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Avec le Souffleur de nuages, Nadine Monfils nous entraine à nouveau, comme avec son dernier roman le rêve d'un fou, dans l'univers de ceux qui ne s'expriment pas en pleine page mais choisissent de créer leur monde dans l'une des marges.
Franck le chauffeur de taxi sans histoires (on pourrait le voir comme tel mais des histoires il en a à ne pas savoir qu'en faire), rencontre Hélène, la vieille dame que d'aucuns jugeraient indigne (mais qui ne l'est pas du tout indigne).
Leur rencontre va provoquer une déflagration dans leur vie en les confrontant à cette réalité qu'ils souhaitaient
au plus profond d'eux-mêmes mais qu'ils ont toujours fui. Par peur de ne pas savoir, de ne pas pouvoir vivre cette vie rêvée.
Nadine Monfils en profite pour caser au passage quelques références bien senties et bienvenues dont elle aime à nous régaler :
Ainsi lorsque Franck nous parle des célébrités qu'il a transporté dans son taxi,
« La seule avec laquelle il avait bien ri était Dominique Lavanant. Elle était serrée dans une veste rose, trop courte. Il l'avait emmenée à l'enterrement de Mocky. Elle lui avait raconté qu'elle portait cette veste dans un de ses films et qu'il l'avait trouvée chez Emmaüs. « Avare, mais grand bonhomme ! Je l'adorais ! » avait-elle ajouté.»
Où, lorsqu'Hélène évoque la ville de Senlis chère à son coeur (je ne vous dis pas pourquoi),
«La maison dans laquelle il vivait est rue du Puits Tiphaine, à côté de celle de Séraphine de Senlis. Vous voyez de qui je parle ?
— Non. Je n'ai pas l'honneur de connaître cette dame, regretta Franck. Je devrais ?
— Vous n'avez pas vu le film avec Yolande Moreau ?
— Je n'ai pas beaucoup l'occasion d'aller au cinéma avec les horaires que j'ai. Dommage parce que j'adore cette actrice, elle est formidable.
— Oui ! Et c'est un très beau film ! Elle jouait le rôle de Séraphine Louis, dite Séraphine de Senlis. C'était une femme de ménage toute simple, orpheline à l'âge de 7 ans. Un jour, un critique d'art l'embauche et découvre qu'elle peint des natures mortes, des fleurs foisonnantes et très colorées, de la végétation tropicale et paradisiaque. Séduit par son talent, il décide de devenir son mécène.»
Un roman court (133 pages) du genre que l'on dévore et dont on sort la tête toute rêveuse et pleine de bonnes questions.
Il y a dans le titre le souffleur de nuages une reminiscence du Pelleteux de nuages dont les Canadiens affublent Jean-Baptiste Adamberg le commissaire de Fred Vargas.
Je concluerai cette chronique en reprenant ce que dit Chritian Bobin à propos du roman « J'ai lu votre texte ou plutôt je l'ai traversé de part en part, comme on traverse un pays étranger, sans jamais s'y sentir en exil.»
Impression confirmée.
Un livre à lire.
Une petite dernière à laquelle je ne peux résister :
« — Savez – vous comment on dit « je t'aime » en Belgique ? Je suis bleue de toi… »
Je suis bleu de Nadine, moi !
Mon premier roman de Franck Thilliez. Une découverte pour moi. Un récit fleuve qu'on ne lâche pas. Des personnages entiers. Une histoire qui se tient. Un musée des horreurs difficiles à supporter. le lecteur tient le choc pour arriver à la fin de l'histoire.
Inutile de raconter, il faut lire pour le voir et le croire.
Thilliez en fait parfois trop pour se rapprocher de la perfection.
La trame de l'histoire est simple pour ne pas dire simpliste mais sa construction particulièrement fouillée et complexe multiplie les références qu'elles soient sociétales, médicales, littéraires ou
artistiques.
Deux amis gendarmes amis dans une brigade paumée en Savoie, Gabriel Moscato et Paul Lacroix. Deux couples proches avec leurs deux filles Julie et Louise.
