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Après avoir sauté sur une mine en Irak, le soldat Eden a, contre toute attente, survécu à ses blessures. Son état est tel que le narrateur n’est que soulagement de ne pas en avoir réchappé pour sa part. Cela fait maintenant trois ans que son épouse, parfois accompagnée de leur toute petite fille qu’il n’a pas eu le temps de connaître, lui rend quotidiennement visite à l’hôpital, où ce qu’il reste de lui respire, branché à des machines. Contre l’avis de tous, et même d’Eden comme semble l’indiquer la seule façon qu’il ait trouvée pour tenter de communiquer, Mary
ne peut se résoudre à le laisser enfin partir.
La vie est-elle toujours préférable à la mort ? D’ailleurs, est-ce bien encore une vie que ces quelques lueurs de conscience cauchemardesque, prisonnière de ce qui n’a plus d’un corps que quelques fonctions vitales, de surcroît assistées, torturée par des terreurs délirantes et inextinguibles ? C’est un ancien ami et frère d’armes qui exprime son avis d’outre-tombe, observant le désespoir d’Eden et l’obstination de Mary avec la clairvoyance d’un témoin suffisamment proche pour connaître leur passé et décoder leur psychologie. Bien placé pour comprendre et nous faire concevoir « de l’intérieur » l’innommable calvaire qu’endure Eden et pour décrypter les signaux de détresse absolue que ce mort-vivant s’évertue à adresser d’une manière éperdue à un entourage incapable de l’entendre, personne mieux que lui ne peut en même temps pénétrer les dévorants motifs de culpabilité qui rendent Mary incapable de prendre l’irrémédiable décision qui semble pourtant s’imposer.
Alors, empli d’une impuissante compassion, il raconte l’engrenage et l’emprise de la peur, la peur qui, même entre les missions, corrompt la vie de couple et toute projection d’avenir, sans que pour autant le choix de décrocher ne paraisse même une option envisageable. C’est comme accroc à une drogue qu’Eden se réengage malgré lui, mettant un peu plus en danger un ménage qui, malgré l’amour, menace de partir en quenouille. Quand une presque dépouille est rendue à l’épouse, la précipitation d’un composé toxique d’amour, de mauvaise conscience et de loyauté repentante cimente le malheur dans un sarcophage de pénitence. C’est ainsi qu’Eden, Mary et leur petite Andy se retrouvent coincés dans une impasse aussi funeste qu’insupportable, les remords devenus scrupules intempestifs bloquant la porte de sortie que chacun n’aspire pourtant qu’à prendre.
Un roman tout en pudeur et en ellipses qui, en étonnamment peu de pages, vous cloue sans voix sous le coup de son impeccable et implacable tir en plein coeur.
En attendant Eden
Parfois, un roman court suffit.
Parce qu’on suffoque, parce que l’incessant cri qui émane des pages ne nécessite pas de digressions.
Elliot Ackerman a su écrire, en 150 pages, avec une précision et une simplicité de style, une grande histoire.
L’histoire d’un homme, revenu de la guerre, la moitié du corps en moins,
l’histoire de son ami qui, lui, n’est pas revenu,
l’histoire d’une femme dont la loyauté et l’amour dépassent les frontières du corps et de l’esprit,
l’histoire d’une société déchirée par les guerres, mais toujours animée par la fraternité et la présence au monde.
150 pages comme un cri d’une déchirante beauté, 150 pages douloureuses au creux desquelles vient se nicher une certaine magie : l’humanité.
Beau et dur, sombre et vivant, un roman qui assomme autant qu’il séduit.