Echenoz part d’une balade à vélo, une balade bucolique ; le tocsin sonne, nous arrivons sur la place où toute la population est rassemblée « Tout le monde avait l’air très content de la mobilisation : débats fiévreux, rires sans mesure, hymnes et fanfares, exclamations patriotiques striées de hennissements ». La joie, l’impatience sont palpables, on verra ce qu’on verra !
L’attente commence pour les 5 vendéens : Anthime, Padioleau, Bessis, Arcenel se retrouvent à la caserne, ainsi que Charles, sous-directeur de l’usine où Anthime est comptable. Puis vient le moment d’aller
au front, d’affronter l’ennemi. Tous ne reviendront pas. Echenoz résume fort bien cette connerie cruelle : « Tout cela ayant été décrit mille fois, peut-être n'est-il pas la peine de s'attarder encore sur cet opéra sordide et puant. Peut-être n'est-il d'ailleurs pas bien utile non plus, ni très pertinent, de comparer la guerre à un opéra, d'autant moins quand on n'aime pas l'opéra, même si, comme lui, c'est grandiose, emphatique, excessif, plein de longueurs pénibles, comme lui ça fait beaucoup de bruit et souvent, à la longue, c'est assez ennuyeux. »
Dans ce livre, pas de grandes envolées lyriques, pas de longues descriptions mais du quotidien, du palpable. Nous suivons la guerre à travers Anthime. « De fait, Anthime s’est adapté. Ne se fût-il pas adapté, d’ailleurs, eût-il montré du mal à supporter les choses et voulu le faire savoir, la censure du courrier n’aidait pas trop à ce qu’on se plaignît. Oui, Anthime s’est plutôt vite fait aux travaux quotidiens de nettoyage, de terrassement, de chargement et de transport de matériaux, aux séjours en tranchée, aux relèves nocturnes et aux jours de repos. » En peu de mot, beaucoup est dit.
Dans le chapitre 7, Jean Echenoz écrit : « Propulsons-nous vers cet insecte : à mesure qu’on l’approche, il grossit peu à peu jusqu’à se transformer en petit avion, biplan biplace de modèle Farman F37 Mené par deux hommes, un pilote et un observateur assis l’un derrière l’autre dans des fauteuils bruts, à peine protégés par deux pare-brises rudimentaires. » Il ne reste plus qu’à lancer la caméra de notre imagination et on voit le ballet mortel s’engager entre cet avion et l’appareil orné de la croix de Malte.
Dans un entretien, Jean Echenoz raconte comment l’idée de ce livre lui est venue en trouvant les carnets d’un combattant dans une malle. Il décrit les choses comme on les note dans son cahier « son havresac, modèle as de carreau 1893 et dont l’infrastructure était un cadre en bois couvert d’une enveloppe de toile épaisse du vert wagon au brun cachou ».
C’est un livre court mais puissant, dense, bouleversant, concret. En peu de mot, il démarre notre caméra mentale pour un voyage dans l’enfer du quotidien de la guerre. Un superbe livre, je ne me lasse pas de la belle écriture de jean Echenoz.
http://zazymut.over-blog.com/article-jean-echenoz-14-114385179.html
14 ECHENOZ
14 est un petit chef d’œuvre de concision, il y résonne tous les échos de la grande guerre, la scène et ses contours, les paysages et les anonymes, pris dans l’engrenage des brumes de l’histoire.
Echenoz y trempe sa plume merveilleuse, pour un intense plaisir de lecture, le détail travaillé à l’os, sec et subtil, tranchant comme la focale grossissante d’un boîtier photo qui joue de tout ses ses angles avec une acuité folle, implacable d’intelligence et d’ironie.
Une Masterclass d’écriture, concentré minimaliste et malicieux, ciselé d’élégance et de détours sidérant de justesse et d'empathie.
Du grand art, en somme.