Difficile de présenter ce monument de 770 pages que son auteur a mis huit années à écrire et qui est extrêmement riche et assez complexe.
Je sais que ces quelques lignes seront forcément incomplètes et n'aborderont que quelques aspects de ce roman, mais j'espère qu'elles vous inciteront à le lire, même si cela nécessite une certaine attention, le style et la construction étant assez déconcertants au début.
Mais, persévérez, vous serez récompensé de vos efforts.
Confiteor signifie je confesse en latin.
C'est la confession que le narrateur, Adrià Ardevol, au soir de
sa vie, adresse à la femme aimée, avant que sa mémoire s'efface, alors que la maladie le gagne et que son esprit devient confus.
Le livre commence ainsi:
"Ce n'est qu'hier soir, alors que je marchais dans les rues trempées de Vallarca, que j'ai compris que naître dans cette famille avait été une erreur impardonnable. Tout à coup, j'ai vu clairement que j'avais toujours été seul, que je n'avais jamais pu compter sur mes parents ni sur un Dieu à qui confier la recherche de solutions, même si, au fur et à mesure que je grandissais, j'avais pris l'habitude de faire assumer par des croyances imprécises et des lectures très variées le poids de ma pensée et la responsabilité de mes actes. Hier, mardi soir, en revenant de chez Dalmau, tout en recevant l'averse, je suis arrivé à la conclusion que cette charge m'incombe à moi seul. Et que mes succès et mes erreurs sont de ma responsabilité. de ma seule responsabilité. Il m'a fallu soixante ans pour voir ça. J'espère que tu me comprendras et que tu sauras voir que je me sens désemparé, seul, et que tu me manques absolument. Malgré la distance qui nous sépare, tu me sers d'exemple. Malgré la panique, je n'accepte plus de planche pour me maintenir à flot. Malgré certaines insinuations, je demeure sans croyances, sans prêtres, sans codes consensuels pour m'aplanir le terrain vers je ne sais où. Je me sens vieux et la dame à la faux m'invite à la suivre. Je vois qu'elle a bougé le fou noir et qu'elle m'invite, d'un geste courtois, à poursuivre la partie. Elle sait que je n'ai plus beaucoup de pions. Malgré tout, ce n'est pas encore le lendemain et je regarde quelle pièce je peux jouer. Je suis seul devant le papier, ma dernière chance."
Au milieu d'une suite de tableaux de sa vie jaillissent des éclats de l'Histoire de l'Europe, à travers ses pages les plus sombres, de l'Inquisition aux camps nazis en passant par le franquisme. Ces scènes en apparence décousues convergent peu à peu.
Le personnage central est un violon d'un son et d'une valeur exceptionnels, un Storioni fabriqué en 1764, qui cristallise toutes les convoitises et autour duquel se rassemblent beaucoup de pièces du roman.
Le récit ne suit aucune chronologie. C'est un va et vient à travers le temps, les lieux et les personnages. Parfois au sein de la même phrase, on glisse de l'un à l'autre, on passe du présent à 300 ans en arrière, à un moment le grand Inquisiteur devient le responsable du camp d'Auschwitz, souvent le narrateur s'exprime indifféremment à la 1ère ou à la 3ème personne.
Mais à travers cette apparente confusion, il y a toujours un fil conducteur qui est l'expression du Mal.
C'est aussi une réflexion sur la culpabilité, le pardon, la rédemption et la place de l'art dans un monde où l'inhumain est toujours présent.
Et c'est une très belle histoire d'amour malgré TOUT, à vous de découvrir ce "tout".
Jaume Cabré est également scénariste et j'imaginerais bien Confiteor porté à l'écran.
un chef d'oeuvre
Confiteor est un roman total, qui parle de notre monde sous un angle tragique et philosophique non dénué de lumière. Magnifiquement construit, avec des personnages principaux parfaitement campés et une myriade de personnages secondaires qui sont autant de pivots nécessaire au déploiement de l'Histoire, oui celle avec un grand H car ce roman revisite l'histoire de l'Occident au prisme d'un récit parfaitement maitrisé. Liberté et nécessité, amour, l'Inquisition, le nazisme, le franquisme, l'histoire, la mémoire, l'art, la société, l'individu, la beauté, l'aliénation, le mal et le bien, comptent parmi les thèmes majeurs, philosophiques et historiques, que ce livre-monde brasse avec une intelligence virtuose. Confiteor est de ces livres qui marquent l'esprit et vous emporte dans un vertige atmosphérique dont on se demande après l'avoir terminé comment on avait pu vivre sans jusqu'alors. Sublime.