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« J'ai trois ans. Un homme qui me paraît immense entre dans la minuscule cuisine de l'appartement rue du Souci à Poitiers, me prend dans ses bras, je ne l'ai jamais vu. Ma mère me demande de l'appeler papa. C'est mon père. »
Des années après la mort de son père, dont l'apparition s'impose dès les premières phrases de son nouveau roman, Michèle Lesbre tente de se réconcilier enfin avec son « intime étranger », ce père qu'elle a si peu et si mal connu.
Assis sous un réverbère, un homme bien mis, pipe à la main, est totalement absorbé par sa lecture.
La scène est insolite, la silhouette presque familière, et quand la narratrice, intriguée, parvient à déchiffrer le titre de l'ouvrage, le passé la submerge. Scènes de la vie de bohème, d'Henry Murger, ne quittait pas le bureau de son père, et elle s'était souvent étonnée, sans oser lui poser la question, qu'il l'évoque comme un livre « qui était toute sa jeunesse ». Quel rapport entre les aventures de quatre joyeux drilles à l'humeur frondeuse et l'homme tourmenté dont elle n'a jamais percé la part de mystère ?
Avec le projet de lire enfin Murger, qui attendait son heure, elle s'engage dans un voyage rythmé de paisibles étapes le long d'un canal.
Son imagination et sa mémoire dérivent au fil de l'eau et des rencontres - une gardienne de vaches, un éclusier tendre et un peu menteur, un délicieux couple de mariniers. Mais elle ne s'arrêtera jamais très longtemps auprès d'aucun de ceux-là. Elle sait qu'ils la mènent à un autre rendez-vous, bien plus essentiel, avec ce père qui un jour fut un jeune homme insouciant, rêvant de la vie de bohème.
Chemins est une bouleversante quête du père, et un très beau roman des origines.
Après Écoute la pluie et Victor Dojlida, une vie dans l'ombre, tous deux parus en février 2013, Chemins est le dixième livre de Michèle Lesbre que publie Sabine Wespieser éditeur.
Souvenirs d'un père
Le temps qui passe, la mémoire, le voyage façonnent une oeuvre en partie autobiographique.
Avec "chemins", Michele Lesbre nous invite à l'accompagner dans ses rêveries au gré d'un lent voyage sur un chemin de halage au bord de la Loire.
En route pour rejoindre la nouvelle maison de ses amis, elle ne prend pas une ligne droite mais des sentiers buissonniers qui la ramènent vers les images de son enfance au lieu-dit "le Pommier", à la maison de ses grands-parents et au souvenir tremblant d'un père qu"elle a connu mais dont elle ne sait rien "un intime étranger".
Less souvenirs parfois douloureux sont atténués par la tranquillité paisible de la campagne où elle rencontre des gens simples et chaleureux : une vieille femme et son chien qui font paître les vaches " Dans la transparence de l'air, je croyais voir des images d'un étang familier au bord duquel de longs après-midi m'avaient appris la douceur de l'ennui, même si le temps me paraissait trop lent, car j'étais alors une petite fille", un éclusier charmeur et un couple de mariniers amoureux qui l'invitent à dériver dans leur péniche.
Au fil de son vagabondage, la narratrice n'est pas seule, un chien qu'elle adopte sur son chemin l'accompagne et surtout un livre qu'un inconnu avant son départ avait ravivé à sa mémoire en même temps que sa silhouette lui avait semblé étrangement familière. Ce livre plein de fantaisie et de gaïeté est "Scènes de la vie de bohème" d'Henry Murger que lisait son père quand il était jeune homme, "un souvenir de jeunesse" pour lui dont il ne lui a jamais parlé et qui ressemble si peu à l'homme austère qu'elle a connu.
Après tant d'années d'attente et sur le chemin de son enfance, la narratrice est prête à le lire comme si enfin son père ouvrait son coeur.