La philosophie contemporaine, c'est un peu comme la musique contemporaine. Il y a la populaire et la savante. La philosophie savante s'est détournée de la métaphysique, comme la musique savante de la tonalité. Quiconque philosophe innocemment se demande, à propos du monde, ce qui existe réellement, pourquoi tout ce qui arrive arrive, si l'on peut tout savoir, si l'on peut y agir librement, etc. Ces questions font sourire les savants : "dépassés", disent-ils.
Les questions "populaires" sont les seules sérieuses. Mais elles doivent être éclairées par un des acquis de la philosophie "savante" : l'ordre du réel, c'est le langage. Car pour pouvoir parler du monde, il faut déjà savoir comment le dire.
Dire le monde, c'est attribuer des prédicats à des sujets. Quelques effets s'ensuivent. Le monde nous apparaît cohérent, mais ni invariable, ni contradictoire. Dans le monde, il y a des choses ou des événements, mais ni personnes ni actes. C'est sur ce monde divisé entre choses et événements que sont forgés les concepts métaphysiques (Dieu, temps, substance...), traversés de tensions contradictoires. Car du monde on peut tout dire, mais on ne peut savoir ni ce que sont toutes choses ni pourquoi tous les événements arrivent.
Mais dire le monde, c'est aussi pouvoir indiquer : ceci, je, tu. D'autres effets s'ensuivent. Je suis au monde parce que je peux dire "je". Je peux agir parce que je n'ai pas de "volonté", parce que je suis sans "identité". Je ne suis pas une "personne".
La morale qui s'adresse à des "personnes" est dont insuffisante. Fondée sur l'universel, elle demeure aveugle sans cette question éthique que je m'adresse en particulier : "ne suis-je pas, en ce moment même, en train d'agir ?"