La Malle Des Indes. Les Nuits D'Un Magicien - Grand Format

Pierre Brahma est magicien de profession. Il a d'ailleurs reçu, à Vienne en 1976, le titre de champion du monde de l'illusion. Brahma ne coupe pas les femmes en morceaux, mais il fait surgir du néant un ruissellement de pierres précieuses. Il n'hypnotise pas, mais il fascine. En littérature aussi, Pierre Brahma est un magicien. Car loin d'être un autoportrait complaisant, La Malle des Indes est un extraordinaire document sur les coulisses de la nuit: la nuit des cabarets, des casinos, des tournées minables, la nuit des grandes villes du monde. Ce ne sont pas là les carnets d'un artiste, mais le regard et la tendresse d'un homme familier de l'envers du décor, ami (et parfois amant) des êtres étranges de la nuit: artistes ratés, comme le vieux magicien Scarha et sa poule pondeuse; travestis pitoyables et bouleversants, comme la Femita ou la délicieuse Linotte; prostituées cyniques et attendrissantes, comme Esther; exploitants de boîtes de nuit, comme le couple Alecto... et je n'en finirais pas de nommer ces fantômes de minuit, qui paraissent n'exister vraiment que le temps d'un effeuillage, d'une métamorphose. En lisant Brahma, on rit de peur de pleurer, et il arrive aussi que l'on pleure de rire. Brahma lui-même n'a pas été épargné: atteint de surdité totale, escroqué plus souvent qu'à son tour par des imprésarios véreux, il dévoile quelques-unes de ses misères les plus intimes (il y a notamment des pages d'une émotion rare sur l'agonie et la mort de sa jeune soeur Annie). L'écriture de La Malle des Indes est exemplaire: la narration est vive, piquante, admirablement rythmée comme un numéro de magie bien construit; les dialogues ont parfois des verdeurs céliniennes, ils sont d'une totale impudeur - et c'est sans doute pourquoi, paradoxalement, ce premier livre d'un maître de l'illusion rend un son de vérité que, pour ma part, je n'oublierai pas. Ce n'est pas seulement un bon livre, c'est d'abord un beau et grand livre.