En 2008, la disparition de Louise grippe la machine. Rien ne va plus entre Gabriel et Corinne. Gabriel comme devenu fou, se consacre à temps plein à la recherche de sa fille et délaisse sa femme. Il dérive oublieux de toutes les conventions sociales;
Douze années plus tard sa fille est toujours portée disparue et l'enquête close. Il n'a pas renoncé mais n'est plus le même. Il a quitté la gendarmerie et entraîne son ancien ami Paul dans une enquête borderline qui se fait en limite des procédures judiciaires.
Thilliez sait où il veut amener son lecteur mais dévoile progressivement la vérité en multipliant les fausses pistes et en multipliant les interrogations par les voix complémentaires de Paul et Gabriel.
Que faisait précisément Julie quand elle a disparue ? Dans quelle mesure Louise partageait-elle les secrets de la jeune fille ?
A-t-elle croisée malgré elle la route d'un ou plusieurs prédateurs ? Et si oui qui sont-ils ?
De Haute-Savoie à Orléans et Lille où habite sa mère, jusqu'en Pologne, Gabriel va tirer un fil rouge qui le conduira de surprise en surprise jusqu'à la découverte de la vérité.
Thilliez parvient a rendre crédible son histoire en agrégeant divers faits de société pris dans l'actualité récente et plusieurs références culturelles réelles.
Les disparitions de jeunes adolescents. La difficulté des enquêtes froides pour les services de police et de gendarmerie. le trafic de cadavres légués à la science. le plastinarium de Berlin qu'il situe en Pologne. La morbidité dans l'art pictural autour de van Gogh et de le Caravage. Les pertes de mémoire et l'ictus amnésique.
Je me suis amusé à vérifier toutes les références et je ne peux qu'être impressionné par le niveau des recherches effectuées par l'auteur.
Le tout donne un récit cohérent qui ménage le suspense et les rebondissements tout en rendant crédible les découvertes qu'en font les personnages qui vont de surprise en surprise.
La difficulté pour Paul, capitaine de gendarmerie en exercice, de contrôler son ami Gabriel qui a quitté le service, constitue l'autre intérêt du récit. L'affrontement entre la rationalité de l'un et l'affect de l'autre prêt à tous les écarts procéduraux pour retrouver sa fille, constitue l'autre moteur du récit.
C'est là que parfois le bouchon peut se trouver poussé un peu loin, mais le lecteur est gagné par la fièvre...et le talent narratif de l'auteur.
L'ensemble est réussi et se laisse lire avec bonheur même si l'on côtoie les aspects les plus sombres de la nature humaine.
Dans "Regarde", le lecteur retrouve avec plaisir la bande improbable du dépôt-vente de Montreuil qui sont les héros du roman précédent "Sauf".
Mathieu, Anna, Mylène, Gary vont cette fois se mobiliser pour venir au secours de Mylène. Mylène dont on connait la vie de bourgeoise et dont on apprend les errements qui l'ont conduit à faire de la prison pour l'amour de Pascal Kopinski, un jeune musicien, batteur, de 20 ans son cadet dont elle est tombé folle amoureuse.
Hélas, ce dernier n'est plus, sauvagement assassiné par un compagnon de cellule.
Le style de Commère nous emporte dès
les premières lignes. Comme une bourrasque. Il nous conduit aux confins des personnalités.
Doit-on payer le bonheur que l'on a connu dans sa vie passée ? Peut-on revenir sur ses erreurs ? Un démiurge sadique s'ingénie-t-il à nous mettre à l'épreuve ? Se disent-ils. En un mot peut-on changer de vie sans risques ?
Mylène, comme Mathieu dans Sauf, est contrainte par des événements inattendus, de revisiter son passé.
Qui se joue d'elle ? Pascal est-il vivant, et si oui pourquoi lui aurait-il menti ? Pour quelles raisons ?
Gary le gitan affirme toujours, « — Il n'y a que deux mobiles, (…) L'amour ou l'argent. » et se dit prêt à mobiliser la communauté tzigane de France de Suisse et de Belgique pour aider Mylène.
L'histoire ne serait rien sans la précision du style de Commère : il ausculte les situations et montre comment elles déterminent les motivations des personnages.
