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C’est un peu niais de le formuler ainsi, mais "Daytripper" c’est un peu l’histoire de la vie qui serait condensée sur une centaine de pages.
Comment ne pas passer à côté de sa vie ? Est-on sûr de faire les bons choix au quotidien ? Faut-il maîtriser le cours de son destin ? Tout le monde est obnubilé, à un moment donné ou à un autre, par "faire quelque chose" de son existence ; mais si, au final, le chemin était plus important que l’objectif à atteindre ? Et si, au lieu de fantasmer sa vie telle qu’on la voudrait dans l’idéal, il était préférable de profiter de l’instant
présent tel qu’il se présente à nous ? Cette BD brasse tous ces questionnements, que nous nous sommes tous posé en tant qu’être humain, de façon très fine et intelligente.
Voilà pourquoi je suis ressorti de cette lecture assez bouleversé : j’ai eu l’impression en refermant le livre que les jumeaux Fabio Moon et Gabriel Ba mettaient le doigt sur un sentiment très fort qui se ressent intensément, une mélancolie indicible, une sorte de vague à l’âme universel. Et ils nous donnent à voir cela par le biais de scènes très classiques, presque banales, en distillant dans leur récit on ne peut plus réaliste des éléments de l’ordre du rêve et de l’imaginaire.
A noter : "Daytripper" a été récompensé par le prix du meilleur album aux Eisner Awards en 2011.
Me délectant à la fois des gesticulations bruyantes de Britney Spears et de la prose magnifique de Jean Rolin, je ne pouvais manquer de passer à côté de ce curieux livre de la rentrée littéraire 2011 dont le titre évoque comme une promesse le célèbre roman de Marguerite Duras. Toute l’histoire ressemble à une vaste blague et donne l’occasion à l’auteur de croquer l’univers de la pop culture avec une plume mordante et ironique : on perçoit avec beaucoup d’amusement et de justesse toute la vacuité d’un monde qui n’existe qu’à travers le prisme des médias de seconde zone rapportant les moindres faits et gestes, même les plus insignifiants, de ces stars superficielles... Mais cette histoire n’est ici qu’un prétexte pour ce qui constitue à mon sens la vraie force de ce livre : une déambulation au cœur de la ville tentaculaire de Los Angeles. Car bien vite, le narrateur se désintéresse de sa mission qui lui apparaît comme un canular et se retrouve à flâner dans cette mégalopole américaine, à pied ou en transports en commun (il n’a pas le permis), au gré de ces rencontres avec les paparazzis ou de ses occupations (qui se résument souvent à se déplacer dans tel ou tel endroit visité auparavant par Britney Spears ou Lindsay Lohan). Souvent les phrases se prolongent jusqu’à l’excès et on se perd avec délice en elles comme on se fourvoie avec le narrateur complètement paumé dans une cité labyrinthique gigantesque qui dépasse l’entendement humain.
En 2005, le Louvre et la maison d'édition Futuropolis s'associent pour créer une collection de BD autour du plus grand musée de Paris. L'album de David Prudhomme est le septième titre de cette collection.
Le fil narratif est extrêmement simple et n’a pas beaucoup d’importance. Il sert plutôt de prétexte à une déambulation à l’intérieur de la célèbre pyramide. Les œuvres d’art (peintures, sculptures, objets archéologiques) tiennent donc le premier rôle, et l’on ressent tout le plaisir qu’a eu Prudhomme à les croquer par de belles illustrations réalisées entièrement
aux fusains et aux crayons de couleur. La BD est quasiment muette, pourtant on perçoit l’intention "sociologique" de l’auteur qui interroge le regard des différents spectateurs face aux chefs-d’oeuvre qui s’offrent devant eux. A ce titre, le moment le plus fort de l’album est sans conteste celui où la Joconde contemple devant elle multitude de touristes qui apparaissent comme figé devant le tableau de Léonard de Vinci et dont les différentes postures trahissent leurs émotions vis-à-vis de l’Art en général.
J’aurais voulu pouvoir aimer ce livre sans aucunes réserves. Tout d’abord, parce qu’il est d’une certaine qualité littéraire, si l’on excepte quelques tics agaçants (comme l’emploi de l’italique, souvent inutile ou des métaphores assez simplettes qui sentent un peu trop l’exercice de style). Mais surtout parce qu’il transpire la sincérité à chaque page, de celle qui vous arrache un petit frisson derrière le dos ou une larme discrète... Les passages les plus forts du livre sont notamment ceux où l’auteur analyse sa pratique d’écriture, doute, et nous fait partager
sa fragilité face à l’entreprise périlleuse qu’elle a décidé courageusement d’entreprendre : raconter sa mère, tenter de s’approcher vainement au plus près de sa vérité.
