On pourrait croire que c’est un film hollywoodien mais ce n’est pas un film hollywoodien.
Walker revient de la guerre.
Nous sommes à New-York, nous allons à Los Angeles.
La cité des anges, parait-il. Mais les anges ont les ailes brisées, les anges picolent leur vieux whisky au goulot, les anges cherchent à donner le bonheur pour quelques dollars, les anges ont les dents cassées et le toit pour abri.
Walker marche, en résonnance avec l’écho de ses pas et de ses tournées de nuit pour les beaux yeux dujournalisme, en résonnance avec le fracas de la guerre jamais si loin.Il
y a du désespoir en veux-tu en voilà, des sourires disgracieux, des coins de rue et des bars ouverts 24h sur 24.
Il y a des souvenirs qui montent à la surface sans prévenir, au bruit d’une porte qui claque, à l’ombre d’une silhouette sous un porche d’immeuble.
On tourne de partout dans Los Angeles, on tourne en rond, on tourne des scènes de films noirs, des cascades, des accidents, on fait tourner des vamps sexy qui n’existent que dans les films. On tourne pour ne pas s’arrêter.
Walker marche. A la manière envoûtante d’un abandon, d’un soleil qui s’étire et fait fondre les corps de chaleur. Il marche en vers, il marche en prose, Walker c’est de la poésie comme un scénario de grosse production, travelling lent des histoires qui s’écrivent pour se réécrire. Plan large des existences cabossées par le destin et par l’histoire.
Les anges qu’on croise ont tous les ailes froissées, ils bouffent les ombres. Ils se laissent avaler par le froufrou des miroirs. Les anges sont défoncés à l’espoir.
Walker c’est une cartographie des villes américaines, et de sa société qui fait succéder à un monstre un autre monstre. L’Amérique traque les communistes et laisse crever les marginaux, les réchappés de la guerre, les témoins de la rue qui regardent passer le temps.
La beauté n’est jamais loin, dans un coin de la photographie, dans la lucarne d’un hôtel de passe, dans le reflet du whisky sur la lèvre d’une femme.
La beauté n’est jamais une béatitude, elle stupéfait par ses éclats, elle empourpre la vision pour laisser sitôt la place au noir.
Walker, c’est un roman en noir et blanc, une marche lente striée d’échardes. Une déambulation, la nuit, dans une jungle qu’on appelle: l’espèce humaine.
On marche, Walker ?
J'aime les films en noir et blanc. J'aime la poésie et le silence (il n'existe pas). Et j'aime la mélancolie qui ressort de cette atmosphère d'un autre temps.
Alors, comment ne pas aimer Walker, le personnage solitaire et le texte si particulier qui nous raconte, par bribes, son existence ?
On y entre en douceur, timides, incertains, sans se rendre compte que l'on est déjà happés, pris dans les toiles d'araignées du récit, de la mémoire (et sa douleur), de l'Histoire (et son horreur).
On en sort la tête à l'envers.