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Trois femmes se retrouvent à Mountain View, une prison pénitentiaire dans l’État du Texas. Karen est condamnée à mort pour avoir tué les hommes qui l’ont violée et abîmée, alors qu’elle se prostituait pour survivre. Celia vient assister à la mort de Karen qui a tué son mari, coupable d’être témoin de ses meurtres. Franny revient dans la ville de son enfance après la mort de son oncle, médecin à la prison. Au-delà de leurs différences, les trois femmes sont liées par le quotidien de la prison, et plus particulièrement de ces femmes, Karen, Jackie, Veronica, Tiffany,
qui sont dans le Couloir de la Mort.
Celles qui savent qu’elles vont mourir recréent, chacune à sa manière, leur univers au sein d’un environnement hostile. En attendant la mort, elles décorent leur cage, dessinent les murs, soignent leur corps. Amanda Eyre Ward décrit leurs tentatives, qui tantôt paraissent vaines, tantôt touchent jusqu’à l’intimité. Des mots jaillissent la simplicité, l’habitude, l’amour qui nourrissent le quotidien de ces femmes en sursis.
Le besoin de vivre, la proximité et la précarité d’un quotidien stérile exacerbent les tensions. Les rituels de la prison, les chaînes, les barreaux et les violations de leur vie intime les prive de leur dignité.
Comme Jean Meckert dans Nous sommes tous des assassins, Amanda Eyre Ward incarne tour à tour les positions concernant la peine de mort : il y a celles qui s’y opposent parce qu’elles ont cerné que les criminelles étaient parfois innocentes ; et celles qui ont perdu un mari, un enfant, un frère, et qui ont besoin qu’on reconnaisse leurs souffrances.
Tout en gris comme leur tenue de prisonnières, le roman d’Amanda Eyre Ward donne à voir une humanité à la fois belle et horrible, digne et écœurante.
À travers leurs télévisions, dans leur cage, on observe de loin les réactions de l’extérieur. Les médias ostracisent les prisonnières ou en font des égéries. Voyeurs, ils volent les moindres informations sur leur vie passée et présente (le dernier menu du condamné), quitte à inventer et mentir, au profit du scoop.
Amanda Eyre Ward a su saisir ce dernier instant, quand l’inéluctable mort vient, et que seules la dignité et la paix comptent encore pour celle qui va mourir. Il fallait l’écriture d’une femme pour rendre à la femme sa puissance devant la mort. Ce très beau premier roman, publié aux éditions Buchet/Chastel, est à la hauteur du sujet qu’il traite.
Lady L., roman politique et passionnel, confronte deux visions de la société idéale. D’un côté le duc de Glendale, nihiliste, croit entraîner la révolution du peuple en faisant un étalage indécent de ses richesses et de ses privilèges ; de l’autre, le terroriste anarchiste Armand Denis perpétue les attentats pour troubler les gouvernements, les forcer à réduire les libertés individuelles jusqu’au moment intolérable où le peuple se révoltera contre un régime dictatorial…
Entre les deux, il y a l’humanité, une grande dame qui met les hommes à genoux, prêts à la
servir jusqu’à la mort, et Lady L., une vieille noble qui raconte sa vie à Sir Percy, l’incarnation de l’Angleterre conservatrice, flegmatique et puritaine.
Lady L., caustique et sophistiquée, est réputée à travers l’Angleterre pour ses extravagances et ses caprices. Volontiers provocatrice et cynique, elle se moque de la société qui la tolère, de sa vie fastueuse et des protocoles royaux.
Le jour de ses quatre-vingts ans, elle apprend que son pavillon d’été a été réquisitionné par le gouvernement. Or, ce palais ne renferme pas seulement ses trésors d’excentricités, tels que des objets d’art hétéroclites et des portraits familiaux customisés par les traits de ses animaux chéris ; il renferme aussi un secret. Et Sir Percy devra l’aider à le mettre en sûreté, mais il faudra lui raconter sa vie, la vie d’Annette Boudin, une Française des bas-fonds, prostituée à seize ans et proche des milieux anarchistes… Sir Percy, poète de l’amour platonique, se fige de surprise en surprise.
