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A bord d’un camion qui roule sur les routes d’Algérie, le chauffeur, un vieil homme nommé Bahi, entreprend de raconter sa vie au narrateur, assis silencieux à côté de lui. Il lui dépeint avec une surprenante allégresse ses souvenirs de la ferme où il a travaillé très jeune, de l’Indépendance et de la période sanglante qui l’a précédée. Il lui décrit l’Algérie d’aujourd’hui et le terrorisme qui secoua le pays jusque dans les campagnes.
Il s’amuse des petits bénéfices qu’il fait, à soixante-dix ans passés, en revendant du sable d’un bout à l’autre du pays ; murmure l’histoire de ses deux femmes, épousées l’une à l’insu de l’autre ; se moque tendrement de la réussite trop clinquante de ses fils… Toutes ces histoires tantôt sombres, tantôt cocasses, sont habitées par le souvenir d’un homme, nommé Malusci, qui n’est autre que l’ancien propriétaire de la ferme où a débuté Bahi, et aussi le grand-père du narrateur.
Un homme dont Bahi, malgré tout ce qui les séparait, croit pouvoir dire qu’il fut l’ami. Un homme qui a quitté l’Algérie voilà cinquante ans, et qui défia jusqu’à la dernière heure ceux qui voulaient l’en chasser. Un homme aujourd’hui déclinant, qui vit à Bandol, rongé par le ressentiment, et que le narrateur ne connaissait jusque-là que sous son plus mauvais jour. Voyage dans l’espace (le territoire algérien arpenté en camion) et dans le temps (des années 1960 aux années 2000), Là, avait dit Bahi est un roman tout en mouvement, porté par le style plein de souffle de Sylvain Prudhomme et illuminé par le personnage de Bahi, éblouissant conteur.
Qu’il nous décrive la vie de tous les jours de l’Algérie contemporaine, l’exécution d’un villageois par les Français, la réparation du camion ou un rendez-vous manqué dans Oran en proie à la folie meurtrière des fêtes de l’Indépendance, ce roman nous transporte à chaque fois dans des scènes d’une grande intensité et nous offre un point de vue neuf sur l’Algérie, trois générations après l’Indépendance.
Là, il y a cinquante ans...
Là, avait dit Bahi, il y a cinquante ans et dans les yeux de Bahi, c'est comme si c'était hier et cette singulière fiction aux allures de récit oral au flot ininterrompu nous ramène et nous renvoie sans cesse à cette histoire singulière qui regarde deux êtres, deux anciens complices. Il y a l'histoire des nations et puis dedans l'histoire des individus. L'histoire de Bahi et Malusci dans l'Histoire de la guerre d'Algérie. C'est l'histoire d'une complicité très particulière qui ne concerne qu'eux et les réunit dans une nostalgie qui défie les deux camps qui ont fini par s'entretuer. C'est une histoire fondatrice pour Bahi et ce qui fait son sourire, sa malice, sa singularité et peut-être aussi sa fortune. C'est peut-être ce qui sauverait et a sauvé Malusci. C'est une histoire qui défi les lois de l'Histoire et révèle deux personnalités. C'est le récit d'un messager qui a rétablit un lien ancien entre les deux hommes. C'est une émotion qui remonte et invite le messager à partager une autre vie comme un parent inconnu de l'autre côté de la méditerranée, celle de Bahi, un personnage qui nous devient familier dont on imagine le visage, les tics... ça n'enlève rien à l'atrocité de cette guerre coloniale et ne rachète personne mais là fut le début de la fin de leur histoire avant que le temps, longtemps après face remonter leurs souvenirs. La nostalgie est peut-être un terrain neutre. On revient en arrière comme ils se revoient là comme si c'était hier avec ce que cette histoire avait laissé en chacun d'eux, une chose singulière qui sans être apparente aura forgé en partie deux individus. Deux portaits dans l'Histoire et une langue, celle du messager qui note tout de la singularité de cette rencontre avec un être simple et extraordinaire à la fois. Magnifique !