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"Je me suis longtemps appelé Filippo Scalfaro. Aujourd'hui, je reprends mon nom et le dis en entier : Filippo Scalfaro de nittis. Depuis ce matin, au lever du jour, je suis plus vieux que mon père (...) Je porte mon père en moi. Ce matin, aux aurores, je l'ai senti monter sur mes épaules comme un enfant. Il compte sur moi. Tout va avoir lieu aujourd'hui. J'y travaille depuis si longtemps".
Nous sommes en 2002. Il n'est plus le petit Pippo décédé lors d'une fusillade dans un quartier de Naples, fils de Matteo et Giuliana détruits par la perte de leur fils unique. Il est celui qui va
venger toutes ces années perdues, la honte portée sur son père qui n'a su le protéger , la fuite de Giuliana entrainée dans la folie par ce drame. Il est celui qui est revenu des enfers pour perpétuer la mémoire de sa famille et faire payer à Toto Cullaccio le prix de son crime.
Quelques années plus tôt, en 1980, un père anéanti par le décès de son petit Pippo écoutait l'étrange récit du curé Mazerotti et du professore et entrait aux enfers par la grande porte afin d'y rechercher son fils ...
Il est difficile de parler de ce roman sans tout dévoiler. Construit sur plusieurs voix, comme souvent dans les romans de Laurent Gaudé, il reprend les thèmes chers à l'auteur : les liens familiaux, la religion, l'Italie, les croyances, la mort.
La force du roman est d'ancrer le récit dans un cadre réaliste et de dériver lentement vers le fantastique sans que l'on s'en rende compte. Le lecteur suit, à rebrousse poil, le périple d'un père dont la vie a basculé le jour où son petit garçon est décédé au cours d'une fusillade qui ne le visait pas. Les sentiments sont retranscrits avec force, sans pathos, mais avec sincérité. La plume est belle et le contraste entre les deux narrateurs apporte un nouveau souffle au récit afin que l'on ne reste pas sur la peine d'un père ou le désarroi d'une mère.
Autour de cela une recherche surprenante, une nuit passée dans un café avec trois amis suspendus aux lèvres du Professore, une mystérieuse porte conduisant aux enfers ceux qui portent déjà la mort en eux, un récit inspiré de Dante, de l'Acheron et nourri de mythologie et de légendes. Où l'on apprendra peut-être qu'en 1311 Bartolomeo d'Antiocchia était enterré à Naples, dans un catafalque dont la porte reste entrebaillée, ou encore que Frédéric II avait déclaré la guerre à la mort en descendant en 1221 dans les terres d'en-bas ...
Deuxième lecture de ce roman et toujours autant de sensations et d'émerveillement devant les descriptions, les voix ...
Assis dans la salle d'attente de l'hôpital, Antoine revient sur ce qui vient de se passer. Une route, l'anniversaire de sa soeur, l'inquiétude sur son visage, puis l'accident. Elle s'apprêtait à lui révéler quelque chose, mais quoi ? Allongée dans ce lit d'hôpital elle semble avoir oublié. Faut-il revenir sur cet instant, faire remonter ce qui l'a angoissée au point qu'elle a perdu le contrôle du véhicule ? Tout se bouscule dans sa tête, mais cela semble être la suite logique des perturbations de sa vie depuis son divorce d'avec Astrid. une sorte d'errance dans laquelle il a du
mal à trouver sa place, des ados à gérer en bon père de famille qu'il n'est plus. Son divorce lui a coupé les ailes.
Pourtant il veut agir cette fois. Que s'est-il passé ? Il revoit sa soeur Mélanie sur la plage de Noirmoutier. Il avait décidé de l'amener là pour son anniversaire. Ils n'y étaient pas retournés depuis de longues années, depuis le décès de leur mère pour tout dire. Tout s'est ensuite enchainé et le souvenir de Clarisse, leur mère, a pris, lors de ce séjour, plus de place qu'il n'aurait dû. Revenir en ces lieux bénis de leur enfance a fait ressurgir le passé et ses questions sur le décès de leur mère.
Son père s'est remarié, a tout fait pour effacer jusqu'au souvenir de sa femme. Pourquoi ?
Ce n'est qu'au bout d'un long cheminement qu' Antoine découvrira ce qu'il n'aurait jamais soupçonné et se libèrera d'un poids énorme...