Riche de surprises et de détails historiques au point de confondre la réalité et la fiction, Lady L. n’est pourtant pas le meilleur roman de Gary. S’il a souvent mêlé le message politique à la fiction, cette fois Gary semble avoir habillé les idées par des personnages qui n’ont pas autant de consistance que dans les autres romans.
Loin d’un monde en mutation, Florence et Edward s’apprêtent à passer leur nuit de noces. En 1962, alors que Macmillan est élu président en Grande-Bretagne et Kennedy aux États-Unis, la bombe H et l’effondrement de l’Empire anglais concentrent les débats, tout comme la contraception, le rock et les Beatles relèvent les mœurs de la nouvelle génération.
Intemporels et figés sous le paravent de familles aisées, ils tâchent de créer le mythe de leur amour, même s’ils ignorent être des inconnus l’un pour l’autre.
Ian McEwan est parvenu à un tour de force : à travers
l’étroite fenêtre de l’espace-temps concentrée sur leur nuit de noces, il condense deux vies entières, pleines de préjugés, de maladresses et de non-dits. À l’approche de leur premier rapport sexuel où la tension monte en puissance, les déceptions et les rancœurs se cristallisent : rien ne se passera comme prévu, à notre grand plaisir.
Maîtrisant habilement la narration, Ian McEwan nous offre l’œil intérieur de chacun pour mieux nous montrer les discordances. Au fil du roman, il distille çà et là les indices, les incohérences d’une relation dont l’échec semble imminent. Sur la plage de Chesil est un moment de lecture jouissif, surtout à une époque où les mœurs sont plus libres qu’en 1962 ; à coup sûr, il laisse en mémoire ses contours et son mordant longtemps après qu’on a refermé le livre.
Lire la critique sur mon blog :
http:// bibliolingus.over-blog.fr
Si la lutte des classes n'existe plus au sens marxiste, la bourgeoisie est la seule classe sociale à avoir conscience de soi, de ses intérêts et de ses limites.
La bourgeoisie et la noblesse accumulent et entretiennent les capitaux économique, social et symbolique. En tant que dernière classe au sens marxiste, la bourgeoisie se mobilise par un travail collectif pour préserver et transmettre ses richesses à l'intérieur du groupe : les mariages endogamiques et la cooptation définissent les frontières de la classe.
Ayant conscience de leur appartenance, les bourgeois et les nobles
n'ont de cesse de se retrouver entre eux, d'abord parce qu'il est agréable de se trouver parmi les personnes qui nous ressemblent, et d'autre part parce qu'il s'agit d'entretenir le capital social et affirmer chaque jour cette appartenance. À ce titre, les cercles (le Cercle du Bois de Boulogne, le Cercle de Deauville, le Jockey club, le Polo de Paris…), les rallyes qui réunissent les jeunes en vue de créer des alliances amoureuses, les activités culturelles (l'opéra, les ventes aux enchères pour les philistins), les activités sportives (le ski, le golf, la chasse à courre en Afrique) et les lieux de villégiature (les résidences privées ultra surveillées dans le monde, ou l'île Moustique…) sont autant d'occasions de multiplier les liens qui tissent le réseau bourgeois.
Toutefois, les bourgeois manifestent aussi leur mobilisation cohabitant dans les mêmes quartiers (les 6e, 8e et 16e arrondissements de Paris) et les mêmes lieux de villégiatures. L'internationalisation (par les nurses étrangères, les écoles d'élite et les études) est aussi source de mobilisation, puisque, à travers le monde entier, on se retrouve entre soi et on cultive des intérêts communs ; cette internationalisation explique par ailleurs la facilité avec laquelle la bourgeoisie s'adapte à la mondialisation.
