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Juste avant la signature de l’armistice, en cette année 1918, un haut gradé décide, histoire de se faire mousser, une sortie des tranchées pour aller tuer du boche.
Un homme est poussé au fond d’un trou d’obus et la terre retombe sur lui en l’ensevelissant et nous assistons à sa mort. Puis, mais, ah… tout est mensonge, tromperie dans ce livre.
Albert, Edouard, Pradelle….. Tous ces rescapés du front vont faire front chacun à leur manière, mais pas bon, enfin vous lirez.
La France victorieuse glorifie ses morts et oublie ses survivants. Oui, les éclopés, les gueules
cassées, on ne veut plus les voir, ils deviennent un poids pour la société qui veut aller de l’avant. Ils leur restent les sous-emplois d’homme sandwich, liftier, garçon de courses (difficile avec une jambe en moins !). Mince alors, il faut que les affaires reprennent et dans ce monde chaotique, tout est possible.
Pierre Lemaitre maîtrise son sujet et je n’ai pas pu faire autrement que lire, tourner les pages, lire, lire jusqu’à la fin. Son phrasé avec beaucoup de virgules est très dynamique, le vocabulaire adapté à chacun. L’auteur ne m’a guère laissé de repos (et bien oui, le fameux repos du guerrier !). De rebondissement en rebondissement, je fus souvent désarçonnée, les sentiers ne sont pas balisés et boueux ; l’imprévu est au menu ainsi que les nuits blanches.
Sur un fond historique et profondément humain, le suspens est omniprésent. Bien sûr, le méchant est beau, intelligent et fait partie de la Haute…. L’exécutant n’est pas très malin et n’est qu’un besogneux, mais, tel est pris qui croyait prendre, la morale de ce livre, c’est qu’il n’y a plus de morale pour paraphraser une célèbre chanson.
Ce livre caustique sur une guerre vaine et inutile, sur l’Etat peu regardant, sur la Morale, sur l’enfer vécu par les poilus est un vrai régal de lecture
« Philipp Perlmann ne savait pas comment vivre le présent. Toutefois ce matin, c’était pire qu’à l’ordinaire. » Ainsi débute ce gros pavé.
Le « héros » de ce livre, Philipp Perlmann, linguiste de renommée mondiale est l’organisateur d’une rencontre entre confrères éminents dans un grand hôtel de la baie de Naples. Veuf depuis peu ; Agnès, sa présence, son regard, ses piques lui manquent cruellement. Il ne se sent bien nulle part et, surtout, il est incapable de s’en ouvrir à quelqu’un, même à sa propre fille.
Bien que reconnu mondialement, Perlmann est un
homme peu sûr de lui, toujours sur la défense, toujours cette impression de devoir se justifier, toujours à se comparer négativement aux autres « Voilà ce qu’au fond je n’avais jamais eu : la curiosité intellectuelle ».
Il doit présenter son travail, mais…. de travail il n’en a pas. Impossible d’écrire un seul mot : Il avait « le sentiment très précis qu’il n’avait rien à dire » Toute la première partie du livre, tourne autour de ces thèmes et nous suivons la lente, très lente descente en enfer de Perlmann. Son silence ne lui autorise même pas l’écoute de ses confrères, tant il est pris dans ce maelström malsain. Tout son monde s’écroule lorsqu’il comprend qu’il a commis le délit de plagiat et qu’il ne peut plus revenir en arrière. Sa solitude, la spirale infernale vers le bas deviennent de plus en pus dures et lourdes à porter. C’est son chemin de croix. Quelles descriptions, quelles forces dans le détail. Oui, c’est long, oui, ce fut dur pour moi d’entrer dans la vie et le cerveau de Perlmannn. Une fois cela franchi, quel plaisir de lecture. Quelle écriture, à la fois simple et forte. Les relations entre tous ces universitaires, leurs jalousies, la paranoïa envahissante de Perlmann… Quelle force dans le dessin, dans la description au scalpel et tout ça avec une lenteur digne des pires tortures hitchcockiennes.
Dans la seconde partie, le rythme s’accélère, le cœur s’emballe. Perlmann envisage sérieusement de tuer, sous couvert d’un accident automobile, l’auteur de l’étude qu’il plagie !
