Henri Frederic Amiel était un professeur de philosophie suisse qui toute sa vie (1820-1881) écrivit un énorme journal , et d'autres choses aussi, études philosophiques et poésies, introduisit le terme "inconscient" dans la langue française mais ne connut, sinon la gloire, du moins la reconnaissance de ses pairs que de façon posthume ; son journal eut d'illustres fervents admirateurs en les personnes de Pessoa, Cioran, Tolstoi (à la fin de sa vie il ne lisait plus que cela et la Bible..), et des héritiers comme Beckett ou Blanchot...et le père de Roland Jaccard....Ce psychanalyste et
essayiste, auteur de "la tentation nihiliste" et "l'exil interieur" (entre autres..) aux PUF, s'est donc tout naturellement penché sur le cas de son compatriote au point de broder une fin à son journal, relatant ces derniers jours. Il se fait la voix d'outre-tombe de ce Narcisse en toutes lettres, pessimiste absolu et ame tourmentée. En ressort un texte qui renouvelle le regard sur les relations périlleuses et vitales qui se tissent entre un homme et une oeuvre, une vie et l'écriture, avec en perspective la question de l'échec des sociétés modernes à promouvoir le bonheur-le fameux "malaise dans la civilisation" dont parlait Freud....Ruine et débacle de la pensée jusque dans l'intimité, et de la volonté personnelle comme signes d'un désenchantement et d'une démoralisation plus générales : faillite d'Homo Sapiens en sa version fin de 19ème au prisme d'une subjectivité, et en sa version 2018 , de deux . Alors, grace à Jaccard et Amiel, nous avons là un livre rafraichissant et étonnant, anti-conformiste (donc indémodable), et qui fait entendre un ton singulier pour répercuter ce thème universel qu'est le difficile "métier de vivre"et, comble du comble, on se prend à rire....
p21 « j'ai compris trop jeune que je serais incapable de réaliser mes idéaux, que le bonheur est une chimère, le progrès une illusion, le perfectionnement un leurre et que, meme si toutes mes ambitions étaient assouvies, je ne trouverais encore là que vide, satiété, rancoeur. La désillusion complète m'a conduit à l'immobilité absolue. N'étant plus dupe de rien, je suis mort de fait. Que la nature est affreuse et la vie désolante quand je les regarde au prisme de ma lucidité. C'est comme si le globe de l'oeil s'injectait d'eau de savon. J'ai la sensation de me noyer dans la laideur.(...) Ce que je redoutais le plus, l'amertume, coule dans mes veines. (….) L'individu n'est intéressant que pour lui-meme. Et encore …. »
Un livre très original....
L'intarissable charme de la mélancolie
Henri Frederic Amiel était un professeur de philosophie suisse qui toute sa vie (1820-1881) écrivit un énorme journal , et d'autres choses aussi, études philosophiques et poésies, introduisit le terme "inconscient" dans la langue française mais ne connut, sinon la gloire, du moins la reconnaissance de ses pairs que de façon posthume ; son journal eut d'illustres fervents admirateurs en les personnes de Pessoa, Cioran, Tolstoi (à la fin de sa vie il ne lisait plus que cela et la Bible..), et des héritiers comme Beckett ou Blanchot...et le père de Roland Jaccard....Ce psychanalyste et essayiste, auteur de "la tentation nihiliste" et "l'exil interieur" (entre autres..) aux PUF, s'est donc tout naturellement penché sur le cas de son compatriote au point de broder une fin à son journal, relatant ces derniers jours. Il se fait la voix d'outre-tombe de ce Narcisse en toutes lettres, pessimiste absolu et ame tourmentée. En ressort un texte qui renouvelle le regard sur les relations périlleuses et vitales qui se tissent entre un homme et une oeuvre, une vie et l'écriture, avec en perspective la question de l'échec des sociétés modernes à promouvoir le bonheur-le fameux "malaise dans la civilisation" dont parlait Freud....Ruine et débacle de la pensée jusque dans l'intimité, et de la volonté personnelle comme signes d'un désenchantement et d'une démoralisation plus générales : faillite d'Homo Sapiens en sa version fin de 19ème au prisme d'une subjectivité, et en sa version 2018 , de deux . Alors, grace à Jaccard et Amiel, nous avons là un livre rafraichissant et étonnant, anti-conformiste (donc indémodable), et qui fait entendre un ton singulier pour répercuter ce thème universel qu'est le difficile "métier de vivre"et, comble du comble, on se prend à rire....
p21 « j'ai compris trop jeune que je serais incapable de réaliser mes idéaux, que le bonheur est une chimère, le progrès une illusion, le perfectionnement un leurre et que, meme si toutes mes ambitions étaient assouvies, je ne trouverais encore là que vide, satiété, rancoeur. La désillusion complète m'a conduit à l'immobilité absolue. N'étant plus dupe de rien, je suis mort de fait. Que la nature est affreuse et la vie désolante quand je les regarde au prisme de ma lucidité. C'est comme si le globe de l'oeil s'injectait d'eau de savon. J'ai la sensation de me noyer dans la laideur.(...) Ce que je redoutais le plus, l'amertume, coule dans mes veines. (….) L'individu n'est intéressant que pour lui-meme. Et encore …. »
Un livre très original....