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LE LIVRE A Paris, Minga découvre après la mort de son père des lettres de sa mère, Joséphine Meyer, qui a quitté le domicile conjugal il y a longtemps et dont Minga n'a jamais eu de nouvelles. La dernière lettre vient de l'ONG pour laquelle Joséphine travaillait en tant qu'infirmière et annonce sa mort dans des circonstances mystérieuses en Afrique de l'Est. Pour tenter d'en savoir plus, Minga choisit de rejoindre le camp de Bidibidi, au nord de l'Ouganda, où se sont réfugiées les populations fuyant la guerre civile qui fait rage au Soudan du Sud.
Elle y rencontre Samuel, le chef du village 10 de Bidibidi, Véronika, sa femme, et Jane, qui finissent par l'aider dans sa quête quand ils comprennent qui était sa mère. Ils lui racontent la guerre, l'exode, les femmes qui ont tout perdu et combien Joséphine avait le souci de réparer les corps et les âmes. Minga découvre alors que tout tourne autour d'une autre femme : Rose. Mais où est-elle ? Elle hante chaque recoin du camp, chaque souvenir de Samuel, de Véronika ou de Jane.
Pourtant elle n'est nulle part. Minga comprend que, si elle veut savoir le fin mot de l'histoire de sa mère, elle doit trouver Rose. Dans ce roman servi par une écriture fluide et puissante, Charline Effah raconte comment les survivantes des violences domestiques ou des viols de guerre tentent de se reconstruire, ramassent leurs rêves fracassés et réinventent l'amour loin de la brutalité des hommes qui les ont mal aimées.
Brisant les tabous, elle nous livre un texte bouleversant et universel sur le corps des femmes, le roman de la réparation.
L'oeuvre de la maturité
J’ai découvert Charline Effah dès son premier roman, Percées et Chimères. Les femmes ont cette aura qui fait que leurs parcours intimes peuvent amener leurs vies à se croiser et s’entrecroiser. La littérature étant l’un de ces sentiers.
Les premières œuvres de l’autrice se déroulaient à mi-chemin entre l’imaginaire et le réel. Tantôt à Nlam, pays africain fictif permettant ainsi de donner corps à toutes les Afriques, tantôt à Paris. Pour un ancrage dans le réel et nous permettre de toucher du bout des doigts les fêlures de ses héroïnes.
Mais avec les Femmes de Bidbidi, j’ai ressenti un véritable tournant. Envolé l’imaginaire, envolée la liberté de refermer le livre et de retrouver instantanément la tranquillité de l’esprit. Car Bidibidi, c’est la réalité. Bidbidi existe.
Pour les moins renseignés, Bidibidi est l’un des plus grands camps de réfugié.es au monde, situé au Nord-Est de l’Ouganda. Non loin de la frontière avec le Soudan du Sud, qui durant sept longues années, jusqu’en 2020, aura été le théâtre de massacres ethniques entre les Dinkas et les Nuers. Occasionnant bon nombre d’atrocités et de crimes de guerre, mettant ainsi au premier rang des victimes les femmes et les enfants, qui furent violés, mutilés et massacrés par milliers.
Charline Effah nous jette dans le réel en mettant à notre disposition, dès les premières pages, une carte nous permettant de situer géographiquement les lieux de son récit avant d’entamer sa fiction qui jongle entre différents styles narratifs.
Kajo-Keiji, Juba, et les chemins qu’auront arpentés Jane, Véronika, son époux Moïse et leurs enfants, les pieds sanglants, les peaux arrachées, les corps outragés, les vêtements déchirés, troqués pour monnayer leur survie jusqu’à Bidbidi. Ces survivants qui rencontreront Minga, jeune parisienne à la recherche de sa mère. N’ayant pour toutes informations que quelques vieilles lettres, et un nom : Rose Akech.
Si le respect pour les futurs lecteurs m’empêche d’en dire davantage, je souhaite néanmoins saluer la force du roman « Les femmes de Bidibidi » et de ses héroïnes, leurs récits, leurs drames et le message qu’envoie cette œuvre : le corps des Femmes n’appartient qu’à elles. Peu importe qu’on leur ait « brisé les ailes, leurs nervures, extirpé leurs racines pour les brûler et en jeter les cendres dans un cours d’eau », elles finissent toujours par « les redéployer, malgré le craquement et la douleur » (Op. cit).
On finit toujours par entendre à nouveau « le bruissement des ailes brisées » (Op. cit).
Les femmes de Bidibidi est un roman majeur qui trouvera deux publics. Les hommes, qui le liront. Et les femmes, qui sauront.
Charline Effah, par cette œuvre, se défait de tout féminisme de salon, de ces luttes divergentes pour rappeler l’essentiel : qu’importe l’époque, qu’importe le pays, qu’importe l’ethnie, qu’importe le conflit, les premières victimes seront toujours les femmes. Et c’est par la force de sa plume, par des larmes d’encre que jaillit toute la puissance de son message, celui des femmes de Bidibidi.