Tout est minutieusement étudié, détaillé jusqu’au moindre détail dans sa tête. Une partie époustouflante dans le crescendo de sa paranoïa. Un rythme d’enfer, des trouvailles risibles, bref, du thriller psychologique.
Perlmannn ferait-il de la procrastination ? Non, je ne pense pas vraiment, c’est surtout quelqu’un qui est au bout du rouleau, qui tourne en rond dans son domaine, qui n’a plus d’essence plus envie de continuer et qui ne sait comme le dire, comment « l’avouer » aux autres.
Mais ce n’est pas que cela. L’étude de Leskov (donc celle de Perlmannn) porte sur « l’idée que l’on pouvait s’approprier son passé au moyen des souvenirs que l’on raconte. » ; Une théorie fort intéressante. En pleine lecture de ce bouquin j’ai écouté l’émission de François Busnel, sur France Inter, qui recevait Boris Cyrulnik. Celui-ci parlant de son livre raconta un souvenir qu’il avait en tête et qui s’est avéré erroné (la dame qui l’a sauvé était, pour lui, jolie et blonde. Or elle était jolie mais brune) modifié, pour lui, par les réclames américaines. Bien dans le ton.
La grande force de ce livre c’est que l’on ne peut le lâcher, même fermé, il vous hante, vous force à réfléchir. Pourtant nous connûmes un début de liaison chaotique tant je voulais le quitter, mais Perlmann, avec ses réflexions philosophiques m’y autorisât pas. La torture psychologique que s’inflige Perlmann l’amène, petit à petit, à se re-trouver.
Voilà, j’ai lâché le mot et vous vous dites, ce n’est pas pour moi. Non, il faut être patient et laisser Perlmann entrer en vous.
Pascal Mercier connait fort bien le milieu universitaire de haut rang et le décrit méthodiquement avec beaucoup d’ironie. Il demande à ses lecteurs un effort, mais le plaisir naît souvent de la difficulté et ce livre en vaut vraiment la peine. Chaque page, outre la lutte interne de Perlmannn, offre un raisonnement philosophique très facile à appréhender.
Je remercie Entrée et Livre et la librairie Decitre de m’avoir inclus dans leur panel de lecteurs VIP pour cette opération de la rentrée littéraire "Coup de cœur des lecteurs"
Jean-Louis Fournier a écrit un Hymne d’amour à sa fille Marie « entrée en religion ». Oui, mais quelle religion ? Mis à part Monseigneur qui a étendu son emprise sur elle, nul couvent ou ordre religieux ne se profilent. « Monseigneur ne me paraît pas très catholique. Je ne lui donnerais pas le bon Dieu sans confession. »
« Elle est dans les ordres ou elle est aux ordres ?».
Elle a fait vœu
de pauvreté, mais demande, à son père, un 4x4 intérieur cuir et une pension…. « Elle voudrait être une sainte subventionnée ». « Heureusement qu’elle a fait vœu de pauvreté, sinon elle m’aurait demandé une Rolls-Royce ».
Jean-Louis Fournier écrit « S’ils plaisantent, c’est peut-être pour être moins malheureux.
L’humour est un antalgique, on l’utilise quand on a mal ». C’est ce qu’il fait dans ce livre d’une fort bien belle façon, à la manière des désespérés, il invite même Desproges, son compagnon, à son secours.
Parodiant une des dernières paroles du Christ, il écrit « Fille, Pourquoi nous as-tu abandonnés ? »
Il lui pose et se pose beaucoup de questions, voudrait comprendre :
« Peut-être qu’à la différence des piles, les sentiments s’usent quand on ne s’en sert pas ».
« Pourquoi maintenant c’est si difficile ? »
« Pourquoi, maintenant que tu dis être heureuse, que tu déclares être sur terre pour le bien des autres, tu t’es durcie ? »
Pourquoi, depuis que tu es à Dieu, tu es odieuse ? »
Que peut-il espérer d’autre que le bonheur de Marie ; « L’important, c’est qu’elle soit heureuse. Est-ce qu’elle est heureuse ? »
Au fil des années, il ne partage plus grand-chose avec sa fille et c’est terrible pour lui « Je ne l’ai pas invitée au Théâtre du Rond-Point pour voir mon dernier cheveu noir. Je n’ai pas eu envie qu’elle vienne. » Quelle phrase terrible et horrible
Petit livre qui se lit très vite, mais poignant et qui ne se laisse pas oublier. Le sectarisme enferme et coupe de tout. « Sectaire, ça commence comme sécateur, ça coupe. Ça coupe des parents, ça coupe des amis, ça coupe du monde professionnel, ça coupe du monde tout court. ».
