C'est un long monologue ininterrompu adressé à un ami, c'est un long sanglot gorgé de remords, c'est une lettre poignante d'une fille à son père, à ce vieillard « qui attend la visite de sa fille devant un thé triste », et qui ne vit plus désormais pour elle qu'à travers ses lettres précieuses qu'il lui avait adressé. Et toujours elle les relit, et toujours elle retourne dans cette maison près de ce cours d'eau, sous cette pluie chaude, ces choses simples que son père aimait par-dessus tout. Mais ce deuil terrible inverse l'équilibre de la vie : elle est morte et il vit, en
elle, comme un vampire. Cette identification est épuisante et passe à travers tous les sens. Pourtant c'est notre sensibilité de vivant qui fait de nous des êtres ayant besoin de sentir les contrastes de la sensation, en nous faisant toujours redouter le pire. Et ce regret de n'avoir aucune image de la mort de son père « pour nourrir ma mémoire ». « Sais-tu (…) que les morts laissent leur image sur notre rétine et qu'à travers ce voile nous ne voyons plus le monde de la même manière ? ».
La mort est comme extérieure à nous, bien que, paradoxalement, elle soit intrinsèquement liée à l'économie du vivant, et donc une chose dont, justement, personne ne peut faire l'économie. Ce « triste embrassement » dont Linda Lê nous parle, c'est ce qu'il y a de plus traumatisant dans la mort : la tragédie que représente la disparition d'un proche, un scandale bien plus poignant que la projection de notre propre mort, un événement inadmissible qui provoque chez elle un remords, un désespoir absolu : « J'ai laissé mon père mourir seul ». « Sa solitude m'accuse », ce thème de la trahison, de la désertion, est un leitmotiv que l'on retrouve tout au long du texte. Et ici, d'autant plus, que cette disparition est redoublée par vingt années de séparation. Elle aurait beau imaginer « L'heure dernière, l'instant dernier » - expressions qu'elle déteste – cela aurait un air de musée, ou de papillon épinglé.
La mort, c'est en nous-mêmes que nous la portons, comme une nécessité physiologique, que nous y pensons, et que, souvent, nous essayons d'oublier par le divertissement, en détournant le cours de cette pensée. Cette dernière est enfouie au plus profond de nous et stigmatise notre fragilité, c'est pourquoi nous la maquillons sous des expressions toutes faites, celle-là même que nous « utilisons pour masquer la terreur, le frisson d'épouvante qui nous saisit, nous les survivants, à la pensée que le temps continue à s'écouler quand, pour l'homme qui gît là, le temps n'a plus aucun sens ». Et le père devient un fantôme qu'elle doit porter sur son dos, et ces mots sur le papier, seules choses matérielles qui lui restent de son père, sont aussi le tombeau du père. Mais elle a aussi l'impression que durant le temps de la séparation, pendant vingt ans, il était déjà mort, et que sa mort véritable devient une résurrection.
"l'Autre est déjà mort et pèse sur moi comme l'obsession de la mort" (Maurice Blanchot)
C'est un long monologue ininterrompu adressé à un ami, c'est un long sanglot gorgé de remords, c'est une lettre poignante d'une fille à son père, à ce vieillard « qui attend la visite de sa fille devant un thé triste », et qui ne vit plus désormais pour elle qu'à travers ses lettres précieuses qu'il lui avait adressé. Et toujours elle les relit, et toujours elle retourne dans cette maison près de ce cours d'eau, sous cette pluie chaude, ces choses simples que son père aimait par-dessus tout. Mais ce deuil terrible inverse l'équilibre de la vie : elle est morte et il vit, en elle, comme un vampire. Cette identification est épuisante et passe à travers tous les sens. Pourtant c'est notre sensibilité de vivant qui fait de nous des êtres ayant besoin de sentir les contrastes de la sensation, en nous faisant toujours redouter le pire. Et ce regret de n'avoir aucune image de la mort de son père « pour nourrir ma mémoire ». « Sais-tu (…) que les morts laissent leur image sur notre rétine et qu'à travers ce voile nous ne voyons plus le monde de la même manière ? ».
La mort est comme extérieure à nous, bien que, paradoxalement, elle soit intrinsèquement liée à l'économie du vivant, et donc une chose dont, justement, personne ne peut faire l'économie. Ce « triste embrassement » dont Linda Lê nous parle, c'est ce qu'il y a de plus traumatisant dans la mort : la tragédie que représente la disparition d'un proche, un scandale bien plus poignant que la projection de notre propre mort, un événement inadmissible qui provoque chez elle un remords, un désespoir absolu : « J'ai laissé mon père mourir seul ». « Sa solitude m'accuse », ce thème de la trahison, de la désertion, est un leitmotiv que l'on retrouve tout au long du texte. Et ici, d'autant plus, que cette disparition est redoublée par vingt années de séparation. Elle aurait beau imaginer « L'heure dernière, l'instant dernier » - expressions qu'elle déteste – cela aurait un air de musée, ou de papillon épinglé.
La mort, c'est en nous-mêmes que nous la portons, comme une nécessité physiologique, que nous y pensons, et que, souvent, nous essayons d'oublier par le divertissement, en détournant le cours de cette pensée. Cette dernière est enfouie au plus profond de nous et stigmatise notre fragilité, c'est pourquoi nous la maquillons sous des expressions toutes faites, celle-là même que nous « utilisons pour masquer la terreur, le frisson d'épouvante qui nous saisit, nous les survivants, à la pensée que le temps continue à s'écouler quand, pour l'homme qui gît là, le temps n'a plus aucun sens ». Et le père devient un fantôme qu'elle doit porter sur son dos, et ces mots sur le papier, seules choses matérielles qui lui restent de son père, sont aussi le tombeau du père. Mais elle a aussi l'impression que durant le temps de la séparation, pendant vingt ans, il était déjà mort, et que sa mort véritable devient une résurrection.