Une phrase revient souvent dans la bouche de Gary qui accompagne Mylène de Paris à Lille, dans le Lot et jusqu'au Pont de Montvert dans les Cévennes.
"C’est facile avec les pauvres. Tu peux leur faire faire n’importe quoi, fulmine-t-il."
Un esprit malfaisant et manipulateur toujours en avance d'une action, sème des indices troublants faisant référence au passé de Mylène avec Pascal.
Mylène finit par douter. Qui était Pascal ? Pourquoi l'a-t-il séduite ? Pourquoi s'est-elle laissée séduire ? Cette histoire a-t-elle une origine autre que l'amour ? S'est-on joué d'elle ? S'est-on joué d'eux , Et si oui pour quelles raisons ?
Elle est décidé à aller jusqu'au bout de ses recherches, n'hésitant pas à mobiliser ses amis mais aussi l'inspecteur Dagan dont on retrouve ici le flegme distant et la compassion discrète.
"Dagan, avant que nous quittions son bureau, m’a mise en garde :
— Je vous ai dit de faire attention à vous et je vous le répète. Et ça ne signifie pas seulement prendre soin de vous. Montrez-vous méfiante. Quelqu’un vous observe."
Mais que trouvera-t-elle à l'issue de sa quête. Son amour perdu ou une désillusion plus grande encore ?
Plus que jamais c'est l'amitié et le support de ses amis qui la conduira sur les routes de France.
"Le vertige m’a gagnée. Les pièces d’un puzzle diabolique se mettaient en place les unes après les autres autour de moi, construisant la cellule dans laquelle prendraient fin mes jours. Mourir sans savoir, traquant jusqu’au bout la clé, le qui, le comment, le pourquoi."
Regarde est une contremarque de Sauf, pourtant si on y retrouve les personnages et une philosophie identique, on éprouve le même niveau de plaisir. Pas de redites mais une approche différente et complémentaires des personnages et des situations.
Hervé Commère fait avancer le récit en surprenant le lecteur au fur et à mesure de son déroulement.
Bravo M Commère.
A quand un troisième opus dans la même veine ?
Abby, la narratrice principale, est Baby Hope, le bébé new-yorkais qui a fêté son 1er anniversaire le jour du 11 septembre, dans une garderie pour employés du WTC. Pour la société américaine, elle est un héros, un symbole de résilience et de résistance. Peut-on vivre normalement lorsque l'on est un symbole et que la plupart des personnages figurant sur la photo célébrant cet événement ont disparus ?...
Abby se cache, fuit cette célébrité. Vit seule avec ses peurs, notamment celle de succomber au syndrome du 11/09, cette toux mortelle qui frappe ceux qui ont respiré pendant
plusieurs minutes, le brouillard de kérosène cendres et débris matériels et humains mêlés qui s'est abattu et a persisté aux alentours du WTC.
“Connie est morte il y a soixante-quinze jours. D'un cancer des ovaires de stade quatre. (...) Mais tout le monde sait qu'en réalité, elle a succombé au syndrome du 11 Septembre, une appellation fourre-tout pour désigner tous les problèmes de santé provoqués par l'exposition aux produits chimiques qui flottaient dans l'air à Ground Zero. Pour certains survivants, tout a commencé par une inflammation des poumons. Pour d'autres, comme Connie, c'étaient des mutations et des tumeurs, l'attaque subie se reproduisant au niveau cellulaire.”
Ses parents ont divorcé après l'attentat, sans jamais vraiment réussir à se séparer. Ils habitent au 11 et au 15 d'une même rue et se revoient souvent, pour s'assurer du bonheur d'Abby, prétendent-ils.
“Enfin, techniquement, c'est aussi chez moi, puisque j'habite autant au 11 qu'au 15 Lexington Road, ma garde étant partagée à cinquante-cinquante, conformément à l'acte de divorce. Même s'il m'importe peu de savoir où je dors : les deux maisons sont si proches l'une de l'autre qu'on a tendance à les considérer comme interchangeables. Parfois, le lundi ou le jeudi matin, quand on est à court de lait, mon père et moi allons petit-déjeuner chez ma mère. Et les mardis et vendredis, maman et moi passons remplir nos thermos, parce que papa dépense des fortunes en excellent café. Je ne réponds pas immédiatement à mon père. J'enfourne une bouchée de pizza pour gagner du temps, et tente de deviner où cette conversation va nous mener.”
