Autrefois la littérature consistait à étendre le temps, à le dilater et à le précipiter finalement dans une forme narrative complexe que le lecteur pouvait finalement saisir au terme de sa lecture. “La Recherche” de Proust fut à ce titre le sommet de la littérature dans ce domaine. Mais les temps changent et l’appréhension du temps évolue au rythme de son époque. De nos jours, il serait impossible de publier “La Recherche”, “Guerre et paix” ou “Les Misérables”, on y trouve un temps d’une autre époque, un temps qui traine la patte, un temps paresseux qui
ne fait pas de l’action le dénominateur absolu de l’oeuvre littéraire. Désormais, il faut presser le récit, rebondir, surfer sur la vague de l’action et parvenir rapidement au point final de peur d’ennuyer le lecteur ; au final guère plus de 200 pages calibrées sur le mode d’une série télévisée. On pourrait regretter cette nouvelle donne littéraire qui ne nous laisse guère de repos au terme d’une journée souvent trépidante mais il arrive que cette approche accouche d’un roman aussi efficace que surprenant.
C’est le cas de “Passages du désir” de Cécile Huguenin qui se glisse dans les habits littéraires de son époque avec toute l’élégance de l’oeuvre qui fait mouche dans la simplicité même de sa forme. Huguenin est une écrivaine tardive et dans son cas on peut inverser la formule célèbre : le talent mérite parfois qu’on lui laisse quelques années de plus pour s’épanouir. Son premier roman “La Saison des mangues” avait été salué par le prix Alain Fournier, ce qui pour un coup d’essai est un magnifique coup de maître.
“Passages du désir” tient de la quête et du roman d’apprentissage tout en conjuguant avec beaucoup de finesse les âges de la vie. Le jeune Titus qui vit encore chez ses parents s’est forgé la conviction que le coup de foudre n’est pas déclenché par la totalité d’une personne mais par un détail. Le dessin d’une bouche, le contour d’un oeil, la finesse d’une nuque, le geste d’une main, , le galbe d’un mollet, l’empreinte d’un pied. On peut être foudroyé par une phrase et par le désordre de ses propres émotions. C’est ce qui va lui arriver quand il apprend la disparition de Clara Davidson, la veuve d’un célèbre couturier, qui avait ouvert une maison d’hôte à Zanzibar pour une clientèle essentiellement féminine. Avec tout l’audace de sa jeunesse Titus part à sa recherche. La nature de son périple lui permettra de découvrir celle de ses désirs et de son rapport à la sensualité... Ce récit initiatique réserve de très belles pages sur les mystères du plaisir féminin après soixante ans. Cécile Huguenin opère par petites touches conjuguant à la fois bonheur des mots et pudeur de l’expression quand il s’agit d’aborder les thématiques du désir et de l’exploration des corps. C’est si bien fait qu’on aurait aimé deux cents pages de plus mais ce ne serait vraiment pas de notre époque…
Apolline SEGRAN
RECOMMANDÉ PAR CULTURE-CHRONIQUE
Autrefois la littérature consistait à étendre le temps, à le dilater et à le précipiter finalement dans une forme narrative complexe que le lecteur pouvait finalement saisir au terme de sa lecture. “La Recherche” de Proust fut à ce titre le sommet de la littérature dans ce domaine. Mais les temps changent et l’appréhension du temps évolue au rythme de son époque. De nos jours, il serait impossible de publier “La Recherche”, “Guerre et paix” ou “Les Misérables”, on y trouve un temps d’une autre époque, un temps qui traine la patte, un temps paresseux qui ne fait pas de l’action le dénominateur absolu de l’oeuvre littéraire. Désormais, il faut presser le récit, rebondir, surfer sur la vague de l’action et parvenir rapidement au point final de peur d’ennuyer le lecteur ; au final guère plus de 200 pages calibrées sur le mode d’une série télévisée. On pourrait regretter cette nouvelle donne littéraire qui ne nous laisse guère de repos au terme d’une journée souvent trépidante mais il arrive que cette approche accouche d’un roman aussi efficace que surprenant.
C’est le cas de “Passages du désir” de Cécile Huguenin qui se glisse dans les habits littéraires de son époque avec toute l’élégance de l’oeuvre qui fait mouche dans la simplicité même de sa forme. Huguenin est une écrivaine tardive et dans son cas on peut inverser la formule célèbre : le talent mérite parfois qu’on lui laisse quelques années de plus pour s’épanouir. Son premier roman “La Saison des mangues” avait été salué par le prix Alain Fournier, ce qui pour un coup d’essai est un magnifique coup de maître.
“Passages du désir” tient de la quête et du roman d’apprentissage tout en conjuguant avec beaucoup de finesse les âges de la vie. Le jeune Titus qui vit encore chez ses parents s’est forgé la conviction que le coup de foudre n’est pas déclenché par la totalité d’une personne mais par un détail. Le dessin d’une bouche, le contour d’un oeil, la finesse d’une nuque, le geste d’une main, , le galbe d’un mollet, l’empreinte d’un pied. On peut être foudroyé par une phrase et par le désordre de ses propres émotions. C’est ce qui va lui arriver quand il apprend la disparition de Clara Davidson, la veuve d’un célèbre couturier, qui avait ouvert une maison d’hôte à Zanzibar pour une clientèle essentiellement féminine. Avec tout l’audace de sa jeunesse Titus part à sa recherche. La nature de son périple lui permettra de découvrir celle de ses désirs et de son rapport à la sensualité... Ce récit initiatique réserve de très belles pages sur les mystères du plaisir féminin après soixante ans. Cécile Huguenin opère par petites touches conjuguant à la fois bonheur des mots et pudeur de l’expression quand il s’agit d’aborder les thématiques du désir et de l’exploration des corps. C’est si bien fait qu’on aurait aimé deux cents pages de plus mais ce ne serait vraiment pas de notre époque…
Apolline SEGRAN