Vous dites Alger la blanche ? Yasmine n’en voit plus « la blancheur, la beauté ou la joie de vivre, mais uniquement les trous qui me font bondir de ma place, les pigeons qui lâchent leur fiente sur ma tête et les jeunes désœuvrés qui essaient de me tripoter au passage ». Yasmine si belle qui méprise les autres pour survivre, qui a peur et peu de foi en l’avenir : Le silence est trop pesant, il nous angoisse, nous donne l’impression qu’un drame est en train de se préparer. Les cris sont comme un protège-cahier : tant que quelqu’un crie, on est presque certain de ne pas avoir
de problème »
« Elle l’aime plus que tout : il est son chat, sa vie, son trésor, son ange, son petite garçon, sa raison d’exister, son miracle, son bébé. Elle est sa puce, sa femme, sa chérie, sa poule. Ils finissent par rompre. Il a dit qu’elle était grosse. Elle a dit qu’il embrassait mal, il devient un salaud, un connard, un enfoiré, un tortionnaire. Elle est une garce, une conne, une poufiasse, une gamine »
Adel pleure dans son lit en position fœtale sans trouver le sommeil « J’ai envie de vomir. Pas seulement de la nourriture ou de la bile, mais de vomir tout ce que contient mon corps. De me vomir » Quel désespoir dans la bouche d’un jeune homme. Il est ce qu’il ne devrait pas être dans ce pays.
Sarah la sœur aînée revenue dans le cocon familial avec son mari devenu fou.
La mère qui ne comprend plus rien qui est dépassée depuis que son mari a été fauché par une balle perdue.
Alors Mouna arrive avec ses ballerines de Papicha qui aime Kamel, le marchand de frites qu’elle veut épouser quand elle sera plus grande, car elle n’a que 9 ans et que c’est dur de vivre entre un papa devenu fou, une maman qui n’est guère plus claire avec ses pinceaux et sa peinture. Bien sûr, les filles de sa classe se moque d’elle, mais elle s’en fout : elle aime Kamel et c’est sa raison d’être. Il n’est pas certain que ce ne soit pas la plus désespérée.
Et puis, il y a les autres Kamel, Adel… fumeurs de joints, buveurs de bières, emplis de désespoir, rêvant de fuite vers l’étranger pour une vie soi-disant meilleure.
Cela me fait un peu penser à la chanson de Brel : Ces gens là.
Ces dix portraits écrits à la première personne du singulier nous offrent une image de colère, de violence, de tristesse et de désespoir. Chacun raconte sa souffrance sans regarder ni anticiper la souffrance de l’autre. Ils sont dans une bulle sans oser la faire éclater de peur d’en crever.
Un petit livre par la taille, mais si profond par son contenu. Kaouther Adimi d’une écriture sèche et nerveuse brosse un portrait désespéré de la jeunesse algérienne sans espoir ni rêve. La fuite en avant dans l’alcool, la drogue, la folie….. n’est que la seule solution trouvée.
Ce premier roman est un petit bijou, un vrai coup de poing dans le cœur.
Un premier roman d'une grande maturité
Dans ce premier roman qui donne tour à tour la parole aux membres et aux voisins d’une famille semblable à tant d’autres des quartiers populaires d’Alger, Kaouther Adimi révèle le mal-être grandissant d’une jeunesse désoeuvrée et sans avenir, en perte totale de repères.
Adel, le fils trop féminin, vit dans la terreur de la violence qu’il attire. Yasmine, la jolie cadette, voudrait tant que ses études débouchent sur bien davantage que le mariage. L’aînée, Sarah, étouffe dans la soumission à un époux qu’elle rejette au point de le prendre pour fou. Pour tromper son ennui d’écolière, sa fille Mouna s'enferme dans un présent de papicha sans cervelle, limité à ses ballerines de toutes les couleurs et à son attirance pour un garçon. Le tout au grand désespoir du gendre Hamza, dépassé par le comportement de sa femme, pendant qu’ombre laborieuse silencieusement barricadée dans son autorité réprobatrice, la mère et grand-mère s'accroche bec et ongle au maintien des traditions familiales et sociales.
Tous vivent sous le même toit et sous le regard inquisiteur des voisins, de jeunes hommes occupant leur désœuvrement d’expédients, entre drogue et alcool, et rêvant, les uns de la « vraie vie » en Europe, les autres de la reconstruction de leur pays, sans jamais parvenir à faire plus que se réunir à longueur de jours et de nuits dans les cages d’escaliers de leur immeuble, mais capables néanmoins d’affirmer comme bon leur semble leur loi sur le quartier : gare à celui ou à celle qui leur semblera déchoir au gré d’un comportement trop libre ou marginal. Alors dans cette promiscuité qui pèse comme un couvercle, révolte et désespoir se vivent dans le secret d’une intimité personnelle soigneusement repliée sur elle-même, dans une souffrance et une solitude propices aux tragédies les plus extrêmes.
Un texte d’une grande maturité de la part d’une auteur alors encore toute jeune, et une illustration aussi sensible qu’efficace de la dérive d’une population acculée au désespoir, à la folie et à la mort, avec souvent pour seul espoir le mirage migratoire.