Paul reçoit une lettre de son frère Odd qui lui annonce qu’il “disparaît pour un temps indéterminé et lui demande en post-scriptum s’il peut passer chez lui pour vérifier que le robinet d’un lavabo du deuxième étage de la maison familiale a bien été purgé. Malgré “un rhume colossal, Paul, ni une ni deux, prend sa voiture et parcourt les trois cents kilomètres qui le séparent dudit robinet. Un avenir est l’histoire d’une grande famille pas plus dysfonctionnelle qu’une autre, bouillon de souvenirs plus ou moins fidèles à une réalité elle-même peu fiable.
Quand le narrateur débarque dans le coin perdu où seul son frère Odd a pu concevoir de rester vivre (ils sont six enfants, aujourd’hui éparpillés), les gens du village le prennent pour lui : c’est qu’ils sont jumeaux (il ne détrompera personne). Sans doute est-ce précisément ce qui en fait le destinataire de la lettre qui déclenche tout. Dans l’espace de ce dédoublement, se déploie alors la très mouvante peinture d’une fratrie, Harald, Dorthéa, Adina, Odd, Paul, Margrete, en délicatesse avec les aléas de la vie, les soubresauts du monde, l’équilibre des âmes.
Ce roman est une cascade narrative, un engrenage existentiel qui, sur une intrigue faussement fluette, nous entraîne d’un triplex monégasque (où l’art animalier fait bon ménage avec le cours de l’acier) à la jungle malaise (dans l’état du Sarawak pour être précis) sans quitter le vieux canapé de la bibliothèque familiale, ou presque. Mais c’est aussi un road-trip en tracteur, une balade aux abords inquiets de l’enfance, une épique séance de natation, un caprice écossais, une vue en coupe de la neurasthénie masculine, entre autres.
Dans Un avenir, il n’y a pas énormément d’espoir, et pourtant il y a la possibilité d’un avenir. Il y aussi cette façon qu’a le hors-champ d’être toujours au moins aussi déterminant que les gros plans, car l’auteur excelle à rendre l’absence palpable et les silences audibles. Quelque part sur la ligne de son horizon, Modiano (l’as des disparitions) et Devos (le champion de la finesse) se regardent en chiens de défaillance.
Après le très remarqué Mon couronnement, on retrouve non sans jubilation et comme une promesse tenue le style irrésistible et instantanément reconnaissable de Véronique Bizot, ces miracles de phrases en fugue jamais alourdies par leur insondable richesse, cet univers singulier, unique, joyeusement déroutant, où la noirceur est délicieuse parce que toujours saturée d’incongruité drolatique, de lucidité étonnée, de souriant désarroi et de métaphysique légèrement récalcitrante.
Biographie de Véronique Bizot
Auteur de deux recueils de nouvelles, Les Sangliers (Stock, 2005) et Les Jardiniers (Actes Sud, 2008) et d’un roman, Mon couronnement (Actes Sud, 2010), Véronique Bizot est, de son propre aveu, une “gentille personne affligée de la conscience du pire”.
A rebours
Où l'on retrouve avec plaisir l'auteur des jardinniers avec ce style si particulier qu'on avait découvert et apprécier alors. C'est un retour enrhumé dans la maison familiale, c'est un épouvantail à rebours, c'est recroisé les ombres et fantômes de vieilles histoires de famille, d'une famille qu'on imagine singulière aux origines norvégienne et attéris au milieu de nulle part, aux destins individuelles décimés par les coups du sort. il faut à tout prix éviter le fauteuil hanté, le fauteuil de vieux velours jaunes pour ne pas entamé une croisière solitaire et loufoque à rebours dans une maison à moitié déglinguée et inhabitée que sans doute l'autre frère a fui après en avoir endossé la charge et la garde. Misérable fraterie que les souvenirs ramènent où les soeurs n'ont pas mieux réussi que les frères, même pour les riches, l'ennui est un gouffre. Véronique Bizot est maitresse d'une étrangeté stylisé, d'un dandysme de raté. Autour de la maison des norvégiens, la neige empêche tout retour immédiat et toute fuite. Pour certaine famille l'inquiétude est fondatrice et presque un blason, l'environnement offre quelques échappées cocasses et on nage avec un brin de folie dans l'élégance et la dérision. Il faut supporter d'être seul à la campagne et avoir le pouvoir d'exprimer au moins une fois une opinion. Faut-il bruler la maison de ses parents ? Sans doute...