A partir de la Troisième République, les Français se passionnent pour l'enquête et le renseignement. Fascinés par les aventures de Sherlock Holmes et le modèle d'agence américaine de renseignement d'Allan Pinkerton, ils font du détective, en un siècle seulement, une figure à la fois proche et familière.
Dominique Kalifa explore l'histoire des "privés" Ils sont payés pour démasquer l'amant d'une femme adultère ou la matresse d'un mari infidèle, rassurer des parents sur la "moralité de leur futur gendre, retrouver un disparu, garantir la solvabilité d'un débiteur ou enquêter sur la probité d'un employé. Officiellement, ils sont "agents de renseignements". Dans la langue de tous les jours, ils sont plus simplement désignés comme "détectives", un terme importé d'Angleterre la fin du XIXme siècle où Conan Doyle inventa le personnage de Shelock Holmes et où, en France la profession connut un développement sans précédent.
L'origine anglo-saxonne du mot n'est évidemment pas fortuite. Les "privés" ont d'abord prospéré dans des pays sans tradition de police étatique. En Grande-Bretagne, par exemple, où Scotland Yard, fondé seulement en 1829, a mis des décennies s'imposer. Aux Etats-Unis, plus encore, où il a fallu attendre 1908 pour que soit créé un"Bureau fédral d'investigation" (FBI). Une situation toute différente en France, où la construction d'une police puissante dés l'Ancien Régime a durablement tenu en lisière une activité considéré comme inutile autant qu'illégitime.
Il aura fallu attendre la Restauration, et surtout la monarchie de juillet, pour que se multiplient les "bureaux de renseignements". Dans le Paris de l'époque, gagné par la fivre des affaires, la plupart se éspcialisent dans la traque aux escrocs et aux mauvais payeurs. Le plus célèbre est Franois Eugène Vidocq. L'ancien bagnard devenu chef de la secrète quitte ses fonctions en 1832 pour fonder sa propre agence.
Une entreprise florissante, comme en attestent ses somptueux locaux de la galerie Vivienne où s'active un personnel interlope d'un bon nombre de repris de justice au passé ténébreux. Archétype de l'agent de recherches à la française, Vidocs fait partie des enquêteurs de l'ombre qui ponctuent le récit captivant de Dominique Kalifa, réédité en poche - avec quelques ajouts- sept ans après sa sortie. S'efforçant de cerner une réalité forcément plus protéiforme que ne le suggère une littérature populaire avide de cliché (de Ponson du Terrail Lo Malet), l'historien s'est plongé dans le quotidien de ces limiers illustres ou inconnus, retraçant le destin d'officines aux noms suggestifs (Securitas, Le Lynx, La Discrtion, L'Oeil du matre).
Sans manquer d'évoquer quelques filatures rocambolesques. Au-delà des anecdotes, l'auteur brosse en creux le portait d'une socité qui trouve dans l'espionnite un exutoire à ses peurs. Ce n'est sans doute pas un hasards si les agences de détectives - comme d'ailleurs les socités de surveillance et de gardiennage- vécurent leur âge d'or la Belle Epoque quand les faits divers envahirent les colonnes des journaux.
Eclaboussée par divers scandales, la profession continua pourtant de pâtir d'une image sulfureuse. Et d'évoluer dans un flou juridique qui ne sera comblé qu'en 1942 sous Vichy, par une loi tentant de faire face la prolifration des polices paralèlles ou supplétives, et réclamée par certains détectives soucieux d'"assainir" le métier.