Il y a des romans qui se referment avec regret. On est imbibé de l’histoire, les personnages nichent au creux de nous et on cherche à les garder au chaud.
Désorientale est un roman comme ça.
Kimiâ Sadr est assise dans la salle d’attente d'un hôpital parisien. Un protocole d’insémination artificielle. Un protocole long et pénible. Pour tromper son anxiété elle évoque ses souvenirs et elle nous invite dans sa famille iranienne, une famille colorée et soudée. Une sensation étrange saisit alors le lecteur, c’est comme s’il enfilait les vêtements d’un parent éloigné
qui ne voit les siens qu’en de rares occasions, un parent qui surgit lors d’une fête et qui ne reconnait pas certains visages. Il y a arrêt sur image. Le temps d’ajuster la pellicule interne à la photo.
Désorientale, c’est ça.
La romancière nous agrippe, nous place dans sa poche et nous confie ses pensées intimes avec un naturel désarmant. On démêle les arcanes de la vie persane sur trois générations. Les parents de Kimiâ, Sara et Darius, des intellectuels issus de la haute bourgeoisie ; les oncles, numérotés de 1 à 6, un petit jeu affectif inventé par les filles Sadr ; l’ancêtre, Montazemolmok, à l’origine du trésor familial, le bleu des yeux, celui de la mer Caspienne, ce bleu dont Kimiâ n’a pas hérité. On vogue d’époque en époque. L’exil mettra fin à ce beau voyage.
Darius écrit une lettre à Mohamed Reza Pahlavi, le Shah d’Iran. Il a dispersé les phrases de la discorde et il doit se cacher.
L’Iran se transforme en un chaudron bouillonnant. Le shah est destitué et l’Ayatollah Khomeini revient, attendu comme le messie par une population assoiffée de changement. Le peuple a chassé un Chat et il a ouvert sa porte à un Tigre.
Les Sadr ne sont plus en sécurité dans leur pays, la famille se réfugie en France. Et alors, comme au saut à l’élastique, l’aérodynamique s’inverse et l’Orient s’éloigne jusqu’à ne plus ressembler qu’à un minuscule grain de riz à l’horizon. La jeune Kimiâ est captée par l’univers punk. La musique est couronnée reine du roman et le lecteur s’électrifie.
Désorientale, c’est ça aussi !
Comment vous donner envie de lire ce roman sans vous en raconter plus ? Un petit conseil, prévoyez du temps, Désorientale se lit doucement.
Imprégnez vous des lieux, absorbez les images magnifiques mais n’accordez aucune importance aux dates. Prenez, emmagasinez. C’était quand ? Ne vous posez pas la question.
On devine l’œil de la cinéaste dans les descriptions de Nagar Djavadi, des descriptions posées artistiquement comme des objets précieux. La romancière explore l’âme humaine avec talent, ses analyses sont franches et justes, l’écriture est fluide, la plume est magistrale.
Que c’est beau !
Annick FERRANT
Une orientale désorientée
Kimia une jeune iranienne patiente dans une salle d’attente pour subir une insémination. Alors qu’elle s’apprête à fonder une famille, son passé, celui de sa famille et de son pays la rattrapent.
Elle nous emmène dans ses souvenirs, nous fait parcourir un siècle d’histoire perse à travers celle de sa famille, les Sadr, mais aussi la vie de ses propres parents opposants politiques. On y découvre surtout son parcours, fait de fuites, d’errances, mais surtout d’amour. L’amour qu’elle trouve auprès de sa famille et de sa compagne.
Négar Djavadi nous offre pour son premier roman un magnifique livre, extrêmement riche. Entre conte et récit intimiste, elle nous dévoile la complexité d’une vie et des rapports humains, pris dans le courant de l’histoire.
Belle découverte de la rentrée à ne pas manquer.