Et puis, il y a l’attente, cette attente de la voir quitter son gourou, revenir à son travail de graphiste qu’elle aimait tant. Jean-Claude Fournier avec l’humour acide du désespéré, souffre. Sa détresse affleure à chaque phrase, mais il ose quémander avec cette supplique : « Reviens, avant que je m'en aille. »
J’ai lu de lui Poète et paysan où il y avait déjà cet humour noir et acide. D’autres sont dans l’attente. Jean-Louis Fournier est une belle personne, normal puisqu’il a travaillé avec Desproges en réalisant « La minute nécessaire de Monsieur Cyclopède » !
N’hésitez pas, lisez-le, c’est un petit bijou d'humour du désespoir.
D’une écriture faussement naïve mais réellement harmonieuse, chaleureuse et drôle, Djilali Bencheikh nous raconte son enfance pauvre et heureuse, « Autour de la cour rectangulaire s’agençaient une demi-douzaine d’alvéoles où cohabitaient les bêtes et les humains. La khaïma, protégée par des sarments prometteurs, était la pièce essentielle de la maisonnée. Baptisée ainsi en réminiscence d’un ancien destin de nomades, elle abrite depuis toujours tous les actes de la vie quotidienne. »
Avec lui, nous découvrons les « Roumis », « peuple » détesté mais admiré quelque
fois copié,
Ah, les Roumis ! « On leur prêtait des mœurs barbares, comme celles de manger de la chair animale non égorgée, de s’adonner à des libations et des beuveries qui les rendaient insensés et grossiers. Ils en venaient à ressembler à leurs cochons, ces sangliers domestiques dont ils affectionnaient les tripes. »
Ah les siestes trop longues en compagnie du frère-ennemi à faire un massacre de mouches !!! Ce frère-ennemi tant détesté et cette grande sœur Zahra, tant aimée, que l’on donne en pâture mariage à un citadin. « On est bel et bien entrain de vendre ma sœur. Pour un simple paquet de friandises. » La cérémonie du mariage où, tout est là pour ne pas décevoir la belle-famille qui arrive en « tomobiles » « Encadrés par les cavaliers, les deux engins foncent vers nous, et soulèvent un tourbillon de paille et de poussière en déclenchant une tonitruante complainte de sirènes. « Tomobiles, klaxouns », crient avec une frénésie de primates les plus avertis de la tribu. »
Que de questionnements sur cette fameuse « niqua ». R’nia, petite bergère bédouine saura lui faire quelques « leçons de chose » sur la « chose » en lui permettant de découvrir « sa figue ». Heureusement, le berger Hamel est également là pour lui donner des informations vitales et quelles informations !!! « Dans ce trou de forme évasée nommé soua, le mâle introduit chaque nuit son zeb dressé pour honorer sa femelle. Cette copulation ou niqua procure beaucoup de plaisir à l’homme. Pendant sa jouissance, il éjecte un liquide crémeux, une sorte de pipi doucereux nommé h’laoua. Ce liquide est versé dans le ventre de la femelle qui le conserve par-devers elle. Lorsqu’au bout d’une année son ventre est suffisamment plein de cette douceur, cela produit un bébé qui est pondu comme un veau ou un poulain. ». Et encore d’autres explications toutes aussi fleuries.
De par son jeune âge et jusqu’à la circoncision, l’enfant vit dans les jupes des femmes, surprend quelques poses lascives, s’enivre de leurs parfums, de leurs rires. Du côté des mâles, on ne rit pas, on parle politique, agriculture….
