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Lundi 4 avril 1927 : jour de marché et d'abattage ordinaire à la Villette. De part et d'autre du canal de l'Ourcq, la vie s'éveille au petit matin blême. Avec l'arrivée des premiers troupeaux, la campagne débarque à « Paname », tandis qu'en face, les échaudoirs s'animent au son tranchant des lames qu'on aiguise. Sabots et souliers vernis se croisent un instant. Une même capitale - celle de la viande -, deux mondes : d'un côté, la cité du négoce, de la foire aux bestiaux, des odeurs de bouse et de beaujolais ; de l'autre, celle des tueurs, du sang des bêtes, de la mort.
Deux pays presque étrangers, avec des frontières, des rivalités, des langues différentes, mais aussi des échanges commerciaux et culturels, des relations quasi politiques.
Un âge d'or ? Ça dépend pour qui.
Pour les marchands, sans doute : la guerre est oubliée, et on ne parle pas encore de la grande crise. Pour ceux-là, l'époque se prête à l'insouciance : le champagne coule à flot au Cochon d'Or, et les liasses de billets changent de main au gré des transactions.
Pour les autres, c'est encore le XIXe siècle : Victorine qui, chaque nuit, mène - pour leur dernière étape - des milliers de moutons, P'tit Pierre, l'apprenti de quatorze ans, qui rêve de devenir jockey en repassant ses couteaux, Dédé le Savoyard, roi du merlin, et tous ces débarqueurs, toucheurs, bouchers, et bouviers qui, jour après jour, « sans colère et sans haine », comme l'avait noté Baudelaire, concourent au sacrifice.
Écrit au présent, ce livre-reportage nous donne une somme de documents, d'images et de souvenirs le plus souvent inédits, recueillis auprès de ceux qui furent les acteurs de ce drame rituel de la vie et de la mort, et les témoins directs de cette époque tout à la fois âpre et opulente.
