Dans les années soixante, en pleine Amérique ségrégationniste, une erreur judiciaire vient stopper net les projets d’études universitaires du jeune Elwood Curtis, en l’envoyant dans une maison de redressement pour mineurs, la Nickel Academy. Derrière la respectable façade de cet établissement de Floride, ont lieu de tels sévices qu’ils ne cessent d’étendre le cimetière proche, tandis qu’une corruption généralisée s’élargit à la population alentour, ravie de profiter d’une main d’oeuvre gratuite et du détournement des vivres censés alimenter les enfants. Le sort
des jeunes Noirs y est le pire de tous…
L’auteur s’est inspiré de la véritable Dozier School for Boys, en Floride, qui, pendant ses 111 ans de fonctionnement, malgré les inspections régulières, et jusqu’à sa fermeture en 2011 seulement, usa sur ses pensionnaires des châtiments corporels, du viol, de la torture et du meurtre pur et simple. La majorité des garçons s’y retrouvaient « pour des infractions sans gravité – des délits vagues, inexplicables. Certains étaient orphelins, pupilles d’un Etat qui n’avait pas d’autre endroit où les caser ». L’arbitraire touchait particulièrement les Noirs. A l’époque de ce récit, ne suffisait-il pas de rester sur le même trottoir qu’un Blanc pour se retrouver condamné au motif de « contact présomptueux » ?
Avec une lucidité calme, le texte raconte les vies noires américaines à jamais brisées, le terrible joug d’une soumission intégrée au fil des générations comme la seule stratégie de survie, et le dérisoire des croyances au changement cruellement mises en perspective au travers d’extraits des optimistes discours de Martin Luther King. Le magistral twist final plaide pour la nécessité d’abandonner toute illusion et d’oser dire non, trouvant d’ailleurs un très sonore écho dans les récentes explosions de colère aux Etats-Unis.
Ce roman qui vaut à Colson Whitehead son second prix Pulitzer, à l’instar d’un Faulkner ou d’un Updike, est un terrible coup de massue littéraire, une lecture essentielle pour comprendre l’effroyable héritage qui continue à meurtrir toute l’Amérique. Coup de coeur.
Elwood, Turner, Desmond et les autres.
Dès son prologue, le dernier roman de Colson Whitehead nous tord les entrailles et retient notre souffle. Floride, années 2010 : des restes humains montrant des marques de sévices sont exhumés du cimetière "officieux" d'une maison de correction à la sinistre réputation. 50 ans plus tôt, le jeune Elwood, un élève modèle et ambitieux dont le seul "défaut" est d'être noir dans l'Amérique sudiste et ségrégationniste, se retrouve accusé à tort du vol d'une voiture. Il atterrit dans le sinistre établissement et sa vie bascule.
Le style elliptique et allusif de Whitehead fait des merveilles dans ce récit dur mais prenant qui recrée de façon sidérante les heures sombres de l'Amérique raciste à travers le regard d'un adolescent idéaliste que la société injuste et violente essaie de briser en vain. Sans aucun doute un des romans majeurs de la littérature américaine contemporaine. Prix Pulitzer de la fiction 2020.