N’allez pas croire que c’est un petit roman comme tant d’autres sur l’enfance vue et interprétée par son auteur. Non, ce livre est plus profond. A travers cette balade dans l’enfance de l’auteur, j’ai découvert la vie au bled, la vie dans l’Algérie « profonde », les prémices de ce que nos politiques qualifieront « d’évènements ». C’est un condensé sur la culture maghrébine, « Cette identité tranquillement vécue en dépit du mépris roumi s’élargissait aux nues célestes du sacré. » comme peut la comprendre un petit garçon, à travers les dires d’un berger ignare. Petit enfant vif et doué, le « midicoule » saura l’apprivoiser.
Ce livre n’est pas sans me rappeler La compagnie des Tripolitaines de Kamal Ben Hameda.
J’y ai trouvé la même douceur, la même chaleur, la même sensualité.
Par ce temps de grande chaleur, un petit détour par Cuba me rafraichira !!
Léo Martin est un flic un peu désabusé, fermant les yeux sur les petits trafics, les putes vieillissantes ou tout juste sur le trottoir…. Enfin, tout ce qui fait la vie de ce quartier de Santa Clara à Cuba. Mais, là, il s’agit d’un trafic…. De lunettes de soleil. Cela pourrait prêter à rire dans ce pays ensoleillé, mais il y a des morts et là, Léo Martin ouvre les deux yeux pour découvrir la vérité. L’intrigue est mince et ne pensez pas trouver un thriller genre américain avec gros calibres, cadavres
dans les placards, politiciens véreux….. Quoique pour les véreux, il y en a une grande collection dans ce livre.
Lorenzo Lunar nous offre une promenade dans sa ville natale. Plus qu’un polar, c’est un roman noir car la vie n’est pas facile à Santa Clara. C’est le système de la débrouille, un système D poussé. Le calambuco coule à flot continu dès le matin. La vie s’organise entre coupures de courant, petits trafics en tout genre, petits accommodements…. Il faut bien vivre car à Santa Clara, la vie n’y est pas facile. La capitale, les vitrines ouvertes sur les touristes sont loin.
Comme un tango, ce livre est sensuel. Comme le tango, Léo Martin a toujours l’air d’improviser, mais à la fin c’est toujours lui qui mène la danse. Il marche avec ses partenaires le temps d’une danse, d’une valse hésitation. Les autres le suivent sans savoir où il va et, des fois, lui non plus ne sait pas quelle direction prendre.
L’intrigue mince permet à Lorenzo Lunar de nous parler de son pays où il est bien connu, surtout très officiellement connu, que la drogue ne circule pas, que le pays est propre sur lui. Alors il nous fait visiter les dessous du pays, beaucoup moins blancs, plus corrompus, avec drogue et mauvais rhum. Le pays du désespoir, de la résignation (apparente ?) même si, comme l’a chanté Aznavour, la misère est moins pénible au soleil. Entre coupures journalières du courant, violence larvée, débrouille…
Les personnages sont hauts en couleur. Ainsi Moro qui fait la queue et vend ses places ; Olga, fille de pute, devenue pute elle-même ; Mayita, la pute qu’il a dans le corps et dans le cœur (quelles lignes enflammées sur Elle !) ; Luisa la compagne quasi officielle ; Gordillo l’indic….. sans oubier « Radio-trottoir ».
Oui, je sais, il y a dans ce texte beaucoup de fois le mot pute, mais c’est le mot que l’auteur emploie.
Un bon livre que j’ai pris grand plaisir à lire. Merci Nanette de l’avoir fait voyager jusque vers moi.
Dernières phrases de la postface de Lorenzo Lunar : « C’est à Santa Clara que se déroulent la plupart de mes romans, au même titre que ma propre vie. Je ferme les yeux et je vois mes personnages déambuler dans es rues. J’écoute les voisins me raconter leurs histoires. Ensuite j’écris. Avec l’assurance de ne jamais tomber en panne d’inspiration » Alors à bientôt de vous lire.
Voilà, tout est dit dans le résumé de l’éditeur.