Les nouveaux riches, les hommes d'affaire, les « parvenus », singent les étiquettes et les protocoles de la classe sociale ; mais la noblesse et la bourgeoisie se définissent par leur ancienneté davantage que par la richesse. Elles veillent à occulter, en toute discrétion, les possessions matérielles au profit des qualités personnelles des individus qui composent le groupe, et à gommer leur dépendance au système économique : « Si nous sommes riches, c'est parce que nous avons des qualités nobles, et ce n'est pas par l'exploitation des autres classes qui travaillent pour nous assurer des rentes. » Dans le même sens, les chefs d'entreprise tentent d'acquérir de ce capital symbolique en installant leurs sièges sociaux dans les quartiers bourgeois de Paris, ce qui n'est pas sans incommoder les bourgeois qui sont dépossédés de leur lieu de vie.
L'intégralité de la critique sur mon blog :
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C’est moi qui éteins les lumières, qui fais le ménage, le goûter des enfants, la cuisine, les réceptions, le ménage encore, les courses, le ménage toujours… Le cadre exotique pour le lecteur français – la communauté arménienne en Iran dans les années 1970 – ne suffit pas à tromper l’ennui et la banalité des propos.
Clarisse, mère au foyer d’Armen, un adolescent intelligent, drôle et obéissant, et de jumelles, Arsineh et Armineh, intelligentes, drôles et… obéissantes, est la narratrice de leur quotidien dans un quartier préservé d’Abadan. Son mari, Artosh,
remplit tout à fait son rôle de maître de maison : ronchon juste ce qu’il faut, il travaille à la très paternaliste Compagnie de raffinerie – qui leur fournit maison, jardinier, réparateur et ramassage scolaire – et trouve normal que sa femme se démène sans compter. Il se passionne pour les échecs, mais il a bien un défaut : il s’intéresse à la politique ! Surtout avant la révolution iranienne en 1979, le peuple ne doit en aucun cas prendre part aux questions d’ordre public, sous peine de s’attirer des ennuis.
Bon nombre de personnages, comme la mère et la sœur de Clarisse, les voisins et leur marmaille, le commerçant du coin et la femme de ménage, agrémentent le récit de situations stéréotypées et prévisibles.
Malgré l’apparence paisible, on croit au bouleversement quand de nouveaux voisins arrivent, mais pas d’inquiétude ! Si Clarisse éprouve une attirance pour Émile, elle ne passera jamais le cap de l’adultère. L’intrigue extra-conjugale est lissée au point qu’il ne se passe rien de particulier chez Clarisse lorsqu’Émile lui déclare en aimer une autre.
Et la rencontre avec Madame Nourohalli, une Iranienne secrétaire et féministe, ne transcende pas non plus la vie de Clarisse, femme soumise qu’on garde à la maison pour nettoyer, cuisiner et ranger. Le potentiel était énorme, car Zoyâ Pirzâd aurait pu faire de Clarisse une femme qui s’émancipe, en quête de liberté et de plaisirs.
L’Algérie des années 1930 vit les prémisses de l’indépendance. Le mouvement nationaliste nait, des consciences s’éveillent. Younes, le narrateur, a grandi dans un bidonville près d’Oran, dans la misère absolue. D’emblée, on imagine une prise de position sociale, politique, humaine : l’homme indéfectiblement mêlé à la naissance de son pays – comme l’Indien Saleem Sinai dans Les Enfants de minuit de Salman Rushdie – pourrait raconter une époque révolue à travers le prisme de son intimité. Or, si le premier tiers du roman évolue dans ce sens, la suite est toute
autre. Younes est confié à son oncle, un riche pharmacien marié à une Française. Il devient Jonas ; il habite le quartier aisé des colons ; il s’arrache à la pauvreté de ses origines. Identité brouillée et compagnie faussée, le garçon se déchire entre deux univers qui ne cohabiteront plus que pour quelques années.
