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Vous aimez les histoires qui pincent ? Celles qui pincent l’estomac puis le cœur ? Celles qui donnent l’impression de frôler l’auteur, comme si les pages renfermaient un peu de sa chair, « Qu’importe le chemin » est de ce type-là.
Martine est divorcée. Elle a deux enfants ; Alex, huit ans et Lola, deux ans et demi. Un matin, Alex fait une crise d’épilepsie, la première d’une longue série. Une crise violente et déroutante. La terre s’effondre selon les mots de Martine Magnin. L’enfance et son insouciance s’envole du petit garçon et plus rien ne sera pareil, jamais,
car Alex est incurable.
Commence alors la ronde infernale et incessante des soins. Alex est résistant aux traitements. Il ne peut plus vivre comme un enfant normal et il le vit très mal.
Martine Magnin choisit soigneusement ses mots pour décrire le début de cette descente infernale, comme si elle cherchait à préserver le lecteur de ce qui va suivre, mais cela ne fonctionne pas. On pressent le drame. Les scénarios se bousculent dans notre tête et notre estomac se crispe instinctivement.
A l’adolescence, Alex bascule. Il refuse toute médication et convole vers d’autres produits. La porte de l’enfer s’ouvre, et ces parents aimants y entrent contre leur gré. Martine et Paul son ex-mari vont relever Alex sans faillir, durant des années. Le défit ? Empêcher leur fils d’atteindre le point de non retour, ce point d’où les toxicomanes ne reviennent pas vivants.
« Qu’importe le chemin » n’est pas un texte sombre et c’est là son intérêt majeur. L’auteur pose des touches d’optimisme dans chaque ligne et les phrases semblent patinées tellement elles sont belles.
Toutes les mères auraient eu le droit d’être submergée. Toutes ! Mais pas Martine.
Elle se découvre psychologue dans l’âme et fine analyste, puis l’amour qu’elle porte à ses enfants est indestructible, alors elle fait face.
L’agressivité, les demandes d’argent répétées, les promesses non tenues ; elle fait face. Les cures avortées, les mensonges, les disparitions d’Alex, des jours, des mois ; elle fait face.
Et la vie doit suivre son cours. Lola à élever, la boutique atelier à développer, cette boutique que Martine a créée avec Coline et Eve, ses deux amies précieuses. Le travail comme moteur de survie, le travail indispensable à l’épanouissement.
« Qu’importe le chemin » est un récit mais on devine la romancière en sommeil. Ce texte est généreux, juste et profond. Aucune mièvrerie. Pas de griefs, pas de jugement, pas regrets, pas de lamentation.
Chapeau madame ! J’ai admiré votre force et votre amour inépuisable.
Annick FERRANT
Le plaisir d’écrire. Le plaisir d’écrire, on en parle souvent mais on le voit rarement.
Dans Gazoline Tango, la joie fait tressauter les mots. On sent que Franck Balandier a passé un excellent moment à écrire son roman. L’humour survole les pages, la personnalité de l’auteur se dégage entre les lignes et en prime, l’âme du poète est nichée dans chaque phrase. J’en prends une au hasard :
Le ciel d’Afrique porte en lui la beauté absolue de feux jamais éteints -
Benjamin est un enfant non désiré. Sa mère est musicienne, batteuse dans un groupe de hard rock. Un
groupe composé uniquement de filles. À la fin des concerts, la chanteuse interprète « Gazoline Tango » leur morceau fétiche et elle offre sa petite culotte au public.
Durant les neuf mois qu’il est resté à l’abri au creux de sa mère, Benjamin a développé une intolérance anormale ; le bruit l’indispose. Venu au monde, le bruit l’empêche de respirer. Il devient tout bleu, il frôle la syncope. Benjamin ne peut pas évoluer normalement dans la vie, l’intolérance est trop forte. Il lui faudra des années pour apprivoiser sa propre respiration. Il porte un casque et les bruits lui parviennent étouffés. Le temps est un allié précieux, petit à petit Benjamin s’accoutume aux bruits du quotidien mais toujours avec un casque.
Rester longtemps sans respirer, ça devient vite une habitude. Benjamin en abuse, surtout sous l’eau. Il aime s’asseoir en lotus, dans le lit d’une rivière ou au fond d’une piscine. Il coupe sa respiration et se remplit de l’ivresse des profondeurs. Il n’y a qu’au fond de l’eau qu’il se sent réellement bien.