Présenté comme un roman “jeunesse”, le jour où tout a basculé, est à mon sens beaucoup plus que cela et le réduire à cela serait le desservir.
Il donne tout a tour la parole à Abby, Noah, Jack, Julia, Zach, Natasha, dont les routes se croisent à l'école, dans un camp de vacances puis dans la vie. La plupart du temps ils vivent comme des adolescents : “Elle me balance ça sans me regarder, et je devine que je l'ai poussée à bout. Puis je me rends compte qu'elle lorgne Zach, à qui Natasha apprend de façon assez intime à bander un arc. Pendant ce temps, Noah porte les garçons sur son dos. Il a l'air étrangement abruti-mignon avec ses chaussettes remontées, son bermuda et son tee-shirt annonçant : Ce tee-shirt est lavé à sec, ce qui signifie qu'il est sale – Mitch Hedberg.” ;
Ils ne sont pas dupes de ce que les parents voudraient qu'ils soient ou qu'ils croient : “Je n'adhère pas à cette théorie. Ma mère excelle depuis toujours dans son rôle de parent célibataire. Elle s'est cassé le cul pour me donner tout ce dont j'ai toujours pu avoir envie ou besoin, sans jamais se plaindre, quelle que soit la quantité de vin consommée. Quand j'ai joué au petit con en CE1 en la suppliant de m'acheter des vêtements de marque alors même que je savais qu'on ne roulait pas sur l'or, elle s'est décarcassée pour me les offrir. Quand elle cuisinait, elle me faisait toujours manger en premier, et j'ai mis des années à comprendre qu'elle le faisait pour s'assurer que j'aie le ventre bien rempli avant d'attaquer sa part.En effet, l'auteur nous propose une analyse fouillée des affres d'adolescent particuliers confrontés à des adultes plutôt pusillanimes et instables psychologiquement. Et, ces adolescents s'en tirent plutôt bien.”
L'auteur parvient à toucher ce qui constitue à la fois le sel, le danger et le bonheur d'être adolescent en donnant la parole aux différents personnages. Ce faisant elle renvoie le lecteur à se propre adolescence et au toujours problématique passage vers l'âge adulte.
Donnons le dernier mot à Abby : « Parfois, j'ai l'impression que ces deux tours tombent encore, et qu'elles ne cesseront jamais de tomber. »
Un livre émouvant.
Je viens de découvrir l'univers de Antti Tuomainen et j'en suis encore tout retourné. Une expérience sans égale.
Chico et Robin sont deux "amis" coincés dans le village de vacances renommé Palm Beach Finland par Jorma Leivo un ambitieux manager finlandais qui rêve de créer un deuxième Nice au bord de la mer Baltique avec vue sur Tallinn par temps clair...et température n'excédant pas 16°, même en été...
"La plage de sable était ponctuée de parasols scintillant dans les mêmes tons chatoyants. Leur nécessité certes faisait débat, avec le vent permanent et l'eau glaciale qui
laissaient les chaises longues décidément vides. La plage était bordée côté ville par une superbe rangée d'arbres toute nouvelle,(...) Des palmiers. Fraîchement plantés. En plastique, bien sûr. Mais tout de même."
Chico, ne jure que par Eric Clapton et Bruce Springsteen, c'est un piètre guitariste qui fait office de maître nageur. Robin est cuisinier, il a un réel talent pour inventer des recettes mais n'en est pas persuadé.
Pour compléter le tableau la belle Olivia Koski est propriétaire d'un terrain en bord de mer, convoité par Jorma Leivo.
"— Je vais quand même résumer. Comme chacun sait, la valeur de nombreuses maisons isolées et en mauvais état n'est à l'heure actuelle que théorique, à vrai dire. Il existe un terme, la « valeur d'usage », mais c'est du jargon d'économiste que…"
Chico et Robin ne sont pas vraiment à niveau :
"— Qu'est-ce que Leivo a contre Olivia ? a murmuré Robin.
