En cours de chargement...
1968, palais du Potala au Tibet. L'ancienne demeure du dalaï-lama est occupée par une petite troupe de très jeunes gardes rouges fanatisés, étudiants à l'école des beaux-arts, menés par un garçon particulièrement cruel, 'le Loup'. Dans les anciennes écuries du palais, Bstan Pa, ancien peintre du dalaï-lama, est retenu prisonnier. Le Loup veut lui faire avouer sous la torture ses crimes contre-révolutionnaires.
Alors que les jeunes gardes rouges profanent les plus hautes ouvres d'art bouddhique, le vieux peintre se remémore une existence dédiée à la peinture sacrée. Il se souvient de son apprentissage auprès de son maître, des échelons gravis grâce à son talent exceptionnel jusqu'à approcher les plus hautes autorités religieuses et participer à la recherche du nouveau tulkou, l'enfant appelé à succéder au défunt dalaï-lama.
Que peut la violence des hommes contre la beauté?
Dai Sijie nous fait pénétrer dans un univers d'harmonie et de méditation, nourri par l'évocation d'une tradition séculaire très raffinée que l'écrivain connaît à la perfection. Empreint d'une sensualité étonnante dans la description de l'art tibétain, ce nouveau roman de l'auteur de Balzac et la Petite Tailleuse chinoise procure un sentiment de dépaysement absolu dans l'espace et dans le temps.
Quand "art" rime avec "résistance"
En 1968, le Tibet est occupé par la Chine, le Dalaï-Lama en exil, et son palais du Potala aux mains de gardes rouges, acharnés à anéantir objets sacrés et œuvres d’art bouddhiques. Emprisonné et torturé pour crime contre-révolutionnaire, le vieux Bstan Pa résiste mentalement en se remémorant sa vie de peintre : son apprentissage auprès d’un maître, sa progression jusqu’à sa nomination au service des plus hautes autorités tibétaines, son bonheur de consacrer son existence à la méditation et à la beauté.
En opposant un vieux sage versé dans l’art et la contemplation à une bande de très jeunes révolutionnaires haineux et violents, dans un face à face où, malgré les apparences, l’asservissement de l’un aux autres est loin de paraître définitivement acquis, Sijie Dai réussit à incarner tout le conflit entre une Chine encore aujourd’hui obsédée par la sinisation de son voisin et un Tibet que l’occupation chinoise n’a jamais réussi à vider de sa culture et de son identité.
Face à l’obscurantisme, au fanatisme et à la barbarie, le récit nous fait découvrir, dans un luxe de détails colorés, le raffinement de l’art des tankas, ces rouleaux peints caractéristiques de la culture bouddhiste tibétaine et servant de supports à la méditation. Après avoir suivi leur élaboration minutieuse et l’apparition de leurs couleurs sous les doigts et le pinceau parfois à un seul poil de Bstan Pa, c’est un crève-coeur d’assister à leurs autodafés aux côtés de leur créateur qui, privé de son art, garde la force de continuer à peindre mentalement.
Après la littérature vecteur d’émancipation dans Balzac et la petite tailleuse chinoise, Sijie Dai choisit cette fois la peinture pour un nouvel acte de résistance à la violence et à l’aliénation au travers de l’art et de la création. Il nous livre un très beau texte, d’une grande puissance d’évocation et d’une poésie lumineuse, malgré la brutalité qui endeuille ses pages.