendu de la ville imaginaire américaine de Coca : architecte coordinateur, ingénieurs, grutiers, habitants de la région, ouvriers émigrés… Toute la force de ce roman fleuve est de nous donner un aperçu de la mondialisation en se centrant totalement sur la fiction, sans discours moralisateurs. L’écriture, très particulière, est magnifique : dense et foisonnante, elle fait corps avec le chantier, elle brasse la poussière et le ciment, nous emmène au plus près de cette entreprise colossale… Cependant, au-delà de la simple visite de chantier pourtant passionnante, Les phrases longues et sinueuses décrivent aussi une fresque humaine composée d’individus complètement différents mais rassemblés ensemble autour d’un même but. Au final, une puissance assez intense se dégage de ce roman que je conseille vivement.
Objet littéraire désincarné
Voilà un livre qui désarçonne à plus d’un titre.
Déjà, la structure même de l’ouvrage surprend : il s’agit d’un roman de 160 pages découpé en courts chapitres de deux à trois pages. Le récit est donc haché en différentes séquences racontant la vie quotidienne de ces deux jumeaux avec leur grand-mère. Ces séquences au début s’enchaînent sans aucun fil directeur, donnant au livre un aspect un peu décousu ; puis progressivement, elles se resserrent autour de micros intrigues auxquelles le lecteur peut se raccrocher, avec des personnages qui reviennent et qui se précisent – ce qui contribue à rendre l’ensemble finalement cohérent.
Mais, ce qui déroute vraiment ici, c’est l’écriture. Agota Kristof utilise une langue vraiment particulière qui ne laisse aucune place aux sentiments et aux émotions. Ce qui compte, c’est la description objective, froide et clinique des choses telles quelles sont exactement en réalité. Ce choix d’écriture permet à l’auteur d’approcher au plus près de la vérité de l’être humain et ce qu’elle nous montre n’est pas beau à voir : les jumeaux sont des monstres à force de ne plus rien ressentir, la grand-mère est avare et méchante, les plus forts n’hésitent pas à abuser des plus faibles sur tous les plans… En toile de fond, la guerre fait rage et contribue à avilir les âmes qui survivent.
Au final, ce qu’on lit, c’est ce fameux « grand cahier » qu’écrivent les jumeaux : un objet littéraire désincarné, froid glaçant et dérangeant ; une œuvre véritable qui prend aux tripes et ne laisse pas indifférent.