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Le projet islamo-nationaliste et autocratique du Président Erdogan est devenu incompatible avec l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne. Certains, dont le président français, appellent à sortir de l'hypocrisie. L'heure de vérité aurait-elle donc sonné ? Bras de fer avec l'armée, irrédentisme kurde, fantôme arménien, lutte pour le contrôle de l'Etat, guerre en Syrie, complaisances avec Daech : les histoires singulières qu'Ariane Bonzon nous rapporte depuis deux décennies dessinent les contours du basculement turc.
Il y a bien sûr le rôle crucial joué par le très populiste numéro 1 turc. Mais au fil des pages, apparaissent d'autres personnalités encore peu connues, devenues célèbres : Hrant Dink, journaliste arménien, assassiné ; Selahattin Demirtas, l'opposant kurde ; le très laïque général Kemal Yavuz ; Fethullah Gülen, l'ex-allié islamique ; Ahmet Altan, l'écrivain-journaliste... L'auteure souligne également l'impact que la dérive autoritaire de Recep Tayyip Erdogan pourrait avoir dans notre pays par ses relais au sein de l'islam de France, ainsi que par l'écho que rencontre sa parole dans nos cités, auprès de certains Franco-maghrébins.
Un essai transformé !
« Turquie l’heure de vérité » c’est d’abord un livre de rencontres. Des hommes et des femmes de la société civile, des politiques, des magistrats, des militaires, des militants, des paysans… l’éventail est large. Et comme Ariane Bonzon est une journaliste – même si sa plume pourrait aisément la mener à la littérature – les entretiens qu’elle a menés au cours de ses vingt années de correspondante en Turquie pour Arte, la Télévision suisse romande ou encore Slate.fr sont documentés et les allégations des protagonistes passés au crible de la vérification.
Elle a amassé au fil du temps une documentation impressionnante, ses notes, ses reportages sur cet État moderne que l’on doit à Mustafa Kemal Pacha, plus connu sous le nom d’Atatürk, fondé sur les ruines d’un Empire ottoman dont les États européens de l’époque pensaient pouvoir se partager la dépouille.
Cet essai, qui se lit comme un roman, éclaire la réalité d’un pays certes divisé, certes en crise économique, mais loin de la caricature. L’entrée, ou pas, de la Turquie en Europe ; la question kurde ; le génocide arménien ; le rôle du mouvement Gülen ; l’irrésistible ascension et la dérive autoritaire de Recep Tayyip Erdoğan ; les services secrets et les assassinats politiques ; les coups d’État (militaires ou civils) ; mais aussi la formidable énergie dont font preuve les jeunes quand ils s’opposent à la « bétonisation » du parc Gezi ; l’humour que déploient les « geeks » turcs pour populariser le mouvement. On rencontre un jeune avocat kurde qui deviendra l’opposant aujourd’hui bien connu : Selahattin Demirtaş ; l’écrivain et journaliste Ahmet Altan dont la Cour constitutionnelle vient tout juste de confirmer la peine de prison à perpétuité ; Hrant Dink assassiné devant les locaux de son journal « Agos »… Il y a tout cela dans cet essai magistral. Et bien plus encore puisque Ariane Bonzon s’est attachée à retrouver les hommes et les femmes rencontrés au cours de ces années, chaque chapitre se terminant par « Que sont-ils devenus ? »
Les contours et le basculement d’un pays sous la plume alerte d’une excellente journaliste.