Antoine se souvient de son désir de fuite lorsqu’il était petit garçon. Ce désir d’être ailleurs ne l’a jamais quitté. Son père ouvrier à l’usine, sa mère qui reste à la maison ; il va aller d’essais en essais, de la fac à l’usine qui, pour lui, lui est destinée. Toujours entre deux rêves, entre deux chaises, jamais bien à sa place, enfermé par des mots qui ne peuvent sortir. Mais comment faire sortir cette colère, cette clameur. Et puis, il y eût Karima, il aimait tant la caresser mais son amour le quitte et le revoici à la case départ, chez ses parents « je suis
ici depuis huit jours. A nouveau dans la maison de mes parents. Revenu ». Il se souvient, le syndicalisme, le radicalisme pour épater son amour. . « Certains m’ont dit. Bien sûr toi t’as rien à perdre, pas de femme pas d’enfants, tu peux te permettre de gueuler ! Eh bien il faut en profiter, hein ! Je peux me permettre ? Je me permets ! Ils ne comprenaient pas mais moi l’ardeur de Karima avait réveillé ma rage. »
Au fil de rencontres, il commence à apercevoir quelque chose, de comprendre. « Je me suis perdu et Karima n’y pouvait rien. Elle m’a fait tenir plus longtemps, c’est tout. Cette nuit, je commence juste à comprendre. Et ça fait mal.» L’usine croqueuse d’hommes se personnalise et devient Lusine. Oui Lusine que l’on va délocaliser au Brésil à Monlevade. Il part avec Marcel pour cette ville dont le nom vient de Jean de Monlevade, un ingénieur français du 19ème siècle. Un voyage initiatique qui lui permet de sortir de lui-même, de trouver les mots, de retrouver son corps, de savoir bouger, de renaître, de se retrouver. Là-bas, il rencontrera non pas ceux qui vont manger son pain, mais des hommes heureux de travailler, mais la délocalisation les guette.
Jeanne Benameur est une conteuse de la vie, de la vie familiale, de ce petit monde des ouvriers, des prolos. Elle a su nous faire partager l’inquiétude (mot faible) des ouvriers français pour cette mondialisation soi-disant indispensable ou la globalisation des brésiliens qui leur semblent si lointaine et pourtant si proche.
Dans ce livre, Jeanne Benameur est le peintre de la difficulté d’être, de vivre dans ce monde de performance. Sa palette se fait poétique pour parler de l’ordinaire, se fait coupante lorsqu’elle parle des globalisations, se fait humaine lorsqu’elle modèle ses héros.
Un très bon livre que je vous recommande. C’est le second ouvrage de Jeanne Bénameur que je lis et ce ne sera pas le dernier !
Les insurrections singulières
Monde ouvrier, vent de révolte et de liberté, tourbillon de la mondialisation, rupture amoureuse qui continue de saigner dans le coeur, déception sociale, honte ou fierté personnelle, besoin vital de comprendre.
C'est le parcours initiatique extraordinaire d'un mec ordinaire. Cela fait écho "au paumé" que nous sommes parfois car l'humain est fait de doutes mais aussi d'espoir, ce qui en fait aussi sa grande beauté.