Les romans de tatiana de Rosnay tournent souvent autour du secret. C'est encore le cas ici, alors que le roman prend des allures de recherches à la manière d'un détective au fil des pages. Dès le départ l'auteur installe le suspens en ne livrant que par bribes les éléments qui permettraient de reconstituer le puzzle. Pourtant l'on tourne autour du pot longtemps et des redites m'ont empêchées de rester en éveil tout au long du roman. Ce n'est qu'à la p 218 que j'ai retrouvé l'élan qui entraine Antoine et sa soeur dans la recherche du passé.
J'ai apprécié en revanche les intermèdes épistolaires livrés dans le roman. On ne sait qui écrit mais l'on soupçonne que ce soit la mère d'Antoine, Clarisse, dont on lit les lettres. Adressées visiblement à un amant, elles mettent le lecteur sur la piste d'un adultère et orientent le récit vers un mystère à élucider. Je ne peux en dire davantage sans dévoiler le fameux secret !
Le récit est ancré dans la zone de Noirmoutier et l'on retrouvera avec plaisir l'évocation du Gois, de la marée et des légendes qui l'entourent.
Les thèmes abordés son variés mais tournent autour du couple, sa construction et son évolution, autour de la mort aussi, la façon dont on peut réagir face à un décés, le deuil nécessaire mais différent à chaque âge.
C'est une vérité universellement reconnue qu'un célibataire pourvu d'une belle fortune doit avoir envie de se marier, et, si peu que l'on sache de son sentiment à cet égard, lorsqu'il arrive dans une nouvelle résidence, cette idée est si bien fixée dans l'esprit de ses voisins qu'ils le considèrent sur-le-champ comme la propritété légitime de l'une ou l'autre de leurs filles."
Aussi lorsque Mrs Bennet apprend que Netherfield compte un nouvel habitant, qui plus est un beau parti, mène-t-elle tambour battant son petit monde afin de présenter au plus vite ses filles à M Bingley.
Mais ce dernier n'est pas le seul jeune homme charmant et riche que convoitent ces dames et son ami, Mr Darcy, provoque au sein de la petite société un certain émoi. Certes, Mr Darcy est fort orgueilleux, plein d'aisance et n'est pas flatté des mêmes discours admiratifs que Mr Bingley, bien que sa fortune suscite l'émoi; pourtant il ne laisse pas indifférent.
Elizabeth Bennet , dont le franc parler désespère sa mère et fait la joie de son père, n'a de cesse de le taxer d'orgueilleux et ne voit en lui que le côté négatif d'un parvenu. A moins que ce soit ce que l'on essaie de lui faire croire ...
Je dois dire que je sors de cette lecture quelque peu déçue. sans doute, après tant d'adaptations cinématographiques et de critiques élogieuses, m'attendais-je à autre chose. Il m'a fallu un bon moment avant de comprendre qui était qui et, surtout, quelles étaient leurs intentions ! Cependant la plume enlevée et pleine d'humour de Jane Austen fait son oeuvre et c'est avec plaisir que j'ai découvert ce roman dont les héros ont traversé la littérature.
La grande famille Bennet, tout d'abord, est brossée de façon assez croustillante : une mère envahissante, peu instruite mais désireuse de s'élever socialement par le mariage de ses filles, détestable et drôle à la fois, un père sarcastique dont on comprend qu'il n'a pas fait un mariage d'amour mais qui s'en accomode et voue à Elizabeth une affection particulière ( l'humour est leur point commun et leur lien), toujours le bon mot pour remettre sa femme à sa juste place ou moucher un parti trop entreprenant; des soeurs dont le comportement varie mais met en exergue le caractère d'Elizabeth. Les sentiments sont exacerbés, pour le plaisir du lecteur qui, entre larmes et stratagèmes, suit le parcours de ces jeunes femmes.
Les dialogues sont enlevés et donnent un rythme soutenu à cette histoire dans laquelle on ne s'ennuie pas. Jane Austen ne fait pas de cadeau en dépeignant la société du XIX°S, la place et le rôle des femmes entre soumission et manipulation.
J'aime cet univers et relirai sans doute cette oeuvre afin d'en savourer des passages que j'ai peut-être lus un peu vite.
dès les premières pages, l'écriture sensible, simple de Yoko Ogawa, transporte et l'on se laisse bercer par la poésie des mathématiques. Et oui, c'est moi qui le dit ! l'approche du professeur est , valorisante, expressive, consciencieuse.