— Rien, je pense, a chuchoté Chico.
— Pourquoi il veut qu'on pisse dans sa boîte aux lettres ?
— On ne pisse pas dans sa boîte aux lettres.
— Qu'est-ce qu'on fait, alors ?"
Leur patron n'est guère mieux :
"Jorma Leivo évoquait le cliché de l'inventeur fou de cinéma : haut du crâne chauve, cheveux blonds frisés hirsutes sur les côtés, yeux bleus scrutateurs dont l'intensité donnait envie de détourner le regard."
Un meurtre étrange dans le voisinage :
"La voix a ajouté le nom de la petite ville, le nom de la personne dans la maison de laquelle Antero avait été retrouvé, la nuque fracturée. La voix a donné une adresse, elle a aussi parlé d'une cuisine et d'un mixeur électrique (...)"
Un policier infiltré :
"— Jan Kaunisto, a répondu Muurla en tapotant la pochette en plastique posée sur son bureau, laquelle contenait, en haut de la pile, un passeport finlandais. Prof de maths. En vacances d'été.
— Merveilleux, a constaté Nyman en percevant lui-même son ton sec et laconique.
Malgré cela, il appréciait le fait de pouvoir toujours porter son vrai prénom. Cela l'aiderait à s'approprier sa nouvelle identité."
Un avocat marron :
"— D'accord. Je suis avocat et je représente la famille du défunt. Nous sommes prêts à payer 10 000 euros pour des informations qui nous aideraient à élucider l'affaire et trouver le coupable."
Une beauté locale :
"Neea portait une sorte de tenue de lutteuse contenant autant de tissu que le sous-verre de Holma contenait de carton. Elle était souple et avait le sens du rythme : elle sautait, poussait, appuyait, moulinait, trépignait, se trémoussait, se balançait et s'étirait. Elle souriait sans cesse, ses dents blanches brillaient comme une rampe de petits projecteurs."
Des policiers locaux crédules :
"Il y a deux types qui nous intéresseraient bien, mais on ne voit pas ce qui pourrait les faire bouger. Vu qu'on sait qu'ils ne sont même pas capables de changer de sous-vêtements sans un sucre d'orge ou quelque autre récompense. J'ignore quel führer pourrait bien les activer, en admettant que ce soit possible. "
A partir de cette galerie de personnages Antti Tuomainen imagine une histoire loufoque à la logique imaginée par des personnages complètement installés dans un déni de réalité. Rien ne se passe comme ils l'avaient prévu. Au milieu de l'histoire, les convoitises de chacun pour un pactole de 35 000 euros sont à l'origine de rebondissements inattendu et tout au long de l'histoire le lecteur se demande comment il va pouvoir atterrir. C'est sans compter sur le délire imaginatif de l'auteur.
Une lecture salutaire que l'on ne peut que recommander.
Avis à la population !
Un merveilleux moment de lecture ces retrouvailles avec Jane Prescott, la gouvernante des jeunes filles Benchley et Michael Behan le reporter du New York Herald.
Mariah Fredericks nous emmène une fois de plus dans ce New York du début du XXème siècle où ce qui constituera l'ossature de la société américaine se met doucement en place et génère ce qui, un siècle plus tard, alimentera les progrès et les décadences de nos sociétés européennes.
Jane Prescott est une observatrice inégalable, elle sonde les reins et les coeurs des hommes et des femmes qu'elle côtoie ; se montre une
analyste hors pair des errements de cette soit disant "nouvelle société" qui s'est créée dans le "nouveau monde" pour fuir les blocages des vieilles sociétés européennes mais n'en fait que reproduire les schémas sociaux.
A preuve les relations complexes entre les Tyler (des gens établis - voir le précédent roman, "des gens sans importance") et les Benchley, des parvenus fortunés : "du côté du clan Benchley, ces nouveaux riches, on pouvait espérer un splendide étalage de vulgarité." analyse Jane.
