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Inattendu
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Emouvant
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XXIe siècle
« La possibilité nouvelle que les sociétés totalitaires avaient expérimentée était celle de la « transformation de l’homme en spécimen de l’espèce animale homme ». A cette fin, la personnalité juridique, la personne morale et l’unicité, ces trois verrous protecteurs de la dignité humaine, avaient été détruits l’un après l’autre en chacune des victimes. Cette destruction radicale, qui aurait dû être impossible jusqu’à son terme, révélait, dans un étonnement mêlé d’effroi, que le pouvoir de l’homme était si grand qu’il pouvait devenir ce qu’il désirait,
Dieu, le Mal ou une bête. »
Sophie Schulze construit son récit autobiographique autour de ces trois concepts (sorte de sainte trinité de la nature humaine) en autant de parties faites pour se/nous questionner sur ce qu’est l’identité et de son/notre rapport à celle-ci.
Sans être pour autant légère ou désinvolte, la première partie sur la personnalité juridique possède un pouvoir ubuesque, c’est-à-dire qui apparait à la fois improbable et drôle ou ironique, par la multiplicité des situations exposées, des identités/nationalités successives prises par les différents personnages rencontrés. Aucun n’est « un », l’unicité est pour plus tard. La multiplicité est autant religieuse que politique, nationale (dans le sens de nationalité) ou de circonstances. Qu’est-ce qui définit d’ailleurs l’identité d’une personne ? Sa nationalité, sa religion, les développements ou les aléas de sa vie, ses ancêtres, leurs actes, ses actes à elle ? Un peu de tout cela ?
La seconde partie nous confronte déjà plus avec une logique parfois aussi ubuesque que dans la première partie mais dont toute nature ironique a disparu pour laisser la place à une réalité brute, implacable et parfois impersonnelle, comme dans son expérience de juriste stagiaire. Pour aussi et surtout laisser place à une prise de conscience de la nature humaine, pendant son séjour d’une journée à Jérusalem, à la croisée des différentes religions ou encore pendant son stage.
Ces deux parties préparent le lecteur à la troisième : l’unicité. C’est le vrai morceau de « choix » du livre, de loin le meilleur, le plus indispensable, où l’auteur ne fait plus qu’un avec le passé de ses ancêtres, essentiellement celui du grand-père nazi qui a officié en Pologne. La visite d’Auschwitz (A) et de Birkenau (B) est alors l’occasion, pour Sophie Schulze, de livrer un texte d’une magnifique dureté, d’une redoutable poésie et d’une incroyable clairvoyance dont l’apothéose se trouve exprimée dans sa lettre à son éditeur, descendant de victimes du nazisme. L’occasion d’écrire/décrire dans un même souffle les cris de désespoir et d’espoir qui l’habitent, cri dans lesquels sa vie s’entrechoque avec les morts et les fantômes du passé, découverts sur le tard.
Ce n’est qu’en 2012 qu’elle a pris connaissance de ce passé, douloureux pour elle, quand bien même elle en avait une conscience diffuse sans pouvoir mettre une réalité sur une vérité qu’elle vit comme cruelle, au plus profond de son être. Sophie Schulze développe des sentiments de culpabilité très forts, qui peuvent paraitre excessifs pour certains, mais qui sont en cohérence avec ce qu’elle exprime d’elle-même. Les émotions bouleversées qu’elle ressent face à certaines situations développées dans les deux premières parties, tout en parlant de déracinement, d’identité ou de nature humaine, ne sont que les prémices de ce qu’elle décrit dans la dernière partie du livre, comme une introduction à son mal-être.
Sophie Schulze est tour à tour poétique, poignante, dure voir tout à la fois. Et elle sublime tout cela dans la lettre qu’elle adresse à son éditeur dont cet extrait pour réducteur qu’il est n’en est que la conclusion :
« A défaut d’avoir pu rayer mon grand-père de la carte, je vous propose donc, à titre de compensation symbolique, de me rayer de la couverture. »
Sophie Schulze veut ainsi s’effacer en tant que personne face à l’universalité de son propos, disparaitre en tant qu’auteur pour que seul le récit perdure en dehors d’elle, en dehors de toute autre matérialisation.
Je ne suis malheureusement pas sûr que cette chronique rende correctement hommage aux propos que Sophie Schulze développe dans la dernière partie de son livre mais il interroge le lecteur sur son identité, sur sa dignité d’être humain et sur son rapport au monde.