Le ton est donné dès l'incipit avec le surnom donné par le professeur au fils de la narratrice, Root ( racine carrée) qui permet de comprendre comment fonctionne le vieil homme. Sa mémoire défaillante crée en lui une angoisse qu'il exprime par un comportement replié sur lui-même, une tentative rassurante de trouver ,en tout ce qui l'entoure,
des repères. Or ces repères sont liés aux chiffres. "Votre anniversaire c'est quel jour de quel mois ?", "Quelle est votre pointure ?", "Quel est l'âge de votre fils ? ", autant de questions qui constituent une entrée en matière dès que les protagonistes se retrouvent, un moyen de créer le contact , de créer du lien. Ici, ce qui apparait comme un topos de la littérature ( l'oubli, la défaillance) est amené de façon mélancolique sans que l'on prenne en pitié ce personnage pourtant émouvant. la rigueur qu'impose sa discipline transparait dans un comportement d'abord froid. cependant, à mesure que les mathématiques prennent une tournure plus poétique ( et oui je le maintiens !) l'homme se fait plus sociable, touchant de lucidité .
L'on ne peut qu'être ému par le dévouement de la narratrice pour ce vieil homme qui l'oubliera dans quelques minutes, persuadée qu'elle peut tout de même améliorer son quotidien et créer un lien durable, entre lui et son fils surtout. Car le vieil homme et Root semblent étrangement proches, se comprennent . Tous vont dépasser le problème de mémoire du professeur pour bâtir des repères, des ponts entre le passé et le présent, autour du baseball notamment pour lequel les références du professeur se sont est arrêtées en 1975, à l'apogée d'Enatsu, joueur depuis longtemps retraité. Avec une grande sensiblité et pas mal d'humour, mère et fils vont maintenir les souvenirs du professeur vivaces et les lier au présent. Tous deux vont introduire la vie dans la maison du vieil homme, tout simplement.
L'histoire est portée par des formules sur lesquelles le professeur travaillais à l'époque où survint son accident ou sur lesquelles il revient en participant à des concours organisés par une revue scientifique : la conjecture d'Artin, le théorème de Fermat et une mystérieuse petite formule, griffonnée sur un morceau de papier et que la narratrice gardera précieusement ... La magie des nombres entiers est alors révélée aux deux protagonistes qui n'ont de cesse de poursuivre , dans leur vie quotidienne, l'expérience révélée par le professeur
C'est ce que j'ai apprécié dans ce roman, l'idée que les mathématiques ne sont pas réservées à un cercle fermé de puristes mais que tout un chacun peut appréhender et faire sien ce domaine en le confrontant à sa vie quotidienne.
On retrouve la famille Ellison et une nouvelle complicité entre Charlotte et sa soeur Emily, qui se révèle une entremetteuse hors pair. Là encore le plus stimulant est sans doute de découvrir les moeurs d'une époque, les non dits pour une question d'honneur, les secrets de famille et les différents traitements selon que l'on appartient à une classe noble ou basse. Le roman est essentiellement centré sur les femmes, de la domestique dont la place est fragile au sein d'un milieu où les hommes ont tous les droits, à l'aristocrate, soucieuse d'élever ses enfants dans les règles mais
aussi de masquer la réalité par des convenances.
Les jugements envers la gent féminine sont souvent implacables, comme le soulignent les paroles de Reggie : "Les femmes doivent savoir pratiquer un art: ça leur donne une occupation plus tard , quand elles sont grandes. Sinon, que feras-tu de ton temps ?". Le comportement volage des hommes de la haute société ne saurait d'ailleurs être critiqué alors même qu'il serait impensable qu'une femme se donne , elle, à un autre homme. En même temps ce sont ces mêmes femmes qui apparaissent comme les piliers de la bonne société, maintenant les apparences envers et contre tout.
Tout cela, mené tambour battant par une auteur qui mêle à merveille données historiques et enquête policière autour d"une tasse de thé, vous promet un bon moment de lecture.
Incroyable roman, L'Abandon du mâle en milieu hostile nous entraine dans un tourbillon d'émotions. Ca vous prend au ventre, inévitablement. Récit d'une petite vie tranquille ? Peut-être, mais toujours pointe cette sensation angoissante de la chute. Que s'est-il passé? La phrase lancinante de cet anti-héros qu'est le narrateur, "Il faudra bien que j'en parle", laisse présager le pire. Et sincèrement, on pense à tout sauf à ce qui va nous être révélé.
