Paul n’est pas beau. Seuls ses yeux le sont. Mais plutôt que d’en faire un atout, il se convainc que seuls les beaux ont de la chance en amour. Paul n’est pas beau, pourtant, quand il a décidé de prendre soin de lui, il est devenu pas mal. Oui, mais Paul s’obstine à croire que l’amour n’est que pour les apollons. Sa rancœur se reflète dans son visage. Il pourrait plaire s’il s’acceptait. Hélas pour elle, Angélique a succombé au charme de ses yeux. La jeune femme a, elle aussi, des complexes. Elle est belle, un peu ronde et elle n’est pas sûre d’elle. Le regard des
hommes la gêne, parfois, mais elle ne sait pas dire non. En toute personne, elle cherche le bon côté et elle essaie de guérir les plaies. Elle se donne parce qu’elle ne sait pas refuser.
La jeune femme est gentille, aussi elle paie pour les autres. Avant elle, il y a au Léa, mais surtout Mylène. Paul avait jeté son dévolu sur cette dernière, quand elle avait emménagé, dans l’appartement voisin. Elle n’était pas attirée, mais elle n’a pas su dire non à l’amitié que lui proposait Paul. Il a suffi d’une fois pour que celui-ci croit que leur histoire commençait. C’est vrai, elle n’a pas été élégante avec lui, mais ce n’est pas une raison pour se venger sur elle ou sur les autres. Pourtant, Paul a laissé la haine l’envahir. Il a détruit par ses mots, par son emprise, par ses interdictions. Il a laissé monter la violence. Sauve-toi, Angélique, tant qu’il est encore temps.
Dès les premières pages, Paul met mal à l’aise. Il observe ses futures proies, prend des notes, remplit des carnets. Au lieu de rechercher le bonheur, il accumule la rancune. Quand la bonté s’invite auprès de lui, il manipule. Il livre des bribes de son passé, mais rien n’excuse ses attitudes. Lorsque l’on connaît la douleur, on est encore plus attentif à ne pas faire de mal, Paul. Alors que je ne ressentais aucune empathie pour lui, je restais suspendue à son histoire, avec l’espoir que l’amour le transforme avant qu’il ne franchisse la ligne de non-retour.
Ce roman est dérangeant. Cependant, il m’a fascinée. L’écriture de Bénédicte Soymier est ciselée. Comme un martèlement, les mots percutent, atteignant leur cible, tels une mitraillette. Au fil des pages, j’ai senti un malaise m’englober, avec une intensité croissante.
Le Mal-épris bouscule et fascine à la fois.
Puissant et délicat.
Quatre heures. Seulement quatre petites heures.
C’est le temps qu’il m’a fallu pour découvrir et dévorer Le Mal-Épris, de Bénédicte Soymier.
Impossible à lâcher, j’ai seulement concédé deux petites pauses de quelques minutes à mon cerveau fasciné.
Ce début d’année 2021 nous offre décidément de nombreux premiers romans d’une profondeur, d’une élégance et d’une grâce folles.
Et celui-ci en fait clairement partie.
Paul est laid. Paul souffre.
Paul aimerait tellement être autre.
Paul a subi. Paul a enduré.
Paul aimerait tant avoir été autre.
Vraiment ?
À partir de quand la souffrance passée devient-elle un passe-droit pour les blessures à venir ?
Paul s’explique. S’exprime.
Mais pas trop.
Paul s’accuse. S’excuse.
Mais pas longtemps.
Paul reproduit-il ?
LA fameuse question. Celle qui permettrait de comprendre, de compatir, de pardonner.
Sauf que non. Ça, c’est trop simple, trop réducteur.
Trop facile.
Il n’y a pas de fatalité, seulement des choix.
Et Paul fait les mauvais, encore et encore. En toute conscience.
Paul est une victime, mais Paul est un bourreau.
La première n’excuse pas le second.
Jamais.
Bénédicte Soymier trace cette histoire d’une plume phénoménale.
Précise. Concise. Parfois à l’extrême.
Et c’est parfait ainsi.
Pas de détails superflus, pas de digressions inutiles.
Droit aux faits. Droit au cœur.
Elle nous raconte une histoire terrifiante et banale, qui nous heurte et nous révulse.
Nous alerte et nous questionne.
Elle vise la tête, le ventre et l’âme.
Et fait mouche à chaque fois.
Paul, Mylène, Angélique, Émilie.
Incorrigiblement humains, désespérément faillibles, ils sont multiples, bons ou mauvais, forts ou faibles.
Acteurs ou témoins.
Victimes ou bourreaux.
Ce roman dissèque, transmet, et explique. Mais il n’excuse pas. Rien.
Jamais.
On en ressort essoufflé, fourbu, sonné.
Par l’histoire et le style.
L’une est tragique et l’autre, sublime.
Par le ton et par le rythme.
L’un tranchant, l’autre, hypnotique.
Est-ce qu’il faut le lire ? Oui, cent fois oui.
Et aussi le faire lire. Partout. Par tous.