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Quelques mots sur Poil de Carotte ; quelques mots pour dire, à voix basse, à quel point cet enfant m'est étranger. Pour ma part, j'ai eu la chance d'une enfance heureuse, dont le regret incessant et toujours grandissant a rempli mes poèmes, mes proses, mes musiques. L'enfant dans lequel je me reconnais, c'est celui de Georges Schehadé, tapi "derrière les roses" , et qui, s'il a parfois "les yeux tourmentés" , garde son amour et sa confiance à "la maison fidèle" ; c'est celui de Léon-Paul Fargue, qui n'oubliera plus le "jardin de jadis, veilleuse parfumée" .
Non, je n'ai rien de commun avec Poil de Carotte, je ne suis même pas sûr de l'aimer. Peut-on l'aimer, d'ailleurs ? Il est lui-même "affreux, sale et méchant" , comme dit l'autre. Et cependant, c'est le portrait d'une telle détresse, que j'en ai été hanté, malgré moi, pendant plusieurs années. Je ne voulais pas m'apitoyer plus que l'auteur lui-même. Je craignais ce mélange de douleur et d'ironie, composé volatil, que la musique pouvait détruire.
Je redoutais plus que tout le terrible "maman" qui achève le livre, à l'opposé du "maman" final de L'Enfant et les sortilèges, et qui fait mesurer tout ce qui sépare ces deux enfants ; l'un, pardonné, pacifié, réconcilié, rentre dans le cercle familial et la communauté, rentre dans l'humaine et naturelle tendresse ; l'autre en est à jamais exclu. J'ai donc composé ce petit cycle par sursauts, par vagues successives, entre 1986 et 1990.
Je l'ai revu et corrigé en 2006, pour l'offrir à Florence Katz, qui l'a créé au Festival de Nancy. Guy Sacre