C'est une déclaration, un sublime hommage à la femme aimée mais aussi un cri , retentissant, douloureux, libérateur ...Le
temps d'un récit, l'illusion du bonheur ? La plume est enlevée, à la fois simple et érudite ( Que c'est bon de lire des mots moins usités au détour d'une phrase pourtant fluide et compréhensible de tous ! Petit coup de gueule du matin contre l'écriture facile...). Les pages se tournent, on veut savoir mais on profite aussi de chaque instant vécu auprès d'elle, de cet amour intense et exclusif qu'il lui voue. On passe de l'agacement envers un homme qui n'ose pas, se laisse porter, influencer par des idées faciles, à la joie d'un chemin qui s'annonce rayonnant. La fin nous obligerait presque à relire le roman, à la recherche d'indices qu'un lecteur attentif n'aura pas râté.
La politique, la musique, les idéaux, prennent une grande place dans le roman et l'on se retrouvera sans doute dans ces souvenirs : l'engagement au lycée, les soirées si différentes d'un groupe à l'autre, les tracts distribués pour une cause ou une autre, les groupes que l'on écoutait dans les années 80, l'élection de Mittérand, les ados mal dans leur peau, les T-Shirt provocateurs... Quelles étaient alors nos valeurs ? Qu'en avons-nous fait ? Quels sont ceux qui, parmi nous, les ont faites grandir, en ont fait une passion ?
Tout est rédigé pour susciter l'émotion du lecteur et l'on adhère à la volonté du narrateur de ne pas aller trop vite. Tout est fluide, tantôt poétique, tantôt plus sec. Et l'on finit la boule au ventre.
Le récit nous fait aussi entendre sa voix à elle. Elle lui répond par moments, mais où est-elle ? Tout cela est finement amené car l'on se demande sans cesse si elle est auprès de lui et réagit à cette autobiographie qu il est en train d'écrire. Elle intervient pour modérer, rappeler, l'assister dans son entreprise : se raconter, les raconter tous deux. mais au final, après être entrés dans leur intimité, la même question : qui était -elle vraiment ? "Il faudra bien que j'en parle".
Ce roman est un véritable coup de coeur, je vous le recommande.
Le roman est construit en deux parties. Je ne vous livre que la première puisqu'un basculement des plus surprenants nous fait entrer dans une seconde partie tout à fait sidérante. Je ne dévoilerai donc pas l'élément perturbateur mais plutôt l'ambiance créée par l'auteur.
La force du roman vient de l'écriture et de cette capacité de l'auteur à nous faire entrer dans le décor. Sous nos yeux un paysage extraordinaire, immense, sauvage, vivifiant et en même temps un isolement que l'on ressent dès les premières pages. La mise en scène joue sur tous les moyens d'enfermement : la
radio qui ne fonctionne pas, l'avion de ravitaillement que l'on attend mais qui ne vient pas, la cabane qui de refuge devient un cercueil. Les deux personnages présentent un décalage qui laisse présager le pire. En effet, alors que le père devrait être un modèle et un soutien pour son fils, c'est ce dernier qui joue à plusieurs reprises le rôle de protecteur. L'épisode marquant de la première partie du roman dévoile au lecteur les failles de Jim : alors que père et fils cheminent dans le froid, Jim saute d'une falaise. Roy pressent immédiatement qu'il ne s'agit pas d'un accident mais que son père a bel et bien sauté. S'ensuit une longue description, haletante, au cours de laquelle il ramène son père dans leur cabane et attend, souhaitant par moment que ce père défaillant meure, qu'il soit enfin libéré de ce poids et puisse rentrer. En perte de repère Jim voudrait effacer le passé, retrouver son fils. Mais l'angoisse, la dépression le rattrapent. A chaque page l'on se dit que tout va bien se passer, qu'un changement va se produire et que cet épisode sera finalement une belle aventure humaine.
Pourtant c'est dans les tréfonds de l'âme humaine que nous conduit la seconde partie. L'on comprend alors à quel point la vie est fragile, combien les mots et les actes comptent, que l'on ait 13 ans ou 40 ans. Je dois dire que le personnage de Jim est extrêmement agaçant, mou. sans doute parce que l'on s'attahce davantage à Roy et que l'on comprend le désarroi qui l'envahit peu à peu.
Je pense que ce roman ne peut laisser indifférent. En revanche je ne suis pas certaine qu'il plaise à tout le monde, tant la violence sourde qui le sous-tend nous renvoie à notre propre fragilité. La première partie se lit avec un certain plaisir cependant, entre aventure dans le Grand Nord et drame familial. La seconde en revanche est plus troublante...un seul mot : Waouh ! C'est un choc, sans aucun doute.