Hélas ! La sincérité est en littérature ce que la chantilly est à la fraise des bois :o) Au début, on engloutit tout, attiré par cette douceur confortable, mais au final la crème nous écoeure, et gâche la saveur naturelle et sucrée du fruit. Quand certains de mes amis enthousiastes évoque un roman magnifique parce que "rempli d’émotions, intense et bouleversant", j’ai envie de m’insurger : c’est bien le moins, pour un roman tel que celui-ci, qui évoque des suicides, des crises de folie, des vies explosées, que de produire de l’empathie ! Je me méfierai toujours de ces livres qui sont l’esclave de leur sujet douloureux et larmoyant malgré eux, car toujours planera sur eux le soupçon de la supercherie : je ne parle pas ici d’un quelconque buzz commercial potentiel (à la lecture, il est bien entendu que l’authenticité de la démarche ne doit pas être remise en cause) mais plutôt du fait de créer de l’émotion avec ce matériau là – car l’émotion est dans la matière même, elle n’a pas besoin d’être amenée. Les écrivains ne devraient pas céder à cette fainéantise mais plutôt se questionner sur la façon de nous émouvoir avec... une huître ou un barreau de chaise pourquoi pas :o) Qu’on oublie un peu "l’histoire du livre" (de quoi cela parle ?) et que l’on se préoccupe davantage du style, des expérimentations littéraires, etc.
Je lirai sans doute avec plaisir Delphine de Vigan quand elle s’affranchira des contraintes auto-fictives qui gangrènent la majeure partie de la littérature française et qui font que le sujet passe au premier plan, prend littéralement en otage le livre, pour lâcher la bride à son imaginaire.
En introduction, on nous explique que "L’art selon madame Goldgruber" est à l’origine un catalogue pour une exposition consacrée à l’auteur dans la ville de Wels en Autriche. Nicolas Mahler détourne la commande habilement et nous propose, à travers douze chapitres, une réflexion sur la place de la bande dessinée dans le monde de l’art, réflexion qui se base avant tout sur les anecdotes personnelles de l’auteur. On rigole beaucoup à la lecture de cette BD, notamment du fait du décalage permanent que l’on ressent entre les intentions de l’auteur et le regard que les personnes portent sur son travail – que ce soit le contrôleur fiscal, les profs d’université ou les fonctionnaires des douanes. Cette incompréhension à laquelle se heurte Mahler met en lumière tous les préjugés et les questions absurdes associés généralement au medium "bande dessinée" : la BD est-elle de l’art ? A quoi sert-elle ? Est-elle réservée uniquement aux enfants ? Servis par un trait minimaliste, certains épisodes sont particulièrement hilarants.
Dans cette BD, Wilfrid Lupano et Jérémie Moreau retracent la légende de la ville de Hartlepool qui illustre le stéréotype bien connu selon lequel les peuples anglais et français se vouent mutuellement une haine éternelle.
Cette légende marque les esprits parce qu’elle est universelle. En effet, au-delà de son contexte particulier, elle nous montre la bêtise humaine dans toute sa splendeur et les mécanismes qui la sous-tendent à savoir : l’ignorance et la peur d’autrui ainsi que le repli sur soi. Et cette bêtise bien sûr est plus que jamais d’actualité ! Aujourd’hui, elle
pourrait se traduire par exemple par la xénophobie ordinaire propre à Tata Paulette qui vit dans un bled paumé de 150 habitants au fin fond de la Drôme et qui vous assure sans ciller "n’être pas raciste mais avoir du mal avec les arabes". Le truc qui énerve quoi, mais qui fait rire en même temps tellement le raisonnement derrière est primaire.
Ici, on est clairement plus du côté de la farce, grâce notamment au scénario de Moreau qui s’appuie sur des dialogues savoureux (les logorrhées de Barbizan entre autres, très drôles) ainsi que sur des personnages caricaturaux à souhait (mention spéciale pour le vieux Alf Patterson, une vraie réussite !). Le racisme bête en est d’autant mieux dénoncé. Un mot sur les dessins de Moreau qui sont également assez chouettes, très dynamiques, avec des couleurs vraiment belles.
A noter : cette bande dessinée faisait partie de la sélection officielle du festival d'Angoulême en 2013.
