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L'histoire de l'édition depuis les années 1980 ne se réduit pas à l'emprise, si souvent commentée, des grands groupes et des logiques commerciales. La période récente a également vu l'apparition de petites structures éditoriales qui revendiquent une position " critique " et qui, pour certaines, parviennent à s'inscrire dans la durée en dépit des nombreuses difficultés économiques qu'elles rencontrent.
Sophie Noël a mené une enquête approfondie sur ces éditeurs " indépendants ", dont elle restitue les résultats dans cet ouvrage. Elle a étudié une trentaine de maisons d'édition qui, apparues entre 1985 et 2005, publient principalement dans le domaine de la critique sociale et s'emploient à concilier les exigences de l'excellence intellectuelle et de la radicalité poli-tique. L'analyse s'attache notamment à l'économie, souvent très précaire mais à forte portée symbolique, de ces petites structures.
Qui sont ces éditeurs qui incarnent la résistance à une certaine marchandisation de la culture ? Dans quelle mesure leur catalogue se démarque-t-il de ceux des grosses maisons et des grands groupes ? Comment expliquer leur " vocation " et leur dévouement aux valeurs fondatrices de l'édition ? À quelles conditions les plus heureux d'entre eux parviennent-ils à survivre ? Cette analyse, au-delà de sa contribution à la sociologie de l'édition, livre des clés pour comprendre les mutations et les contradictions contemporaines des secteurs culturels et réfléchir aux stratégies de résistances qui peuvent être déployées face à la montée en puissance de la rationalité marchande.
« Faire de la politique en faisant de l’édition »
Parmi la multitude de petites maisons indépendantes, quelques unes ont choisi l’engagement politique et social comme matériau éditorial. Après l’apogée des sciences humaines et du livre politique dans les années 1970, le genre s’était assoupi. Les maisons que Sophie Noël a étudiées sont issues de la dynamique de politisation des années 1990 et qui a été à l’origine des mouvements sociaux de 1995. Pour une majorité, elles sont les héritières plus ou moins directes de François Maspéro, Champ libre ou Minuit, avec la figure emblématique de Jérôme Lindon.
Depuis les années 1990, ces maisons occupent la place laissée libre depuis plusieurs décennies par les grandes maisons : les sciences humaines, surtout les versions traduites, sont un secteur jugé peu rentable, d’autant que la figure des « grands intellectuels », comme Sartre, tels que Michel Foucault les définissait, tend à disparaître.
Parmi les maisons au coeur de l’analyse sociologique, on compte bien sûr Raisons d’agir, Agone, La Fabrique, Lignes, mais d’autres moins connues qui méritent le détour, comme L’Échappée, Le Temps des cerises, Syllepse et Amsterdam. La quasi totalité sont des microstructures, sans salarié, avec moins de 100000 euros de chiffre d’affaires annuel et moins de dix livres par an. Leur position éditoriale se définit par la négative : publier des textes contre la pensée de droite dominante. [...]
Mais au-delà d’un positionnement idéologique fort, ces maisons se définissent également par le refus de l’édition intégrée, uniformisée et marchandisée. Cet engagement se manifeste dans la manière de faire les livres, mais également dans le fonctionnement de la structure : en choisissant l’association à but non lucratif plutôt que la forme juridique comptabilisant le profit, elles maintiennent la pureté de la production éditoriale sans considération économique.
[...] Toutefois, si le danger réside dans la précarité, il réside aussi dans le développement : l’augmentation de la production de livres entraîne un accroissement des frais, comme l’embauche de salariés. Si les livres ne se vendent pas suffisamment, la structure entre alors dans un système néfaste qui fait du profit la nouvelle priorité. Par ailleurs, les maisons de taille moyenne sont les premières cibles de rachat des groupes. Il reste à savoir si ces maisons seraient prêtes à passer le cap.
[...] L’ouvrage passionnant de Sophie Noël, documenté et riche d’informations, repose sur une analyse sociologique rigoureusement menée, avec pour objet d’étude une trentaine de maisons d’édition. Elle définit chaque terme, contextualise et délimite son champ d’action, s’attachant tant à décrire les trajectoires des maisons d’édition que celles des éditeurs qui les incarnent – chaque jour, à travers chaque livre.
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