Initialement paru chez Timée Éditions en 2008, DJEBEL vient d’être réédité le mois dernier par les Éditions Jigal en format poche. Cet éditeur indépendant qui se veut « défricheur de talents », offre une seconde vie à ce remarquable roman. Une idée de génie, car incontestablement Gilles Vincent rime avec talent …
Mars 1960 - Ouadhia, Kabylie
Dernière garde, encore trois jours et c’est la quille. Après avoir donné deux ans de sa vie, le deuxième classe Antoine Berthier va enfin pouvoir retrouver ses parents et sa sœur jumelle qui l’attendent sur le continent.
Mais quelques jours plus tard, sans aucune explication, il se donne la mort sur le bateau du retour.
Septembre 2001 - Marseille
Viviane Dimasco, sœur jumelle d’Antoine, vient de recevoir un coup de téléphone de Sylvie Michaud, femme d’un certain René Michaud, ayant effectué son service militaire dans le même régiment que son frère. Avant de mourir, son mari lui a demandé de révéler la vérité concernant la mort du petit Berthier. Celui-ci n’était pas mort au combat. Ça, c’était la version officielle qu’on leur avait imposée. Il s’était suicidé sur le bateau du retour, devant tout le monde. Une révélation absolument insupportable pour Viviane, qui confie l’affaire au détective privé Sébastien Touraine afin de connaître la cause de son suicide. Mais, alors que celui-ci part à la recherche des éventuels témoins de la mort d’Antoine, il est confronté à la mort successive de ses anciens compagnons d’armes. La mort du jeune soldat semblerait porter en elle bien plus qu’une simple interrogation.
C’est en duo que Sébastien Touraine, ex-commissaire aux stups désormais détective et Aïcha Sadia, jeune femme d’origine kabyle aujourd’hui commissaire principale, vont remonter les traces de l’Histoire …
"Une fois de plus l’Algérie va se réveiller entre caillasse et sang séché. Une fois de plus, la nuit aura effacé les cris de ceux qu’on grille à l’électricité, un peu partout dans le pays. Les poitrines trempées des Algériens attachés aux tables des écoles, leurs regards paniqués et le rire des jeunes soldats au milieu des beignes qui tombent. Le spectacle de cette jeunesse qui sombre et qui cogne, qui fabrique, sans le savoir, le terreau de ses cauchemars futurs. Aujourd’hui comme la veille et le jour suivant, le cri des hommes résonnera dans les caves jusque tard dans la nuit. Jusqu’au petit matin où la rafale claquera le dos du type abandonné entre les pierres. Du type qui n’avait rien à dire."
Gilles Vincent entame son roman avec quelques vers isolés, empruntés à l’un des plus grands écrivains français. Une phrase d’introduction, composée de deux célèbres alexandrins qui résonnent en moi comme la promesse d’un grand moment de lecture.
"Je ne regarderai ni l’or du soir qui tombe, ni les voiles au loin descendant vers Harfleur …" Victor Hugo
En débutant son intrigue durant « La sale guerre », Gilles Vincent s’empare du lecteur dès les premières pages puis avec l’aisance du conteur expérimenté, l’empoigne jusqu’au dernier mot.
Écriture sobre mais puissante, descriptions détaillées mais sans excès, personnages étoffés et attachants, Gilles Vincent possède un extraordinaire sens du récit.
DJEBEL c’est la guerre, la mort, mais pas que. C’est aussi une rencontre, celle de Sébastien Touraine et d’Aïcha Saida. L’auteur nous brosse deux portraits intenses. Celui d’un homme meurtri, investi d’une mission sacrée afin de réparer l’irréparable et celui de la belle Aïcha Saida, jeune femme tout en contraste qui a rendez-vous avec la terre des siens.
« … trente-cinq ans, bien foutue, brune aux yeux bleus avec un je-ne-sais-quoi de survolté. Des cheveux comme l’automne sur une superbe gueule de Kabyle. Un jour en jeans, le lendemain en tailleur. C’est un peu tout ça, Aïcha Sadia. Un petit bout de femme à la fois légère et grave, autoritaire et douce en même temps. Un peu comme l’Algérie finalement. Belle et tragique à la fois … »
Confectionné avec minutie, DJEBEL est un roman pétri de qualités. Un de ceux qui vous happent dès les premières lignes et qui vous laissent une trace une fois la dernière page tournée. Du très bel ouvrage.
Gilles Vincent un auteur à découvrir d’urgence !
http://lenoiremoi.overblog.com/djebel-de-gilles-vincent
chronique de dubruitdanslesoreilles
Le succès rencontré par la sortie de Beso de la Muerte, le dernier polar en date de Gilles Vincent, a sans doute joué un rôle dans la décision des éditions JIGAL de publier en poche Djebel, le second roman de l’auteur. C’est aussi l’occasion pour votre serviteur de découvrir le travail celui-ci.
On commence par une scène d’introduction qui nous envoie directement en Kabylie en 1960. Antoine Berthier va bientôt quitter le front et retrouver sa jumelle, Viviane, en France, plus que trois jours ! Pourtant cette nuit-là le sang coulera et poussera le jeune appelé à mettre fin à ses jours quelque temps plus tard sur le bateau qui devait le ramener dans son pays natal.
40 ans après, la sœur d’Antoine prend contact avec Sébastien Touraine, détective privé et ex-flic. Les horreurs de jadis remontent à la surface et elle veut des réponses sur les raisons du suicide de son frère. Curieusement, les anciens compagnons d’armes du défunt soldat meurent les uns après les autres.
Le privé mènera l’enquête en parallèle de celle du commissaire Aïcha Sadia, jeune femme d’origine kabyle au fort tempérament.
Voilà un livre très puissant. Autant dans son thème que par ses personnages. Le passé est un poids bien lourd à porter pour les protagonistes de cette histoire. Le message est clair : il n’y a pas de prescription pour la barbarie. Même après 40 ans il faudra répondre de ses actes. Le temps n’effacera jamais les souffrances et la folie de la guerre.
Sébastien Touraine et Aïcha Sadia sont des personnages hauts en couleur. À ce titre, leur première rencontre est épique. L’auteur nous gratifie d’une passe d’armes rhétorique de toute beauté. Car oui Gilles Vincent est un écrivain incroyable. Sa plume est très agréable et parfois même sublime. Petit extrait pour illustrer mon propos :
« … Le plaisir s’ajoutait à la vie, mais je crois bien que la jouissance l’arrachait à la mort. »
Je vous le dis, ce livre est indispensable ! On se rapproche des premiers Tonino Benacquista ou de Jean Claude Izzo.
Sachant qu’Aïcha Sadia est le personnage récurrent des écrits de Gilles Vincent, je vais patienter avant de lire Beso de la Muerte, en espérant que les rééditions des œuvres précédentes de l’auteur sortent rapidement.
« Et brusquement, comme seul l’orage inattendu éclate et fait se froisser les paysages, tout son visage sembla se plisser, se livrer enfin aux larmes. »
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