L'on peut peut-être mieux comprendre ce qui a amené l'auteur à ce roman en lisant cette interview, pour moi très parlante, découverte sur le blog In Cold Blog.
Un peu comme un Pollock, ce roman dérange mais captive ...
Entre féérie et Histoire, entre mythe et réalité, ce roman nous transporte au coeur du Moyen âge tout en mélangeant légendes et faits historiques qui ont fait des XII°S et XIII°S des siècles lumineux et des plus sombres en même temps. L'auteur reconnait avoir voulu ces anachronismes afin de rapprocher dans le temps des événements liés et les ramener à une vie d'homme ou plutôt de femme.
La femme est en effet au coeur du roman. Pas seulement Léola dont le destin incroyable lui ouvre les portes de la connaissance et de la liberté. Mais toutes les femmes que cette période a
vu s'élever : Aliénor d'Aquitaine, Héloise , les Parfaites et bien d'autres, réunies par un désir intense de changement, de renouveau dans ce monde de noirceur mené par les hommes.
Car le Moyen âge est une période sombre et le roman retranscrit à merveille la servilité des vilains, les batailles sans fin pour un lopin de terre, la violence quotidienne, l'insalubrité. L'Eglise participe de cette noirceur et le point fort de ce récit est de, justement, souligner sa montée en puissance, jusqu'à l'Inquisition, infâme processus d'extermination qui a eu les conséquences que l'on connait. .On retrouvera l'ambiance, dans certains passages, des Piliers de la Terre de Ken Follett et la plume de Rosa Montero retranscrit bien la violence qui régnait tout en nuançant d'une douceur propre à l'identité double du personnage principal. Pour ma part je dois dire que ce récit m'a transportée en des lieux connus du Sud ouest de la France, Montségur, Toulouse, Albi ... pour y retrouver une Histoire que je connais bien pour l'avoir entendu, en français et en occitan maintes fois.
Néanmoins, au milieu de ce tumulte,de croisades en guerres, apparait la féérie, véhiculée par Nynève, personnage mystérieux dont on ne sait si elle est une fée ou une folle. Porteuse de légendes, elle est en lien avec la Terre et représente les croyances liées à la forêt, à la nature. Tout au long du récit elle transporte avec elle le fil conducteur du roman: la magie d'Avalon en quoi elle croit et à quoi elle aspire. Le lecteur oscille donc entre une explication réaliste et la volonté de croire à ce récit merveilleux que le personnage ne quitte pas ..
Les personnages sont d'ailleurs parfaitement décrits et possèdent une personnalité propre, toujours étrange, comme si aucun d'eux ne savait réellement qui il est, comme si chacun d'eux était un mystère à lui seul. A tel point que, bien que ce récit soit long, il prend des allures de conte merveilleux. La fin, pourtant trouble et violente, nous est livrée comme douce et apaisante et la clé est, encore une fois dans les paroles de Nynève, persuadée que la brèche ouverte par les cathares fera son chemin, que leur amour se répandra et qu'il en sera encore question des siècles plus tard.
C'est d'une correspondance qu'il s'agit ,dont Guernesey n'est que l'un des points d'ancrage. La première lettre est envoyée de Londres et donne le ton: " Cher Sidney, Susan Scott est une perle. Nous avons vendu plus de quarante exemplaires du livre, ce qui est plutôt réjouissant, mais le plus merveilleux, de mon point de vue, a été la partie ravitaillement. Susan nous a déniché des tickets de rationnement pour du sucre et de vrais oeufs afin de nous confectionner des meringues. si tous ses déjeuners littéraires atteignent ces sommets, je suis partante pour une tournée dans tout le pays"
. Ce courrier, signé Juliet , propose un style enlevé qui convient bien au roman par lettres. Cette journaliste trentenaire a opté pour la dérision en temps de guerre et a obtenu un certain succès auprès de son lectorat. Mais au moment de se lancer à nouveau dans l'écriture, Juliet est assaillie par le doute "Je ne veux plus être considérée comme une journaliste humoriste" écrit-elle à son éditeur. Lui parvient alors, en date du 12 janvier 1946, une lettre en provenance de Guernesey qui va changer le cours de sa propre histoire. Son auteur, Adams Dawsey, y évoque un mystérieux et non moins alléchant "Cercle littéraire des amateurs d'épluchures de patates" qui la conduira sur cette île anglo-saxonne. D'une lettre à l'autre Juliet découvre le quotidien ,difficile et pourtant sympathique, de bibliophiles coupés du monde que la guerre a mis à l'écart ." Nous n'avons eu aucune nouvelle du monde extérieur pendant cinq ans (...) Votre livre est à la fois informatif, distrayant et amusant" écrit Amelia à Juliet.
