Nous voici livré ici un roman ambitieux, magnifique, foisonnant et dense, qui traite de la solitude et de l’incapacité des êtres à se rencontrer (chacun demeurant obnubilé par sa propre quête de l’absolu). Bien que les personnages croient trouver en John Singer, le sourd-muet énigmatique, un dieu bienveillant et dépourvu de jugement, chacun restera enfermé dans ses propres obsessions. John Singer lui-même, loin d’être l’oreille attentive que les autres imaginent, est en réalité accaparé par Antonapoulos, son ami perdu. A travers une galerie de personnages admirablement fouillés
et complexes, Carson McCullers nous livre un texte à la fois sombre et lumineux, subtil et envoûtant, qui traite de la difficulté d’être dans un monde qui broie impitoyablement les rêves d’amour et d’absolu. Cette œuvre profondément humaine, lucide et souvent désenchantée, est de celles qui marquent durablement.
le coeur est un chasseur solitaire
L'homme est prisonnier des rêts du langage, disait Nietzsche. La toute jeune (24 ans) Carson McCullers le dit à sa façon p258 de l'édition poche ; les idéaux mêmes portés par les mots peuvent devenir prisons..Le pilier central de cette histoire est "Singer", sourd-muet autour duquel gravitent une jeune fille prodigieusement douée pour la musique, un fou marxiste alcoolique clochard céleste logorrhéique et régisseur de manége (!), un tenancier de pension de famille veuf et un docteur noir très "stand up 4 r your right" mais intransigeant avec sa progéniture .Elle nous invite dans un pan fondateur de l'histoire américaine où, entre trottoirs et toits d'une petite ville du Sud se nouent les destinées par la grâce de son écriture si faussement naive.. "Le coeur est un chasseur solitaire" est à la fois symphonie et chanson populaire : c'est tout dire!