Mariah Fredericks multiplie les références dans son roman, ce qui en fait plus qu'un simple polar. Certes il y a le meurtre que Jane se voit dans l'obligation d'élucider, mais il illustre la lutte pour le pouvoir dont le maintien du secret des familles est le principal moteur.
Dans cette société New Yorkaise de 1912, on se mobilise pour les familles des victimes du Titanic, mais on traite les migrants de fraiche date comme des pestiférés - les Italiens en l'occurrence - ; les femmes sont tout juste admises dans les restaurants "Une décennie plus tôt, on ne m'aurait pas laissée entrer au Keens Steakhouse" et la Mafia pointe le bout du nez avec La Main Noire, une organisation semant la terreur parmi les migrants italiens "— En représailles et pour l'empêcher de parler. La Main noire est dure envers les mouchards."
Côté amusements New York n'est pas en reste "Oscar Hammerstein avait été le premier à revendiquer ses droits, avec l'Olympia Music Hall. D'autres avaient suivi. Au-dessus de nous, des frontons annonçaient John Barrymore dans Anatol , une pièce à succès qui tenait depuis longtemps l'affiche, Oh ! Oh ! Delphine , et une fascinante nouvelle venue, Laurette Taylor, dans L'Oiseau de paradis . " et la population trouve dans ces divertissements l'exutoire aux problèmes sociaux qui minent la société.
La marche des femmes pour le droit de vote doit se dérouler à New York dans quelques jours, et tout au long de l'enquête de Jane, on assiste à ses préparatifs.
Jane est une femme moderne en butte à ses détracteurs et en questionnement perpétuel. Son ami italienne Anna Ardito, engagée dans la lutte syndicale est là pour lui rappeler la duplicité de ses employeurs.
Un roman réaliste qui, bien qu'il prenne place au début du XXème siècle, nous rappelle que, malgré des changement, cosmétiques diraient certains, rien ne change vraiment dans les rapports économiques et sociaux entre les nantis et les autres, entre les détenteurs du pouvoir et ceux qui le subissent, entre les hommes et les femmes...
Un roman plein de la violence cachée des relations sociales, extrêmement documenté, intéressant à lire, amenant le lecteur à s'identifier à Jane Prescott et à son regard sans illusion, d'un optimisme prudent, sur la société et les personnes qui l'entourent.
Admirable.
Merci à Mariah Fredericks.
C'est toujours un plaisir de lire Christian Carayon, et ce roman ne le dément pas.
Le lecteur est happé dès les premières lignes, par l'histoire de Martial de la Boissière et d'Alain Monsignac, deux amis d'enfance qui se sont éloignés l'un de l'autre.
La guerre, les choix de vie, les relations, la famille.
Martial de la Boissière est plutôt solitaire, il vit une histoire compliquée avec Camille une femme dont il est amoureux, il se réfugie dans la conduite d'enquêtes policières pour le Cercle Cardan dont il est un membre éminent.
Il fuit les anciens combattants et leur doxa militaire,
il veut démasquer les charlatans qui dans ces périodes troubles vendent de la divination, du rêve malsain, du bonheur douteux.
"Il vivait bien dans son monde à lui, abrité derrière les murs du domaine de Beaunac. Il avait son manoir, ses chevaux, ses forêts, ses combes, ses collines, son ruisseau. Il avait Raoul, dont la loyauté était aussi grande que son visage était ravagé. Il avait Camille, qui passait dans sa vie à défaut de la partager réellement. Et, quand il sortait de Beaunac, il avait le Cercle Cardan et ses enquêtes."
Alain de Monsignac, fils de militaire, est un marin accompli, couvert de gloire, un homme au physique d'athlète, qui a choisi de se reconvertir en homme d'affaires sous la houlette de son beau père le Notaire Baptiste Lestage.
Il est marié, père d'un fils et, semble-t-il, heureux.
"C'est au cours de l'une d'elles qu'il fit la connaissance de Baptiste Lestage, un riche notaire parisien avec qui il sympathisa. Un peu plus tard, ce dernier le présenta à sa famille. Parmi les quatre enfants du couple, il y avait Marie, de neuf ans sa cadette."
