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Voilà donc où je suis venu au monde, par suite d'un concours de circonstances bien hasardeux. Logiquement, c'est ailleurs en effet que j'aurais dû naître (en Bourgogne, au Piémont, à Paris), sans l'impatience qui lança mes aïeuls sur des chemins imprévisibles. Dans ce cas, j'aurais eu à coup sûr un autre père ou une autre mère, et - de même que je ne suis qu'une partie de ce que j'aurais pu être - j'aurais alors été moins de la moitié de ce que je suis.
En bref j'aurais été un autre, ce qui ne laisse pas de me troubler, bien que ces supputations (et cela ne me trouble que davantage) amènent à croire qu'on est toujours un autre de toute façon. Mais ce petit événement aléatoire et devenu fatal, ma naissance, aura quand même effectivement eu lieu, ici, dans une de ces rues que je parcours maintenant à petite vitesse et dont je reconnais chaque détail.
Jacques Réda.
Un voyage aux sources
La Lorraine, c'est le pays de son enfance. Quand il y retourne à l'âge où l'on regarde volontiers en arrière parce qu'on ne sait plus où l'on va, ou parce qu'on le sait trop bien, le poète arpente le territoire des souvenirs et exerce son regard curieux, bienveillant et teinté d'ironie sur un monde qu'il a connu - mais est-ce toujours le même ?
Le regard de loin doit aussi s'exercer sur ce qui nous est le plus proche, peut-on croire : notre enfance. La surprise est alors au coin de la page pour un lecteur amené à tenter de cerner simultanément 'l'un et l'autre', de faire tenir ensemble malgré tout le passé, le présent et ce temps si particulier que forge chaque grand écrivain dans chaque grand livre. Celui-ci, plus discret que les pas d'un maraudeur dans un verger, restera cependant dans la mémoire du curieux qui lui accordera son attention - c'est tout le mal qu'on lui souhaite.