Luis Sepúlveda nous offre une galerie de personnages secondaires très riches, surtout le maire, surnommé la Limace, qui, d’emblée, m’a fait penser au sergent Garcia de Zorro ! (je me suis guère trompée, au vu des images du film)
Le dentiste, plutôt arracheur de dents, ami du Vieux et son pourvoyeur de romans d’amour. Attention, pas des romans à l’eau de rose, mais des romans d’amour, des vrais qui lui donne une pute de ses connaissances. « Le roman commençait bien. "Paul lui donna un baiser ardent pendant que le gondolier
complice des aventures de son ami faisant semblant de regarder ailleurs..." Il était clair que ce n'était pas un individu recommandable... Ce début lui plaisait. Il était reconnaissant à l'auteur de désigner les méchants dès le départ. De cette manière, on évitait les malentendus et les sympathies non méritées. »
Les Shuars, peuple amazonien que le Vieux a côtoyé et plus, même s’il ne sera jamais des leurs. Cette peuplade vit dans des contrées de plus en plus reculées « D’énormes machines ouvraient des routes et les Shuars durent se faire plus mobiles »
Et puis, il y a les colons « Les colons, attirés par de nouvelles promesses d’élevage et de déboisement, se faisaient plus nombreux » « Et surtout se développait la peste des chercheurs d’or, individus sans scrupules, venus de tous les horizons sans autre but que celui d’un enrichissement rapide ».
Un livre faussement naïf où Luis Sepúlveda dénonce les effets négatifs de la colonisation, de la déforestation, de la politique bananière. C’est un hommage aux peuples primitifs, à la nature. J’ai aimé Antonio José Bolivar Proaño qui préfère lire plutôt que parler, qui enlève son dentier lorsqu’il n’a plus rien à dire « Antonio José Bolivar ôta son dentier, le rangea dans son mouchoir et sans cesser de maudire le gringo, responsable de la tragédie, le maire, les chercheurs d’or, tous ceux qui souillaient la virginité de son Amazonie, il coupa une grosse branche d’un coup de machette, s’y appuya, et prit la direction d’El Idilio, de sa cabane et de ses romans qui parlaient d’amour avec des mots si beaux que, parfois, ils lui faisaient oublier la barbarie des hommes. »
J’y ai retrouvé cette amitié désintéressée, l’apprentissage d’une autre culture, la différence acceptée que j'avais apprécié dans « Histoire de la mouette et du chat qui lui apprit à parler ». Je vais continuer un bout de chemin avec cet homme-là.
« C’était tôt le matin. Elle vaquait à ses occupations dans la cuisine quand elle entendit inopinément un bruit de pas. Son regard se porta vers le vestibule et il se tenait là, sa valise à la main. Il était entré chez eux sans se donner la peine de frapper à la porte. Elle resta sur place, prise de court, et ne put même pas se le reprocher après coup car elle se sentait totalement vulnérable : dans un logement de location, il ne servait à rien de fermer la porte d’entrée à double tour car le propriétaire disposait d’une autre clé et elle avait constamment présent à
l’esprit que celle de son logis se trouvait dans la poche d’un homme qui ne lui était rien ».
Ainsi donc, en Islande, on peut être soi-même locataire de sa maison et avoir un locataire sans le savoir ??? Diantre, drôle de pays !!!
Ce monsieur s’installe dans l’intimité du couple qu’elle forme avec Pétur sans plus de façon, faisant sien le canapé du salon qu’il transporte dans le vestibule, modifiant les ondes radiophoniques selon ses goûts. Quel sans-gêne !!! Petit à petit, le couple fera contre mauvaise fortune bon cœur. C’est qu’il est très gentil ce locataire, ne fait pas de bruit, ne demande rien...
La vie pourrait aller ainsi s’il n’y avait cette maison qu’ils font construire en bordure de mer. Mais voilà, Pétur a privilégié les extérieurs, engageant de gros travaux et, de ce fait, tout l’argent disponible. L’intérieur n’étant pas viable, ils ne peuvent emménager. Une guerre insidieuse s’installe dans le couple. Mais, Méphisto est dans les murs et sort de sa valise une quantité de liasses de billets que le couple acceptera sans trop hésiter. Ainsi ils pourront emménager dans leur « çam’suffit » ; avec le locataire, bien entendu.
J’ai lu ce livre en me demandant quel était ce locataire, un Méphisto, une chimère ???
Les éclaircissements sont arrivés avec la lecture de la postface qui a éclairé la note de l’éditeur. Non, ce n’est pas Méphisto, quoique !!! Ce livre est à lire au second degré du début à la fin et j’ai l’ai relu dans ma tête une bonne partie de la nuit.