Après "La pluie avant qu’elle tombe", un roman dramatique et somptueux qui contrastait avec ce qu’on avait l’habitude de lire de lui, Jonathan Coe nous revient en terrain plus familier avec La vie très privée de Mr Sim. Forcément, on est un peu déçu au départ, surtout si l’on aimait la profondeur nouvelle et la gravité du dernier livre... Et puis, au fil des pages, cette sensation disparaît et il faut reconnaître qu’on s’amuse beaucoup en compagnie de cet anti-héros archi banal qui traverse l'Angleterre en tant que représentant commercial pour aller vendre les brosses à dent de son nouvel employeur. A travers cette odyssée moderne et farfelue, Jonathan Coe pointe les travers de notre société contemporaine avec un humour ravageur très britannique, assez grinçant parfois. Il égratigne notamment les nouveaux moyens de communication moderne (mail, facebook) qui renforcent notre solitude au lieu de la combler. Le roman est habilement construit, à la façon d’un puzzle, avec des pièces qui émaillent le récit pour le faire avancer : lettres, nouvelles, anecdotes, etc. J’aime beaucoup le trait d’esprit à la fin, même si je comprends tout à fait qu’on ne puisse pas accrocher. Bref, c’est un bon roman pour moi, extrêmement plaisant, même s’il ne conserve pas la même intensité que son prédécesseur.
Avec ce livre, Dominique Sigaud tente de s’approcher du terrifiant dragon à mille têtes pour mieux en percevoir les mécanismes, pour mieux le combattre. Ce dragon désigne ici le Mal qui sévit partout dans notre monde, qui grouille et pullule même après l’horreur de la seconde guerre mondiale et des camps d’extermination, qui rampe insidieusement pour s’installer dans nos vies, s’incarnant de différentes manières à travers différents serviteurs. En cela, le sujet de "Franz Stangl et moi" n’est pas tant la Shoah que la manière dont celle-ci se répercute à des degrés divers dans notre monde contemporain. Le livre est construit de manière hétéroclite, fragmentaire, mêlant les réflexions de l’auteur, ses souvenirs personnels et le récit à la fois fictif et réel des dernières vingt-quatre heures de Franz Stangl, seul dignitaire nazi à avoir admis du bout des lèvres avant de mourir sa part de responsabilité dans l’horreur du génocide. Certains passages sont superbes : la différence entre les "uns" et les "x", la place importante du violon dans le texte, le lien établi entre le salon familial de l’enfance et l’Holocauste, la manière dont l’auteur se glisse dans la cellule de Stangl, le choix du terme "werra" pour désigner la période englobant la seconde guerre mondiale... Un livre érudit, littéraire, qui nous hante longtemps.
Claro, c’est le traducteur attitré d’écrivains américains monstrueux et géniaux : Thomas Pynchon, William T. Vollmann, James Flint… C’est aussi pour moi un des meilleurs auteurs français contemporains. La preuve ? Ce dernier roman en date, Cosmoz, qui ne ressemble à rien de ce qu’on peut lire habituellement. Avec une langue folle, expérimentale, et débarrassée de tous ses carcans, Claro nous livre ici sa propre version du début du XXe siècle : le livre commence en 1900, à l’époque où L. Frank Baum écrit son célèbre Magicien d’Oz, et se termine au début des années 1950. Pour ce faire, il détourne une œuvre littéraire un peu mythique, réinterprète ses protagonistes fictifs pour les plonger dans le réel, dans la monstruosité de l’histoire contemporaine. Le lecteur assiste alors à la façon dont le siècle évacue progressivement, et de plus en plus violemment, la question des marginaux, ceux qui sont différents : Dorothy, Oscar Crow, Nick Chopper ou Avram et Eizik sont tous des indésirables dont le monde veut se débarrasser par tous les moyens – y compris même le plus horrible, celui des camps de concentration. Cosmoz est un livre monstre tortueux, une tornade littéraire qui vous emporte, vous essouffle et dont on ne sort pas indemne.
Se familiariser avec la philosophie de Schopenhauer
Ce livre est parfait pour ceux qui aimeraient avoir un aperçu global mais exigeant de la pensée de Schopenhauer. Andrez Dez nous propose une compilation des différents écrits de ce grand philosophe allemand. Evidemment, "Le monde comme volonté et représentation", son ouvrage majeur, occupe une large place ; toutefois, d’autres oeuvres moins connues mais tout aussi importantes sont également à l’honneur, comme sa thèse "De la Quadruple Racine du principe de raison suffisante" soutenue en 1813 à l’université d’Iéna ou le recueil "Parerga et Paralipomena" dans lequel on retrouve sa fameuse parabole sur les porcs-épics pour caractériser les relations sociales entre les hommes. C’est le vrai point fort de ces "textes choisis", qui permettent de s’approcher au plus près des raisonnements menés par le père spirituel de Nietzsche : laisser parler le penseur plus que les critiques sur ce penseur. On découvre ainsi un philosophe littéraire, amateur de bons mots, qui porte un regard lucide et pessimiste sur le monde qui l’entoure.