Il ne me reste que de vagues images de mon enfance jusqu'à un âge plutôt adulte. Le premier souvenir que j'ai, sincèrement, c'est la pluie, le jour où nous avons déménagé de Miséricorde à Vergaio. Je me souviens des gouttes énormes qui s'écrasaient au sol et d'une voix qui criait dans la pluie : " Roberto ! Roberto ! " On ne me trouvait plus. J'étais peut-être effrayé par l'émigration et je m'étais caché quelque part. J'avais un peu plus de quatre ans. En revanche je me souviens bien de ma famille. Si je mets de côté papa, qui n'était jamais à la maison parce qu'il travaillait à l'extérieur, aux chemins de fer, je vivais toujours avec quatre femmes qui étaient maman et mes trois sœurs. Nous dormions dans un seul lit, parce que c'était une de ces familles où la faim tient de l'épopée. Nous possédions pour toute propriété trois ou quatre petits canetons. Mon père, un paysan toscan, qui tâchait de s'exprimer en français, s'exclama en me regardant planter un chou noir : - Mais tu es très drôle ! J'avais sept ans. Sept autres années passèrent et je n'étais toujours pas marié. Bien que mon père ne cessât de me répéter : - Mais tu es vraiment très très drôle ! " À la différence des comiques éclairés, pour music-hall de masse, comme Dario Fo, ou de grande acculturation cosmopolite, comme Woody Allen, Benigni n'est jamais "spirituel", parce qu'il ne part jamais du haut. Il se tient toujours au-dessous de ses interlocuteurs, et non au-dessus. Il ne monte pas en chaire, mais il écarquille ses yeux de baudet aussi inspiré qu'étourdi au milieu d'une foule qui remue les chaises dans la pénombre de l'église. " (de la Postface de Cesare Garboli)