Plusieurs images fortes :
Pétur tête goulument les seins de sa femme gorgés de lait alors qu’il n’est aucunement fait mention d’un bébé. Oh, la belle métaphore de la femme nourricière, de l’homme se repaissant du suc de la femme. Tout à son propre plaisir, il ne se soucie aucunement de celui de sa femme qui sera obligée de vider elle-même l’autre sein pendant que l’Homme, repu, dort comme un bébé. « Il éprouvait une telle sécurité et une telle insouciance qu’il n‘ouvrait même pas les yeux et elle fut prise d’une rage soudaine : quel droit avait-il à tout cela ? Et en plus, il ne vidait que l’un des seins ! Il lui faudrait maintenant vider l’autre elle-même si elle ne voulait pas le voir s’engorger. Qu’est-ce qu’il avait à demander plus qu’il ne pouvait engloutir ! »
La femme dans sa cuisine, l’homme au salon…. Un refrain que l’on connait également chez nous. Ce livre a été écrit en 1969 !
« La cuisine de la nouvelle maison avait été peinte en vert sur le conseil du spécialiste. On envisageait, avait-il dit, de peindre toutes les cuisines du pays pour qu’un calme accru gagne les femmes à leurs fourneaux, mais il paraissait juste que les couvercles soient rouges pour qu’elles ne s’endorment pas tout à fait. »
La peur du qu’en-dira-t-on. Elle avait ajouté cette phrase sur l’insécurité, ouvrant du même coup à ces gens une vue plongeante sur ses conditions de vie.
La jambe gauche de l’un et la jambe droite de l’autre des hommes diminuent à vue d’œil. Bientôt pour marcher, ils doivent se tenir enlacés. L’union des deux pays frères qui l’un sans l’autre ne peuvent avancer, mais qui sont quand même brinquebalants… « Et son esprit se tournait déjà vers les corvées domestiques lorsqu’elle suit le locataire des yeux à sa sortie du salon. Il boitait lui aussi. L’une de ses jambes, la gauche, avait raccourci également, même plus que celle de Pétur, semblait-il ».
Un inconnu rôde sur LEUR grève jusqu’au jour où il sonnera à la porte. Un tuteur s’en allant, un autre veut la place (l’inconnu sur la grève) ? « Elle vit seulement qu’il avait les cheveux foncés, presque noirs et son allure générale avait quelque chose d’étranger qu’elle ne pouvait préciser à cette distance »
Le locataire richissime est l’Amérique qui annexe et colonise l’île placée stratégiquement. L’OTAN installe une base militaire en 1951 et les soldats ne partiront qu’en 2006.
Alors, je comprends que ce locataire propose de l’argent sans conditions de remboursement !
Les extérieurs faits avant l’agencement intérieur, n’est-ce pas également le souhait de montrer un pays agréable à visiter sans trop se soucier de l’économie intérieure, le locataire y pourvoira ! Svava Jakobsdottir a eu une prémonition vu la banqueroute des deux plus importantes banques islandaise !
La maison, ce désir de propriété, de pouvoir fermer sa porte, se sentir en sécurité, être certain que personne d’autre n’a de clé. Désir d’autonomie, de grandeur sociale de l’Islande avec l’aide du grand frère (tuteur ?) américain. Mais il faut toujours se libérer d’une tutelle ou d’un grand frère pour être adulte. Ce que fait l’Islande maintenant http://www.monde-diplomatique.fr/carnet/2012-10-18-Islande Quel chemin parcouru, surtout depuis la crise de 2008 !
Ce livre est un véritable pamphlet sur l’état de l’Islande en 1969 dont je vous recommande la lecture. Un petit livre que l’on doit apprivoiser, mais alors là, une vraie découverte.
« Ils ont décidé que le pays natal n’est pas la terre. Que la géographie est une affaire personnelle très relative. Parfois fortuite, dérisoire et même éphémère.