Identité/culpabilité/responsabilité
« La possibilité nouvelle que les sociétés totalitaires avaient expérimentée était celle de la « transformation de l’homme en spécimen de l’espèce animale homme ». A cette fin, la personnalité juridique, la personne morale et l’unicité, ces trois verrous protecteurs de la dignité humaine, avaient été détruits l’un après l’autre en chacune des victimes. Cette destruction radicale, qui aurait dû être impossible jusqu’à son terme, révélait, dans un étonnement mêlé d’effroi, que le pouvoir de l’homme était si grand qu’il pouvait devenir ce qu’il désirait, Dieu, le Mal ou une bête. »
Sophie Schulze construit son récit autobiographique autour de ces trois concepts (sorte de sainte trinité de la nature humaine) en autant de parties faites pour se/nous questionner sur ce qu’est l’identité et de son/notre rapport à celle-ci.
Sans être pour autant légère ou désinvolte, la première partie sur la personnalité juridique possède un pouvoir ubuesque, c’est-à-dire qui apparait à la fois improbable et drôle ou ironique, par la multiplicité des situations exposées, des identités/nationalités successives prises par les différents personnages rencontrés. Aucun n’est « un », l’unicité est pour plus tard. La multiplicité est autant religieuse que politique, nationale (dans le sens de nationalité) ou de circonstances. Qu’est-ce qui définit d’ailleurs l’identité d’une personne ? Sa nationalité, sa religion, les développements ou les aléas de sa vie, ses ancêtres, leurs actes, ses actes à elle ? Un peu de tout cela ?
La seconde partie nous confronte déjà plus avec une logique parfois aussi ubuesque que dans la première partie mais dont toute nature ironique a disparu pour laisser la place à une réalité brute, implacable et parfois impersonnelle, comme dans son expérience de juriste stagiaire. Pour aussi et surtout laisser place à une prise de conscience de la nature humaine, pendant son séjour d’une journée à Jérusalem, à la croisée des différentes religions ou encore pendant son stage.
Ces deux parties préparent le lecteur à la troisième : l’unicité. C’est le vrai morceau de « choix » du livre, de loin le meilleur, le plus indispensable, où l’auteur ne fait plus qu’un avec le passé de ses ancêtres, essentiellement celui du grand-père nazi qui a officié en Pologne. La visite d’Auschwitz (A) et de Birkenau (B) est alors l’occasion, pour Sophie Schulze, de livrer un texte d’une magnifique dureté, d’une redoutable poésie et d’une incroyable clairvoyance dont l’apothéose se trouve exprimée dans sa lettre à son éditeur, descendant de victimes du nazisme. L’occasion d’écrire/décrire dans un même souffle les cris de désespoir et d’espoir qui l’habitent, cri dans lesquels sa vie s’entrechoque avec les morts et les fantômes du passé, découverts sur le tard.
Ce n’est qu’en 2012 qu’elle a pris connaissance de ce passé, douloureux pour elle, quand bien même elle en avait une conscience diffuse sans pouvoir mettre une réalité sur une vérité qu’elle vit comme cruelle, au plus profond de son être. Sophie Schulze développe des sentiments de culpabilité très forts, qui peuvent paraitre excessifs pour certains, mais qui sont en cohérence avec ce qu’elle exprime d’elle-même. Les émotions bouleversées qu’elle ressent face à certaines situations développées dans les deux premières parties, tout en parlant de déracinement, d’identité ou de nature humaine, ne sont que les prémices de ce qu’elle décrit dans la dernière partie du livre, comme une introduction à son mal-être.
Sophie Schulze est tour à tour poétique, poignante, dure voir tout à la fois. Et elle sublime tout cela dans la lettre qu’elle adresse à son éditeur dont cet extrait pour réducteur qu’il est n’en est que la conclusion :
« A défaut d’avoir pu rayer mon grand-père de la carte, je vous propose donc, à titre de compensation symbolique, de me rayer de la couverture. »
Sophie Schulze veut ainsi s’effacer en tant que personne face à l’universalité de son propos, disparaitre en tant qu’auteur pour que seul le récit perdure en dehors d’elle, en dehors de toute autre matérialisation.
Je ne suis malheureusement pas sûr que cette chronique rende correctement hommage aux propos que Sophie Schulze développe dans la dernière partie de son livre mais il interroge le lecteur sur son identité, sur sa dignité d’être humain et sur son rapport au monde.