Je ne voulais pas raconter dans le détail ce que j'ai vu et vécu pendant ces longues années en Thaïlande. Revivre, jour après jour, page par page, la plongée dans la nuit de Bangkok, la détresse et les blessures des enfants, la brutalité des tenanciers, le cynisme tranquille des pédophiles, les menaces de la mafia chinoise... L'horreur, la violence et la peur. Non, je ne voulais pas de cette nouvelle descente aux enfers. J'ai fait ce livre parce que je n'arrive pas à oublier les regards de Lao, de Sonta et de Patchara, trois petites filles, trois enfants parmi tant d'autres, enlevées, séquestrées, battues et violées dans les bordels de Bangkok. Nous nous sommes battus pour leur rendre leur liberté et leur enfance. Aujourd'hui, Sonta et Patchara sont mortes du sida. Et Lao lutte désespérément contre l'évolution de la maladie. Ne pas parler d'elles, ne rien dire, c'était les renvoyer au néant. Je n'en avais pas le droit... Tout au long de l'année, des hommes achètent un billet d'avion pour Bangkok, uniquement pour s'offrir quelques nuits avec des petites filles ou des garçons de dix ou douze ans. Ce qui, chez nous, peut les envoyer en prison ne vaut, là-bas, qu'une poignée de dollars. Il faut en finir avec tout cela. Faire quelque chose. Nous avons fait ce livre pour qu'un jour, peut-être, il ne suffise plus de pousser la porte d'un hôtel de Bangkok, d'appeler le garçon d'étage, de lui tendre quelques billets, pour voir arriver dans sa chambre un enfant au regard de somnambule... Marie-France Botte et Jean-Paul Marie