Les réalités sociales et matérielles sont alors occultées au profit de considérations radicalement différentes. Alors qu’il découvre les rapports sexuels avec Mme Cazenave, une femme plus âgée et respectée au village, Jonas se lie d’amitié avec une bande de jeunes colons, interchangeables et insipides, et s’enferme dans une passion impossible : amoureux d’Émilie, la fille de Mme Cazenave, il s’isole, s’enlise dans un quotidien aussi ennuyeux pour lui que pour nous.
La banalité est affligeante, les querelles amoureuses et les trahisons entre camarades n’ont plus de fin ; le livre non plus. L’intrigue, qui n’avait pas vraiment démarré, s’affaisse lors de la conquête de l’indépendance en 1962 et peine à s’achever. L’homme ne saisit jamais son bonheur ; il laisse filer la femme qu’il aime, le pays qu’il dénigre pour d’insignifiantes disputes, et le lecteur qu’il lasse.
Au final l’Algérie, profondément marquée par son histoire toujours fascinante et pourtant cruelle, n’est pas au cœur de ce roman ; transposable à l’infini, Younes (Jonas !) aurait pu vivre en France avec sa bande d’amis et son amour inaccessible.
Si l’histoire manque de l’aura algérienne, le style est tout aussi décevant. Yasmina Khadra a privilégié la narration au détriment de l’action. Pour preuve, le récit de la torture a été résumé ainsi : « Je persistai à nier en bloc. Les interrogatoires s’enchaînèrent, les uns piégés, les autres musclés. Krimo attendait la nuit pour revenir à la charge et me torturer. Je tins bon1. » À coup sûr la torture, qui a particulièrement marqué les esprits à propos de la guerre d’Algérie, aurait gagné en intensité avec l’évocation de circonstances précises sur l’état psychologique du personnage, sans forcément tomber dans l’excès de détails sordides.
Enfin, l’usage abusif de l’imparfait et des expressions toutes faites – dont voici l’exemple le plus remarquable : « Ses yeux brillaient de mille feux. Il était aux anges2. » –, écrasent l’événement et lui enlèvent sentiment, surprise et saveur.
"Nous allons avoir une vie extraordinaire"
« John Patterner ! […] L’homme que j’ai épousé et avec lequel j’ai passé toutes ces années vides et vaines dans ce café ridicule de la rue des Esclaves. Tout m’a l’air si stupide rétrospectivement ! Quelle existence petite et sordide nous menions dans notre ghetto ! Que notre vie était futile ! Nous remplissions nos journées de néant. À présent regarde-nous ! Nous avons toujours été étrangers l’un à l’autre. C’est seulement maintenant que nous commençons, enfin, à voir combien cela est vrai. »
Tout est écrit : Sabiha, une Tunisienne, a épousé l’Australien John avec lequel elle tient un restaurant à Paris. Leur vie est aussi routinière et pauvre que l’intrigue de ce roman. Ensemble, ils gèrent leur établissement qui accueille principalement les ouvriers tunisiens du quartier Montparnasse. Tandis qu’elle cuisine, John fait le service et s’occupe des diverses tâches d’entretien. Le samedi soir, Sabiha reprend les chants envoûtants de son pays, accompagnée de l’oud de son ami Néjid.
Ils auraient été heureux mais seul hic, ils ne parviennent pas à avoir d’enfant. Les années passent, au fil de pages fort ennuyantes, pendant lesquelles Sabiha fait de ce manque une obsession. Puisque le lecteur sait d’emblée qu’ils finissent par avoir un enfant – aucun spoil – le seul suspense est : comment ont-il fait ? La palette de choix est restreinte et inintéressante.
Le narrateur, témoin indirect de la vie de ce couple mortel, prouve la pauvreté de l’intrigue en ne racontant que les journées où l’action se passe. Malgré tout, la lassitude est inévitable ; les actions sont plates, mal amenées, trop précipitées ou décrites, au contraire, trop en longueur quand ce n’est pas nécessaire...
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