20 juillet 1984, à la Barbade. Lala est seule chez elle. Alors que le terme de sa grossesse est dans plus d’un mois, son ventre se tord de douleur. Elle sent que quelque chose ne va pas. Cela fait une heure qu’Adan, son époux, est parti au travail. La jeune femme part à sa recherche, mais elle ne sait pas où il est. Elle a des saignements et la douleur devient plus intense. Elle « prend alors son courage à deux mains et décide d’appuyer sur la sonnette, à côté de la porte de service » d’une riche demeure. Elle entend un coup de feu, puis Adan ouvre la porte. Il vient de cambrioler
la maison et de tuer le propriétaire. A leur arrivée à l’hôpital, la tête de Lala est encore emplie du cri de la femme qui a vu son mari mourir sous ses yeux.
Trois jours après la naissance de Bébé, elle prend un taxi pour rentrer au domicile conjugal. Même si elle comprend qu’Adan doit se cacher, elle est en colère. Elle sait qu’elle ne doit pas l’énerver, car son mari est violent. Il a des bons jours, mais, régulièrement, les coups pleuvent. Ensuite, il dit que c’est la faute de Lala. Le récit alterne entre la vie maritale de la jeune femme et le passé qui constitue la genèse du drame qui va détruire sa vie.
Deux femmes que tout oppose, en apparence, vivent une tragédie par la faute d’un même homme, avec qui l’une a des liens, alors que l’autre ne le connaît pas. Dans un décor paradisiaque, la misère côtoie l’opulence. Pour se nourrir, des hommes et des femmes sont obligés de se prostituer : les hommes et les femmes riches sont nombreux à « s’offrir ce plaisir de vacances ». Le roman montre de quelle manière les habitants de l’île survivent grâce au tourisme et comment les populations, pauvres et riches, vivent les unes mêlées aux autres. Lala, elle, tresse les cheveux, sur la plage, des étrangers qui sont venus s’offrir un dépaysement. Cette activité est importante pour elle, car elle l’apaise.
Comme Lala, Cherie Jones natte la vie de la jeune fille et des générations qui l’ont précédée. La destinée des femmes de la Barbade est marquée par la violence des hommes et par l’oppression qu’elles subissent. L’auteure relate ce que, de génération en génération, les femmes de la famille de la jeune maman ont subi. Elle raconte, également, les origines sociales de Mira, qui a perdu son mari, lors du cambriolage. Les passages au sujet de sa peur qu’Adan revienne, décrivent, parfaitement, l’angoisse engendrée par son traumatisme. Elle est une insulaire et elle a épousé un riche homme blanc, qui était très aimant et très protecteur avec elle. Pourtant, après cette nuit qui a assisté à une mort et à une naissance, le destin des deux femmes est lié. L’enfance des personnages masculins est, également, décrite, afin de comprendre la spirale des tragédies, dont une, absolument, terrible pour Lala.
Lala est émouvante. Ses désirs d’indépendance se sont frottés à la suprématie masculine. Cependant, à la suite d’événements dramatiques, elle comprend qu’elle a cru faire des choix, alors qu’en réalité, elle n’a rien décidé. Elle s’interroge sur son histoire familiale et révèle que les traumatismes ont été transmis à chaque génération de femmes, tout comme la violence s’est perpétuée de père en fils, dans d’autres familles. Pourtant, malgré ses douleurs et malgré la dureté de sa vie, Lala ne perd pas espoir. J’ai énormément aimé Et d’un seul bras, la sœur balaie sa maison et j’étais touchée par son héroïne.
Faux paradis
La Barbade. Côté face, ses cocotiers sur ciel d’azur et sable d’or, ses villas luxueuses face à la mer, et ses touristes, riches et blancs, venus oublier les longs mois d’hiver de chez eux. Côté pile, dans une ombre encore obscurcie par un si éclatant mirage, insupportable d’inaccessible proximité, la pauvreté et la désespérance de jeunes Noirs du cru sans avenir.
Malgré les mises en garde de sa grand-mère qui, à grand renfort de contes édifiants comme celui du titre, l’a élevée en espérant la protéger des mille dangers qui guettent les filles pleines de rêves, Lala a succombé au charme trompeur d’Adan, un voyou qu’elle a épousé et dont elle attend un enfant. Le couple vivote dans un modeste cabanon en bord de plage, quand Adan commet l’irréparable. Au cours d’un cambriolage foireux qui tourne au drame, il tue le propriétaire des lieux, anéantissant du même coup deux existences : celle de Mira Whalen, la veuve de la victime, que son mariage avec un riche Anglais avait inespérément élevée au-dessus de sa modeste condition d’insulaire, et celle de Lala, qui, avec son nouveau-né, fait les frais de la violence déchaînée d’un Adan aux abois.
Pour les femmes de cette histoire, l’avenir ne se décide qu’au travers des hommes. Si certaines, comme Mira, en sont conscientes et en usent pour s’offrir une meilleure existence, d’autres investissent leur vie sans calcul, éblouies par une séduction éphémère qui ne les protégera pas longtemps des pires désillusions. Dans un cas comme dans l’autre, leur dépendance est totale : dans la famille de Lala, elles subissent sans recours violence conjugale et inceste, ivrognerie et dérives criminelles de leurs maris ; dans la situation de Mira, elles perdent tout en cas de séparation ou de veuvage.
D’une plume qui jamais ne juge, mais décortique avec subtilité la macération du désespoir et de la colère, qui, au fil de générations confrontées à un clivage social abyssal, engage bien des paradis insulaires dans un engrenage de violence de plus en plus incontrôlable, ce premier roman d’une grande maîtrise met en scène de bien crédibles et poignants personnages, transformés peu à peu, et malgré eux, en hommes et femmes au bord de l’explosion. Heureusement, l’amour et le sacrifice produisent parfois leurs fruits, et, peut-être, l’espoir est-il encore permis…