En cours de chargement...
Lélia, j'ai peur de vous. Plus je vous vois, et moins je vous devine. Vous me ballottez sur une mer d'inquiétudes et de doutes. Vous semblez vous faire un jeu de mes angoisses. Vous m'élevez au ciel, et vous me foulez aux pieds. Vous m'emportez avec vous dans les nuées radieuses, et puis vous me précipitez dans le noir chaos ! Ma faible raison succombe à de telles épreuves. Epargnez-moi, Lélia ! Hier, quand nous nous promenions sur la montagne, vous étiez si grande, si sublime, que j'aurais voulu m'agenouiller devant vous et baiser la trace embaumée du vos pas.
Quand le Christ fut transfiguré dans une nuée d'or et sembla nager aux yeux de ses apôtres dans un fluide embrasé, ils se prosternèrent et dirent : "Seigneur, vous êtes bien le fils de Dieu ! Et puis, quand la nuée se fut évanouie et que le prophète descendit la montagne avec ses compagnons, ils se demandèrent sans doute avec inquiétude : "Cet homme qui marche avec nous, qui parle comme nous, qui va souper avec nous, est-il donc le même que nous venons de voir enveloppé de voiles de feu et tout rayonnant de l'esprit du Seigneur ? Ainsi fais-je avec vous, Lélia ! A chaque instant vous vous transfigurez devant moi, et puis vous dépouillez la divinité pour redevenir mon égale, et alors je me demande avec effroi si vous n'êtes point quelque puissance céleste, quelque prophète nouveau, le Verbe incarné encore une fois sous une forme humaine, et si vous agissez ainsi pour éprouver notre foi et connaître parmi nous les vrais fidèles !
Si George Sand demeure illustre pour ses romans champêtres, on sait bien moins en revanche qu'une œuvre aurait pu la placer parmi les plus grands écrivains romantiques de sa génération. Cette œuvre est sans aucun doute Lélia (dans sa première version). La mélancolie du personnage principal est évoqué avec un tel lyrisme qu'il est difficile de ne pas être époustouflé(e) par la beauté de son style.
La vision féminine de George Sand du spleen et certains codes traditionnels qu'elle remet en question confèrent également à ce volume une modernité sans précédent. Les annotations de Pierre Reboul desservent parfois hélas ce titre, mais à sa lecture nous ne pouvons que nous rappeler pourquoi Dostoievski rendit hommage à cet écrivain avec tant de ferveur.