Carayon, comme à son habitude, dépeint avec détails la société française de l'après guerre, ses espoirs, ses déceptions et ses travers. le livre commence en 1925, et ce n'est pas les années folles pour tout le monde, notamment les femmes qui après la guerre sont sommées de revenir au bercail et de jouer leur rôle traditionnel de maman ou de courtisane...
Quand ils se retrouvent après des années de séparation, c'est pour collaborer à une enquête de Martial.
Mais, les choses ne se déroulent pas comme prévu. Alain ne sort pas indemne de la renconre avec Collas, un médium connu sur la place de Paris.
Carayon joue à merveille des doutes des deux hommes, le rationnel et pragmatique Martial se trouve confronté à l'irrationnel et la fiction dépasse cette fois la réalité. Il perd pied.
Alain se voit jeter à la face le côté lisse et sans aspérités de sa vie de bon soldat, de bon fils, de bon mari, de bon père.
Le récit se déroule dans ce contexte qui voit s'affronter des personnages ne pouvant plus donner le change quant à leur personnalités réelles et à leurs désirs cachés.
"Un sabbat, Martial, c'est un moment où on devient enfin nous-mêmes, où on gagne notre liberté, en oubliant les règles établies. Une femme libre, c'est embêtant, n'est-ce pas ? Mieux vaut alors faire courir des bruits alarmants… Dans un sabbat, Martial, on se drogue. Comme dans une fumerie d'opium à ciel ouvert. Il y a des plantes qui, jetées dans le feu, dégagent une fumée qui vous rend libre."
Martial pourra-t-il et devra-t-il étaler au grand jour la vérité et la turpitude de la famille Lestage dans laquelle les circonstances l'amènent à enquêter sur l'Ile de Bréhat.
Quelles étaient les relations entre Baptiste Lestage et sa femme Marie-Gabrielle ? Les affaires du notaire, notamment ses investissemenst à Erquy pour créer une station balnéaire -"Sable d'Or"- étaient-ils si juteux que prévus ? Ses héritiers voyaient-ils cela d'un bon oeil ?
Point fort du livre, la tempête d'équinoxe qui dévaste tout sur son passage, et remet en cause les préoccupations fragiles des uns et des autres.
"Quand ils réussirent à apercevoir la maison d'Élisabeth, celle-ci n'était plus qu'un vaisseau fantôme dans la tempête, et ne restaient plus que quelques murs trop épais, dégoulinant d'humidité, un toit arraché aux deux tiers, tandis que du chaume restant s'échappaient de la fumée et quelques flammèches."
Le style Carayon fonctionne à merveille.
Un premier ouvrage de la série lancée par Presse Pocket sur des enquêtes non élucidées ou des enquêts particulièrement longues et difficiles.
Comme dit Jean-Marc Bloch dans l'introduction : "Chez les flics, on a l'habitude d'utiliser l'expression de « belle affaire ».
Ce qui est frappant à la lecture, c'est la similitude entre le ton TV de l'auteur et son écriture.
C'est pédagogique, humoristique, didactique, toujours bien documenté et non sans humour parfois.
Au-delà des analyses de l'auteur plusieurs réflexions viennent au lecteur :
- le caractère spectaculaire des moyens
mis en oeuvre dans une enquête
- Les zones d'adhérence au quotidien entre le citoyen lambda et la délinquance notamment au travers de la prostitution et du trafic de drogue.
-La difficulté pour les enquêteurs à gérer les procédures judiciaires et la rapidité nécessaire à la conduite d'une enquête.
Une série d'ouvrages intéressant pour les amateurs du genre.
CONCLUSION : "Alors, qu'on ne s'y trompe pas : l'informatique ne sera jamais qu'une aide parmi d'autres dans le travail des enquêteurs. Et la machine la plus efficace pour résoudre une affaire criminelle reste, j'en ai la certitude, l'esprit humain."
Une série d'ouvrages intéressant pour les amateurs du genre
A la lecture d’un deuxième volume de la collection Pocket sur les crimes non élucidés, le lecteur constate que les auteurs ont l’expérience et du métier pour raconter les conditions dans lesquelles se déroulent une enquête criminelle en se renouvellant à chaque fois.