Puisqu’ils l’ont emporté avec eux, leur pays natal » (Hoda Barakat)
« Mon pays natal : celui dont le nom est destiné à figurer, jusqu’à la fin de mes jours, dans la case appropriée de mes papiers d’identité ; celui qui pourra longtemps encore, aux yeux de ceux qui n’aiment pas s’embarrasser de subtilités dans leurs relations avec autrui, suffire à me définir. » (Marcel Benamou)
« Le pays natal
n’existe que l’orsqu’on la quitté. C’est depuis l’exil ou l’ailleurs qu’il émerge et devient cette reconstruction souvent nostalgique, ce phare dans le rétroviseur ; il prend son vrai sens depuis le lointain. Le pays natal est une absence. (Ida Kummer)
« Le pays natal est celui que l’on quitte.
Il est celui qui manque toujours, dont on a toujours la nostalgie.
Le pays natal n’existe pas, il est une construction imaginaire, toujours absent toujours manquant, comme le corps de la mère.
Le pays natal est celui avec lequel on manipule les peuples, on exacerbe leur haine, leur passion exclusive pour un leurre. » (Rosie Pinhas-Delpuech)
« Va-t’en pour toi, de ton pays, de la terre de ta naissance, de la maison de ton père, vers le pays que je te montrerai (Genèse, 12, 1)
Dans ce verset laconique –la parole de Dieu est d’une économie terrifiante- réside la définition du pays natal et sa fonction dans une vie humaine. » (Rosie Pinhas-Delpuech)
C’est une bien curieuse relation que l’on a avec son pays natal. Si on ne le quitte pas, ce n’est « que » votre pays, là où vous vivez, là où les racines se nourrissent de votre vie et vous nourrissent. Par contre, si vous quittez ce pays, que ce soit de plein gré ou par obligation, voire pire, cela devient votre pays natal, chargé de toutes les rancœurs, de tout l’amour, de tous les rêves, de vos colères. Combien de fâcheries, combien d’exils obligés. On tombe du nid et il faut se reconstruire, Alors, vite l’on se met au chaud auprès de ses frères d’exil pour retrouver les odeurs, la cuisine, les mots, le Pays, mais c’est beaucoup plus fade. Vous partez enfant en bas âge, dans le ventre de votre mère ? Ce seront les paroles des adultes, des plus grands qui vous donneront la nostalgie de ce que vous n’avez pas connu.
Le pays natal est aussi et souvent LA maison natale, celle qui a vu notre plus tendre enfance, celle où nos parents ont vécu. De retour au pays natal, on voudrait que rien n’ait changé. « En 1998, à Alexandrie, j’ai subi un terrible choc ! ma maison était détruite ! » (Paul Balta)
De cette maison, Hoda Barakat dit : « C’est la maison suspendue. Au loin. Celle que je visite toutes les nuits, et dont je n’arrive pas à éteindre la petite lumière… »
« Nous n’y demeurons c’est elle qui nous habite et ne nous quitte que dans le vide de la mort (Kamel Ben Hameda)
Les dix-sept auteurs réunis par Leïla Sebbar dans ce livre son remplis de cet amour-haine. Le désir ou le refus de retourner « là-bas » ne sont pas anodins. L’apaisement, la tiédeur ne sont jamais présents dans ces récits. Les textes sont beaux évoquant qui la nostalgie, qui la haine, qui le ressentiment, qui l’orgueil, qui la colère.
Une mention spéciale pour le texte de Mohamed Kacimi : Bled Mikki – Lexique des idées reçues en Algérie. Un abécédaire virulent, un humour caustique qui cache bien mal son âme.
« Armée – Selon un adage populaire, « tous les pays du monde ont une armée mais en Algérie, l’armée a un pays ».
« Ben Laden – Personnage fictif inventé par les Américains. »
Je pourrais vous citer toutes les pages mais je vous propose plutôt de lire ce livre, non pas en une seule fois, non, prenez le temps, dégustez chaque chapitre, reprenez une petite tasse de ces mots.
Un livre empli de poésie, tendresse, haine….. Un livre de qualité, un papier raffiné, comme toujours chez Elyzad.
J’aurais pu mettre beaucoup d’extraits tant ce livre est beau, tant les écrits sont, certaines fois, poignants.
C’est avec un grand plaisir que j’ai reçu ce livre qui voyage au gré de nos désirs grâce à l’auteure Françoise Guérin que je remercie beaucoup de ce geste altruiste.
