Un pied au paradis, malgré sa classification, n’est pas un roman "policier" à proprement parler. Il ne mérite cette dénomination que parce qu’il y a un meurtre, et disparition du corps. Mais ne vous attendez pas à des courses-poursuite, à une menace qui plane sur les personnages tout le livre durant, ni à des tueurs psychopathes ou des crimes en série. Non, Un pied au paradis est avant tout un roman, un roman d’ambiance, dans lequel se déroule un crime, mais un crime de circonstance. Il n’y a pas de bons et de méchants, juste des hommes et des femmes (presque) comme vous et moi
qui tentent de vivre leur vie au mieux, compte tenu des circonstances, justement.
Les circonstances, c’est une Amérique qui a cessé d’exister, disparue elle aussi, sous les eaux des méchants entrepreneurs de la modernité. Ron Rash a particulièrement bien saisi et rendu cette atmosphère de fin d’une époque, où les enfants ne prennent pas la suite de leurs parents, où les parents en veulent à leurs enfants, et où tout le monde rumine sa colère et son amertume.
C’est donc dans cette atmosphère que disparaît, disparu dans la vallée de la disparue. Les soupçons du shérif, premier narrateur de l’histoire, ne tardent pas à se porter sur son voisin, , mais malgré les fouilles ininterrompues on ne trouve pas de cadavre, hormis celui du cheval de . Toute l’ombre de cette mort plane donc sur les personnages restants de cette sorte de pièce en huis-clos : le commissaire, le mari, la femme, le fils, qui se passent le fil narratif comme un micro mis entre les mains des témoins d’une même affaire.
En effet, l’intérêt principal d’Un pied au paradis réside dans la polyphonie narrative. Les cinq récits qui se suivent auraient pu être des nouvelles indépendantes, surtout les trois premiers. Lues à la suite les une des autres, elles s’éclairent, se reflètent et se répondent. Ron Rash a su retranscrire avec talent divers modes de pensées, qui possèdent chacun des caractéristiques propres à leur propriétaire, ou du moins leur émetteur. On peut alors considérer certains événements perçus par différents points de vue, et en saisir tous les tenants et les aboutissants. On regrette juste que le disparu n’ait pas lui aussi son mot à dire, ainsi que la vieille femme considérée comme une sorcière, eux qui gardent leurs secrets enfouis, pour les personnages comme pour nous autres lecteurs.
Un roman assez émouvant, qui donne envie de partir dans la nature, planter des choux et vivre sans électricité. Mais si possible en se retrouvant un pied au paradis plutôt que six pieds sous terre…
Un pied au paradis
Dès les premières pages du premier roman de Ron Rash, on y trouve tout le talent d’un des grands écrivains américains de notre époque. Un véritable pouvoir d’évocation, une vision sombre et complexe du monde mais non dénuée de lumière et de belles occasion.
Les Appalaches, Caroline du Sud, années 50. Une ruralité terreuse, un roman noir.
Un meurtre, un assassin, une femme, le shérif du comté, une sorcière, une compagnie d’électricité qui condamne la vallée pour y créer un lac artificiel.
Ron Rash nous projette dans ces lieux d’une nature aussi hostile que belle, nous donne à entendre la voix de ceux qui sont mêlés à l’affaire Holland Winchester, chacun avec ses peurs, ses désirs, ses misères et ses désenchantements. A partir de ce meurtre, c’est tout un pays, c’est toute une humanité, qui se déroulent sous nos yeux.
Trahison, mensonge, jalousie, vies cabossées, corps abîmés, sont les mots maîtres de ce roman d’une dignité chancelante.
Un pied au paradis est une évocation rugueuse d’un monde qui change, les guerres ont mutilé les hommes, les cultures paysannes souffrent de la sécheresse, ces hommes et ces femmes qui travaillent la terre peinent tout juste à vivre, on mange la vie par la racine.
C’est avec pudeur et justesse que Ron Rash peint ses personnages qui sont autant de miroirs de nos propres démons.
Un exorcisme ? Pourquoi pas...