Franck Balandier a enrobé tous ses personnages d’une touche singulière. Chaque rôle est essentiel. Isidore, le père Germain, Lucienne, Yolande. Ils remplacent la maman démissionnaire. Ils apportent à Benjamin, la tendresse mais aussi l’éducation car Il ne peut pas aller à l’école. Tout ce petit monde habite « la cité des peintres ». Des tours en fin de vie, des tours occupées par cette horde douce et sauvage, cette horde qui aime son quartier défavorisé.
Gazoline Tango, c’est comme une bobine qui se déroule. L’écriture de Franck Balandier est moelleuse et profonde. Sourire, douceur, intensité, arrêt sur phrase. C’est particulièrement agréable à lire. Puis, c’est bourré d’émotion et l’auteur diffuse des messages en continu. Des messages pleins de finesse. On rit, on fume des bananes et on écoute Jean Sébastien Bach.
L’auteur dit : « C’est un roman sur le silence et le bruit »
L’auteur dit : « Laissez-vous faire »
C’est exactement ça, l’histoire nous prend par la main et il faut se laisser faire. Lire Gazoline Tango, c’est tenir 400 grammes de plaisir entre ses mains.
Annick FERRANT
RECOMMANDE PAR LE RESEAU CULTURE CHRONIQUE
MONARQUES de Philippe RAHMY
Monarques est une fresque prégnante. Monarques nous embarque. On part de Suisse, on passe par Paris, puis on bifurque vers Tel Aviv et Le Caire.
Je reçois à chaque fois les belles phrases de Philippe Rahmy de plein fouet, j’ai la sensation que son écriture me fonce dessus et je garde longtemps l’histoire en moi. Je me souviens de l’étoffe d’Allégra comme si j’avais lu le roman hier.
Monarques est tissé de fils en sommeil. Ils se sont enfilés au décès du père de l’auteur et ils ont brodé une trame pendant trente ans. Philippe Rahmy a assemblé les pièces durant sa résidence d’auteur au château de Lavigny en Suisse.
Monarques, c’est plusieurs histoires imbriquées les unes dans les autres. J’en ai dénombré cinq, mais j’ai peut-être mal lu. Tout ça n’a aucune importance, il n’y a qu’une seule histoire en réalité, elles s’empilent toutes dans le même carton. L’auteur nous invite dans sa famille et en même temps, il lie son destin à celui d’Herschel Grynszpan. Mes lacunes sont immenses, je n’ai jamais entendu parler d’Herschel Grynszpan, Philippe Rahmy va m’initier.
Herschel est un jeune juif qui a commis un attentat en 1938, à Paris, contre Ernst Vom Rath, le secrétaire de l’Ambassade d’Allemagne.
Philippe Rahmy porte l’histoire d’Herschel en lui, comme un coup de tampon qu’il se doit de laver dans l’écriture.
L’auteur a suivi la piste d’Herschel, il a remonté la trace du jeune juif. Il nous relate son parcours tout en se racontant lui : Philippe Rahmy, né dans une ferme suisse ; la Moraine.
En 1913, Ali, riche exploitant agricole égyptien, vient en Suisse pour acheter des vaches. Il fait affaire avec les grands parents maternels de Philippe Rhamy. Ali rentre en Egypte avec les vaches mais aussi avec Yvonne, la fille des fermiers suisses. Yvonne est enceinte. Elle met au monde Adly, le père de Philippe. Vous imaginez sans peine les heurts et les divergences qui ont bouleversé cette famille. L’auteur nous les confie, et on s’enfonce profondément dans le récit de cette tribu hors norme.
La quête d’Herschel et de lui-même conduit Philippe Rahmy en Egypte et en Israël.
Il y a un motif qui pousse l’auteur à calquer son destin sur celui d’Herschel mais pour le comprendre, il faut avancer dans la lecture.
Puis l’histoire, la grande, rattrape le lecteur. Elle lui murmure à l’oreille qu’il y a toujours eu des mouvements libéralismes immédiatement suivis d’autres plus sectaires. Monarques est plein de symboles ; l'avènement de Trump au moment où l’auteur rassemble les pans de son récit, puis les monarques sont ces papillons qui se déplacent en nuées de millions d’individus. Ils partent d'Afrique du Nord, traversent la Méditerranée par le détroit de Gibraltar ou via l’Italie pour échouer en Europe. L’auteur nous rappelle que l’idée d’un mouvement migratoire continu est inscrit dans nos gènes, un mouvement qu’il est vain, stupide et prétentieux de vouloir stopper. Monarques est haut en couleur, en odeurs et en émotion. C’est un récit dense, riche et attachant.
Voilà, c’était les dernières griffes de la plume de Philippe Rahmy. Des griffes à l’image de l’auteur, profondes et sans venin.
Il nous manquera.
Annick FERRANT