J’ai lu, il y a quelques temps, « à la vue, à la mort » et j’avais aimé suivre ce commissaire-profileur Lanester. Ce n’est pas un super-héros à l’américaine. Ce n’est pas non plus un flic blindé, tombeur de jupons, alcoolique…. Non juste un homme normal (Et oui, j’ai osé la normalité !!!)
Jeunes filles à croquer ??? Cela sent son peintre pédophile à plein nez ou son tueur en série qui
aimerait croquer des jeunes filles… Que voulez-vous, il y a plusieurs acceptations du mot croquer !!! Allez, hop, je plonge du côté des jeunes filles en fleurs. Mais…. Ce n’est pas ça du tout !
Lanester, son équipe désordonnée mais qui le suit comme un seul homme, va se coltiner une enquête sur la disparition de jeunes filles anorexiques suivant des soins dans un certain établissement alpestre. Vous mettez Lanester and Co dans les Alpes et vous avez une équipe qui est perdue, surtout qu’elle doit travailler « en étroite collaboration » avec la gendarmerie locale commandée par le très séduisant et chef dans l’âme : le commandant Pierrefeu.
Bien entendu, ils se regardent comme chat et chien d’autant Pierrefeu a un certain ascendant sur notre cher Lanester qui déprime loin de la pollution parisienne et de ses repères de citadin. Notre profileur chéri n’est pas au mieux de sa forme depuis la résolution de l’énigme précédente, « A la vue, à la mort », consulte sa psy, fait câlin avec l’infirmière qui s’occupe de son jeune frère enfermé dans son silence.
Le professionnel qu’il est s’attachera à des petits riens pour finir par découvrir les acceptations du mot « Croquer ». Tel une fourmi, il amasse des informations improbables, sans liens entre elles, tissent petit à petit sa toile, je te fais un nœud ici, je te lance un fil dans cette direction…. jusqu’à franchir la porte du labyrinthe au sens propre et figuré du terme. Le suspens va crescendo jusqu’à la fin et quelle fin !
Françoise Guérin m’a encore offert une nuit blanche entre les mains de Lanester. J’ai apprécié ses analyses de l’anorexie, de la culpabilité, du non-dit. Une analyse très fine et intelligente qu’elle distille pour mon plus grand plaisir.
J’attends avec impatience la suite des aventures de Lanester et sa compagnie de branquignoles super-doués.
J’ai lu ce livre il y a quelques deux mois et….. j’ai oublié d’en rédiger la chronique. Ne l’ayant pas relu, mon commentaire retrace ce qu’il me reste dans le coin arrière-gauche de ma jolie petite cervelle et je vois que ce bouquin a laissé quelques indices (normal pour un polar)
Merci Françoise Guérin de faire voyager ce livre vers nous lecteurs.
Pétard mouillé
Un auteur nouveau pour moi et une grosse déconvenue. Tant de pages à décortiquer son nombril…..
Je sais, je suis injuste, le style peut être flamboyant. Oui, les relations familiales y sont bien décrites, mais je ne vois pas la révolte de ce trentenaire bobo. Sauter la femme de son mentor-patron ne fait preuve, à mes yeux, ni de révolte ni d’évolution.
Quant au fractionnement social, je ne l’ai absolument pas remarqué dans ce livre qui se déroule dans le monde judéo-bobo-intello parisien.
Oui, je sais, ce jeune homme habitait Besançon, il a arrêté ses études pour vivre avec une « révolutionnaire » plus âgée que lui, mais bon, qu’est-ce qu’il y a de révolutionnaire ?
« Mais n’est-ce pas ce que je recherchais – la vraie vie, la vie sérieuse, difficile, où on en bave et où des expressions comme être à la hauteur vous viennent naturellement en tête ? A elle l’héroïsme quotidien du lycée, peut-être, mais à moi, sitôt que nous avons vécu ensemble, celui de l’ANPE et des boulots sans suie. Aux orties les valeurs bourgeoises, aux orties mes privilèges ou ce que j’estimais tel ».
Il a fallu attendre la page 283/367 pour avoir l’explication des piètres pages précédentes, pour trouver quelques justificatifs !
Non, je n’ai pas été convaincue par ce bouquin qui, selon certains journaux, devraient faire partie des prix littéraires.