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" Suivez-moi, nous quittons la terre rouge de Marrakech pour nous poser un jour de pluie sur le bord de la Méditerranée, oui j'ai osé tout quitter, j'ai fait le saut, je ne suis plus l'homme figé par la peur, à présent je suis ailleurs : je vous dirai Naples et ses bas-fonds, la gare de Naples un jour de vent et d'averse, une gare aussi immense et sale que toute la ville, une place des miracles avec des couleurs changeantes, des odeurs venues du lointain, des épices d'Afrique mélangées à la sueur des hommes qui ne savent pas où se poser, où se faire oublier, je vous dirai le bruit transporté par le vent, les cris des enfants de Gitans courant derrière des Anglaises apeurées, je vous dirai la Vieille, une peau toute ridée, enflée et bourrée de bonté, un personnage de roman tel que je l'ai toujours rêvé, une grande dame, sale et fardée, une mémoire qui a du mal à se taire, c'est à cause de l'asthme, à cause des illusions de la vie, je vous dirai Momo, le Sénégalais clandestin, colosse au petit cerveau, vendeur de bricoles sur les trottoirs, je vous dirai l'histoire d'Idé et Gino, Iza et moi, oui, moi aussi je me suis perdu dans les histoires des autres.
"
Magnifique auberge
A l’instar d’un Meursault, ou d’un Fiodor Pavlovitch Karamazov, il est des personnages qui vous happent, vous intriguent, qu’on admire ou qu’on exècre. Assurément, la Vieille fait partie de ces êtres.
Elle vous envahit, vous attrape dans ses tentacules, vous ingurgite dans sa panse gigantesque, et vous recrache dans son vomis de souvenirs et d’histoires. On n’irait pas dans un restaurant quatre étoiles en sa compagnie, non, car tout en elle n’est que luxure et abjection, souillure et déjection, scatologie et dépravation. Une fois l’intimité de son antre violée, après avoir fait abstraction de l’environnement excrémentiel de ce réduit sordide, au milieu des rats et d’un décor dantesque, un être altier et détruit, attachant et repoussant, sublime et déroutant accueille les « naufragés de la vie ». Parmi eux, il y a Gino, le pianiste éploré, puis Momo, le colosse noir qui pour se rassurer lui tète le sein. Elle vous écoute, et en échange de vos souvenirs vous raconte les siens, vous extirpe vos tourment, vous insuffle la passion. Parce que l’imaginaire, le rêve apaisent les tourments, parce que la passion est plus forte que l’amour conjugal, le narrateur s’abandonne dans cette Auberge des pauvres, dans les bras de cette Vieille.
Un roman élégiaque entre rêve et réalité, où Naples et la Vieille s’entremêlent pour ne former qu’une seule entité, à la fois folle et charnelle, où le narrateur sortira vainqueur de sa schizophrénie, personnage libre et vivant, car si l’ennui et la médiocrité l’ont poussé vers Naples, la passion et le rêve lui apprendront la vie, mais également que l’imaginaire ne suffit pas pour vivre.
Dans un ton violent et parfois cru, Tahar Ben Jelloun nous convie dans un roman surprenant et captivant à nous interroger sur le bonheur conjugal, la passion et le pouvoir de l’imaginaire. Des personnages hauts en couleur, le monstre antisémite Pipo, le narrateur éperdu et dubitatif, Momo le naïf attachant, l’inconsolable Gino, et une fascinante Vieille, qui vous marquent. Une auberge des pauvres qui vous garantira un accueil cinq étoiles.