Je connaissais déjà Philip K. Dick pour avoir lu Le maître du Haut château, une uchronie très intéressante, plus sur le principe de l'uchronie dans l'uchronie que pour l'histoire elle-même. Je me suis penchée sur Ubik, consciente qu'il s'agissait là d'une sorte de bizarrerie, mais aussi d'un fondement de la science-fiction. Et effectivement, dès les premières pages, je pense à Minority Report, à cause des précogs. Mais la comparaison s'arrête là. Ici, nous suivons essentiellement Joe Chip, et quelques autres membres de la société Runciter Associate, spécialisée dans l'anti-psi.
Bizarrement,
il y a très peu d'utilisation des pouvoirs, qui semblent posés comme un postulat qu'il ne sert à rien de décrire. Seules quelques lignes viennent indiquer au lecteur comment fonctionne les visions des précogs.
P.K. Dick décrit un monde essentiellement construit autour du capitalisme et de la consommation : il faut payer pour entrer chez soi, sortir de chez soi, utiliser salle de bains et WC, avoir un café à sa propre machine à café... Puis, après l'explosion sur la Lune, tout s'emballe. Avec Joe Chip, on perd nos repères, un compte à rebours s'enclenche : le temps semble revenir en arrière. Les machines qui font le quotidien reviennent à des versions antérieures (des voitures plus anciennes, de vieux postes de télévision, ...), les produits de consommation sont périmées (des fleurs fanées, des cigarettes toutes sèches, ...). Ubik, qui n'était jusqu'ici pas apparu dans l'histoire autrement que par slogans publicitaires avant chaque chapitre fait son entrée : Runciter offre ce produit à Joe, qui n'ose l'utiliser. On ne sait plus qui est mort ou vivant, qui est en semi-vie ou en pleine vie.
Le concept de semi-vie est justement très intéressant et au centre de l'histoire au final : les êtres humains en train de mourir qui sont pris à temps peuvent être congelés et une sorte de connexion mentale peut être établie avec eux pour dialoguer. Leur temps de semi-vie est compté, alors il faut en user avec parcimonie. À la fin, on se rend compte exactement de ce qu'implique la semi-vie : une sorte de monde parallèle où il faut lutter pour rester en vie et où les interactions avec les vivants sont nombreuses ; un monde où l'environnement peut être construit à la force de l'esprit (et là on pense à Inception). Pourtant, il se dégage sur les dernières pages une ambiance très glauque qui a fait que j'ai été heureuse de terminer ce livre, dérangeant à plus d'un titre...
http://nourrituresentoutgenre.blogspot.fr/2011/02/ubik-philip-k-dick.html
Ici le bouleversement de la réalité se fait dans sa perception globale, visuelle et cognitive ; toute rationalité narrative se trouvant fracturée par l'accumulation des actions et de l'ensemble des interprétations possibles et contradictoires. L'inquiétude venant essentiellement du fait qu'il ne se contente pas d'un basculement manichéiste débouchant sur le degrés zéro de l'imaginaire en SF : voir Matrix, mais qu'il entremêle en permanence le pouvoir d'une réalité dominante aux limbes cryoniques de la semi-vie.
Dick offre avec ce livre du divertissement et une réflexion profonde sur la conscience humaine. "La réalité est un foutoir, et c'est ça qui est excitant. Il faut se demander jusqu'à quel point on a peur du chaos et jusqu'à quel point l'ordre nous rend heureux. Van Vogt m'a influencé parce qu'il m'a appris à discerner une part chaotique de l'univers qui ne devrait pas nous faire peur".