Les conclusions tirées remettent en perspective le travail de fourmi des enquêteurs : «— 99 % de boulot et 1 % de chance ! commenta l’adjudant Henry;» Par ailleurs, les enquêteurs et les agents de la police scientifique ne comptent jamais leur temps.
Les auteurs insistent sur le paradoxe qui conduit notre société
à jouer au pompier pyromane en autorisant la tenue du Teknival tout en déclarant : «— Non, rien de spécial. On a encore saisi des kilos de dope : cachets d’ecstasy, buvards de LSD, sachets de coke, amphétamines, shit et herbe…Le fourgon des saisies est devenu un véritable labo de chimie ! Apparemment, on a dépassé les 10 000 ecstas !
Un récit court, bien écrit, bien documenté, réaliste, qui devrait être apprécié par les amateurs du genre.
Je suis bleu de toi !
Avec le Souffleur de nuages, Nadine Monfils nous entraine à nouveau, comme avec son dernier roman le rêve d'un fou, dans l'univers de ceux qui ne s'expriment pas en pleine page mais choisissent de créer leur monde dans l'une des marges.
Franck le chauffeur de taxi sans histoires (on pourrait le voir comme tel mais des histoires il en a à ne pas savoir qu'en faire), rencontre Hélène, la vieille dame que d'aucuns jugeraient indigne (mais qui ne l'est pas du tout indigne).
Leur rencontre va provoquer une déflagration dans leur vie en les confrontant à cette réalité qu'ils souhaitaient au plus profond d'eux-mêmes mais qu'ils ont toujours fui. Par peur de ne pas savoir, de ne pas pouvoir vivre cette vie rêvée.
Nadine Monfils en profite pour caser au passage quelques références bien senties et bienvenues dont elle aime à nous régaler :
Ainsi lorsque Franck nous parle des célébrités qu'il a transporté dans son taxi,
« La seule avec laquelle il avait bien ri était Dominique Lavanant. Elle était serrée dans une veste rose, trop courte. Il l'avait emmenée à l'enterrement de Mocky. Elle lui avait raconté qu'elle portait cette veste dans un de ses films et qu'il l'avait trouvée chez Emmaüs. « Avare, mais grand bonhomme ! Je l'adorais ! » avait-elle ajouté.»
Où, lorsqu'Hélène évoque la ville de Senlis chère à son coeur (je ne vous dis pas pourquoi),
«La maison dans laquelle il vivait est rue du Puits Tiphaine, à côté de celle de Séraphine de Senlis. Vous voyez de qui je parle ?
— Non. Je n'ai pas l'honneur de connaître cette dame, regretta Franck. Je devrais ?
— Vous n'avez pas vu le film avec Yolande Moreau ?
— Je n'ai pas beaucoup l'occasion d'aller au cinéma avec les horaires que j'ai. Dommage parce que j'adore cette actrice, elle est formidable.
— Oui ! Et c'est un très beau film ! Elle jouait le rôle de Séraphine Louis, dite Séraphine de Senlis. C'était une femme de ménage toute simple, orpheline à l'âge de 7 ans. Un jour, un critique d'art l'embauche et découvre qu'elle peint des natures mortes, des fleurs foisonnantes et très colorées, de la végétation tropicale et paradisiaque. Séduit par son talent, il décide de devenir son mécène.»
Un roman court (133 pages) du genre que l'on dévore et dont on sort la tête toute rêveuse et pleine de bonnes questions.
Il y a dans le titre le souffleur de nuages une reminiscence du Pelleteux de nuages dont les Canadiens affublent Jean-Baptiste Adamberg le commissaire de Fred Vargas.
Je concluerai cette chronique en reprenant ce que dit Chritian Bobin à propos du roman « J'ai lu votre texte ou plutôt je l'ai traversé de part en part, comme on traverse un pays étranger, sans jamais s'y sentir en exil.»
Impression confirmée.
Un livre à lire.
Une petite dernière à laquelle je ne peux résister :
« — Savez – vous comment on dit « je t'aime » en Belgique ? Je suis bleue de toi… »
Je suis bleu de Nadine, moi !