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Plein d'une fraîcheur, d'une simplicité et d'une vitalité insouciantes, où l'avenir se joue au présent, Željka Horvat Čeč consigne les tracas de l'enfance par-delà le fracas des bombes. Un portrait d'une jeune fille, ses troubles, ses émois et ses passions, en temps de guerre. Émaillé de poésie d'une véracité juvénile, ces scènes villageoises, où les conflits politiques et civiles effleurent, sont comme un baume, une idée enchantée de ce qu'est être un enfant dans un pays en proie aux grands tourments de l'histoire : la possibilité, toujours, d'un futur.
Inquiétude. Effroi. Vanité. Brume. Sacrificiel. Un rendez-vous au sanatorium de Görbersdorf en 1912, un décor majestueux où rôdent la mort, la maladie et les bouteilles de Schwärmerei.
Un formidable roman niché dans les creux et les bosses de poumons phtisiques, qui, à la manière d'un conte de pénombre automnale envoûte et entête, on y entre par la porte, on n'en sort jamais vraiment.
Dans une ambiance à la moribonderie désinvolte et volubile - on boit à tour de bras des liqueurs de plantes en slurpant des cuillères de goulash - des hommes malades viennent aux soins dans
une vallée aux vertus réparatrices. Et on discourt beaucoup, on parle et on jase, on a son mot à dire sur tout. De philosophie, de métaphysique, de cosmogonie, de médecine. Et des femmes, il sera beaucoup question. Racontées par des hommes aussi intelligents qu'ils peuvent être ignares, cadenassés dans des idées fermées, des points de vue d'homme, arriérés, grotesques, plantureusement assis sur leur domination.
Une très stimulante réflexion à poumons ouverts, une fine exploration des domaines de curiosité en cours au début du XXème siècle.
Et tout cela observé, du coin de l'œil invisible, par des femmes mythologiques errant des lattes du plancher au voûtes des mansardes.
Drôlatique, inquiétant, ce Banquet des Empouses est un festin royal servi sur un plateau d'argent émaillé par la maîtresse géniale qu'est Olga Tokarczuk.
Working class roman, avec ses héros borderline, ses as de la démerde, ses soutiers vagabonds d'un capitalisme grand adorateur de chair humaine. La fraternité partout, les coudes serrés de ceux qui se serrent aussi le pantalon, la solidarité et les commandements des gars qui habitent cette seconde zone de la société : ne jamais trahir les ouvriers, ne jamais lécher le cul des patrons.
Avec une poésie des ordinaires boulonnés au corps, des colères irisées contre ceux qui profitent de ceux qui n'ont pas grand-chose, une poésie de l'Amicale des Frères et Sœurs d'En-bas, Alberto
Prunetti croque une galerie de portraits hauts en couleur, en fantaisie et en sueur et sang mêlés. Des portraits touchants, minables parfois, mais vivants, tenant la rampe à défaut du manche.
Odyssée Lumpen, c'est le regard débridé sur une vie qui se joue dans les marges, se marre dans la difficulté, s'accroche aux branches et s'imagine toujours des jours meilleurs.
Un vrai bon roman prolétaire sans manucure.
Juste pour le plaisir, comme sur une notice ou un bandeau, dire que Alexandre Labruffe est sans doute l'un des "écrivains les plus doués de sa génération". On blague, mais Labruffe est vraiment doué. D'un style, déjà, reconnaissable immédiatement, ce qui est précieux. D'un sens de l'histoire, aussi, la petite qui se glisse dans la plus grande, un détail une anecdote. D'un sens de l'humour, ici plutôt de la dérision parfois, un goût acidulé et désabusé.
Pour changer, on ne va pas chercher le père, mais l'oncle. Pas le sien, celui de sa compagne.
Avec une tournure à l'obsession,
pris dans les encoignures d'une histoire en pelote à détricoter, Alexandre Labruffe se mue dans la peau de l'enquêteur compulsif.
Un oncle congelé dans les tiroirs de la mémoire, c'est une histoire, sous sa plume ça devient une affaire. Cold Case. Le titre, déjà. Formidable.
L'art du mot, de la formule, de la poésie qui vient recouvrir les silences et admonester les non-dits. L'art de la joute avec la mémoire tapissée de trous. L'art de la recherche d'une vérité enfouie sous des kilos de glace. Labruffe ne joue pas même s'il semble s'amuser, Labruffe ne bluffe pas, il libère.
Cette quête du maillon primordial, cette envie d'en découdre avec les oublis, de nécessité faire loi, chercher le loup dans les détails, ouvrir des brèches pour se glisser dedans. Voilà tout le sel de ce Cold case pas comme les autres. Non pas un fait divers vulgaire, mais une vulgate du fait d'hiver.
