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René Daumal (1908-1944)
"Je nie qu'une pensée claire puisse être indicible. Pourtant l'apparence me contredit : car, de même qu'il y a une certaine intensité de douleur où le corps n'est plus intéressé, parce que s'il y participait, fût-ce d'un sanglot, il serait, semble-t-il, aussitôt réduit en cendres, de même qu'il y a un sommet où la douleur vole de ses propres ailes, ainsi il y a une certaine intensité de la pensée où les mots n'ont plus part.
Les mots conviennent à une certaine précision de la pensée, comme les larmes à un certain degré de la douleur. Le plus vague est innommable, le plus précis est ineffable. Mais ce n'est là, vraiment, qu'une apparence. Si le langage n'exprime avec précision qu'une intensité moyenne de la pensée, c'est parce que la moyenne de l'humanité pense avec ce degré d'intensité ; c'est à cette intensité qu'elle consent, c'est de ce degré de précision qu'elle convient.
Si nous n'arrivons pas à nous faire entendre clairement, ce n'est pas notre outil qu'il faut accuser.
Un langage clair suppose trois conditions : un parleur sachant ce qu'il veut dire, un auditeur à l'état de veille, et une langue qui leur soit commune. Mais il ne suffit pas qu'un langage soit clair, comme une proposition algébrique est claire. Il faut encore qu'il ait un contenu réel, et non seulement possible.
Pour cela, il faut, comme quatrième élément, entre les interlocuteurs une expérience commune de la chose dont il est parlé."
Conte philosophique et surréaliste.
Une soirée bien arrosée amène le narrateur dans des discussions surréalistes avec ses compagnons de beuverie. Fin saoul, il s'endort et, en rêve, il visite la "Jérusalem", un monde sans alcool, où un infirmier lui fait rencontrer de singuliers "malades"...
Fol éther
Ça commence comme ça - alors que le vin coule à flots et que malgré tout on ne parvient jamais à étancher sa soif -, par un discours sur la puissance des mots. La philosophie devient comptoir, les têtes tournent à la vapeur d’alcool, l’imagination lâche les brides de la vraisemblance.
L’intelligence n’a plus de bornes que la frivolité délirante des mots et de la pensée. On se retrouve dans cet ailleurs lointain où toute réalité se fait œuvre fantaisiste. On y élabore concepts et prophéties, poésie et vanité, tout y est n’importe quoi tout en restant vissé à la perception viscérale du monde. On y règle ses comptes, contre la bêtise et la critique, contre une société en proie à son propre désœuvrement. On jubile, on rit, on prend des postures de dramaturgie hilare.
René Daumal écrit comme on projette un trait d’arbalète, c’est une comète lancé à pleine vitesse dans l’univers rond de la routine. Echevelée, l’écriture de Daumal possède cette folie, cette mélodie étincelante, qui font de cette grande beuverie une bacchanale puissamment originale.
C’est Socrate passé à la moulinette d’Audiard,
c’est Alice au pays des merveilles sauce Alfred Jarry
Désopilant et grave !
On ne remerciera jamais assez les éditions Allia.