Le cadre est intéressant car peu commun. Lorsqu'on évoque la seconde guerre mondiale on s'attarde rarement sur un petite partie du monde telle Guernesey. Loin, donc ,des sentiers re-battus sur le sujet, les auteurs ont opté pour un fond réaliste qui est tout aussi attractif que la correspondance en elle -même. pourquoi ces habitants ont-ils été coupés du monde ? Comment ont-ils survécu ? Je dois dire que cette lecture m'a donnée envie d'en savoir plus ! Peut-être pour vérifier aussi que tout cela était vrai (quelle idée ! C'est une fiction et on n'en attend pas de réalisme historique !). J'ai donc appris que les îles anglo-normandes avaient effectivement été les seuls territoires britanniques occupés par l'Allemagne en cette période. J'ai découvert aussi une anecdote concernant une opération britannique du nom d'Opération Ambassador, destinée à effrayer l'ennemi allemand, qui fut un échec mais que l'on présenta alors comme un succès afin de rassurer le peuple britannique !
Charmant, désuet, enlevé sont les qualificatifs qui me viennent à l'esprit. Certes la fin est attendue et ne saurait surprendre mais ce qui reste, finalement, c'est le petit goût acidulé de ce roman, son charme britannique et le plaisir d'avoir rencontré une héroine émancipée dont la verve nous ravit.
Amour et café
" Celle qui est ici, dans la salle de bain de la chambre 314, en train de percer un préservatif, c'est Bica ( 1,49m; boisson préférée : le galao"
Bica, femme de chambre dans le Petit Hôtel du Cocher, vient de perdre sa mère, Maria Teves "(1,64m;boisson préférée : le bica, un expresso portugais, très fort, à réveiller les morts)", qui occupait le poste de gouvernante dans ce même hôtel. Folle amoureuse d'un certain Galao avec qui elle a passé quelques minutes de pur bonheur dans la chambre Tante- Gitta , elle n'a de cesse de se raccrocher à ce qu'elle croit être une belle histoire d'amour. Pourtant Gilbert Kinderman, son galao au parfum de café corsé, est marié et volage. Tous autour d'elle la mettent en garde contre ce coureur de jupons pour qui elle n'est qu'une conquête facile de plus. D'ailleurs, n'a-t-il pas eu une aventure avec Madame, la propriétaire de l'hôtel ? Alors que l'établissement est en émoi suite aux menaces de Mme Kinderman, journaliste qui entend dévoiler une sombre affaire de prostitution dans l'hôtel, Bica découvre avec émotion que sa mère ... n'est pas morte ! Un seul objectif désormais : cacher sa mère aux yeux de tous en la maintenant dans sa chambre, faire éclater au grand jour son amour pour Galao et autoriser sa mère de rejoindre le royaume des cieux en permettant à une autre vie d'arriver (d'où les préservatifs percés ! ). Mais ce serait oublier la petite famille qui compose le personnel de l'hôtel : Madame, son fils Morten, M Klaus et le Docteur, que des liens fort unissent autour de la défunte Maria et de son inimitable café.
Voici un roman original, par son contenu comme par sa forme. Sur un air de fado, Paul Mesa nous convie à suivre Bica ( qui doit son nom à un petit café que les portugais affectionnent) dans sa quête sentimentale.
On dit que les portugais affectionnent leur café au point qu'ils lui donnent de petits noms affectueux : bica, galao... L'instant de la dégustation est un moment d'exception, de partage que nous livre ce roman de Paul Mesa qui n'a de cesse de présenter ses personnages comme un bon arabica ou au contraire comme un café édulcoré, selon la personnalité de chacun. Seul le café de Maria recueille tous les suffrages, au point que M Klaus, cuisiner de l'hôtel, "1,86 m; boisson préférée : l'othello, un expresso sur un chocolat chaud", s'évertue à en reconstituer la recette (qui entre nous soit dit nous est offerte à la fin du livre... mais chuuut !). On lira donc le roman comme un bon café, en prenant son temps, en goûtant l'humour de Paul Mesa, la convivialité de la cuisine de M Klaus à l'heure du café en compagnie du Docteur, la jovialité d'une Maria revenue d'entre les morts et les péripéties de Bica.