A la manière d'un Echenoz, peut-être, Alexandre Labruffe se taille une place de prince dans le panorama de la littérature française, une saveur unique, un lien indéfectible avec son lecteur. Lire Labruffe, c'est lire Labruffe. Point.
Un tueur en série rôde dans les bas-fonds de Cleveland, Ohio...
Ambiance d’enquête hard-boiled, flics tendus, affaires en cours, quêtes personnelles, déchirures en dramaturgie, cercle violence-rédemption.
Ambiance noire où la vengeance reste ce plat qui se mange froid.
Une écriture riche et saisissante, un dessin qui colle aux basques du fond de l’âme et aux carrures sinistres des événements.
Un très bel hommage au roman noir américain !
Loin des grandes odyssées maritimes tendues par les flots et les mutineries, loin des pirateries sauvages et des découvertes nouvelles, Azucre se fait le récit terrible d'hommes quittant leur terre espagnole pour un eldorado nommé Cuba. Mais la réalité sera cruelle...
Où les signes sont partout, funestes présages dominants des âmes en quête d'un avenir meilleur, où le diable est un loup et dieu abandonne les hommes à leur tragique destinée. Azucre chavire le cœur du lecteur pris dans une histoire sinistre d'un temps où l'esclavage et la misère sont des voiles ternies par les
vents mauvais.
Azucre est le récit péniblement bouleversant d'hommes pour lesquels le soleil ne brille pas, il brûle, la vie ne sourit pas, elle montre les crocs. Une écriture à la moelle, intense et fiévreuse, une fusion de l'intime et de l'universel.
Une écriture comme une drogue, une morphine aphrodisiaque, une fois ouvert impossible de ne pas précipiter la lecture afin d’en découvrir toutes les arcanes.
Trois personnages, trois destins, des passés comme des tranchées, des présents comme des attentes et des futurs comme des oublis.
Ces âmes tourmentées sont une lente et précise exploration de nos démons intérieurs et de nos désirs de recommencer à zéro.
Intense, intime et viscéral !
C'est quoi ce putain de merdier !
Ici, aux USA, la vengeance est un plat qui se mange froid, avec les couilles de blancs racistes dans les mains.
Le châtiment est une intrigue lacérée à coups de rasoirs et de barbelés. Une charge contre le suprémacisme blanc et les lynchages qui empoisonnent les sols et les âmes.
Percival Everett est taquin, il se moque de la moitié de ses personnages, les réduit à des cous rouges ridicules, du KKK bien merdeux, Percival Everett carbure au sarcasme et à l'ironie, méthode parfaite de démantibulation du mythe américain : oui, le sang a coulé
et il continuera de couler.
Un roman percutant qui brille par son propos et détonne par son langage châtié, un brûlot qui encolle comme de la pâte de chewing-gum sous une basket, Strange Fruits traité avec une grosse dose d’humour noir, une comédie déboulonnée parfois, le reste du temps : un Crade & Revenge en mode Armageddon.
Fable du clown triste, sourire et mélancolie, ardeur et déracinement, Le trille du diable fait du sens de l'exil une geste politique, quand l'archet frotte les cordes du violons c'est le chant d'un peuple et de son histoire qui élève les consciences, que reste-t-il d'humanité lorsqu'on emprisonne et tue pour une parole ou une couleur ?, la musique peut-être, comme une corde vibrante, une croche du droit, une tristesse qui résonne, la mesure d'un monde porté par le sang des révoltes et de l'art.
Un court et grand texte métaphorique, parabolique, pièce maîtresse de ces œuvres où
la musique sert de bouclier.
A côté de la plaque
Premier chapitre. Quatre pages. Une masterclass. Pur maestria de la mise en bouche. Une ambiance, une poésie, un sens de la phrase. Quatre pages qui en annoncent 230 autres, tout aussi léchées, poilantes, désobligeantes.
Marc Behm se fout du monde qui peuple son livre, il joue des codes avec les coudes, fait du noir de la confiture de tueur en série. De l'enquête, une farce et attrape-moi si tu veux.
A côté de la plaque, c'est de la roublardise déjantée, du poil à gratter insolent, du roman noir pop-corn et champagne. Un plaisir de lecture immense, une galvanisation du lobe frontal, toujours le sourire aux lèvres et le doigt qui piétine d'impatience de tourner la page.
Une masterclass, définitivement.
(Dans les rues de Los Angeles rôde un tueur en série et personne n'en a rien à cirer. Et Marc Behm est l'homme qui valait trois milliards qui tombent à pic. Merci François Guérif.)