Picasso, né à Málaga en 1881, aurait eu cent ans cette année. Le XXe siècle est plein des défis, des ruptures et des fanfares de cet extraordinaire Protée, le génie le plus singulier, et le plus fécond des artistes, d'un temps qui restera dans l'histoire de l'art comme l'un des plus bouillonnants et des plus riches. Jamais un peintre n'avait connu une gloire aussi considérable, dont il se préoccupait d'ailleurs assez peu, jamais un créateur n'a suscité autant de polémiques. Admiré par les uns, contesté ou haï par les autres, Picasso n'a laissé personne indifférent. Quoi qu'il fasse il dérangeait, et jusqu'à la fin de sa vie il n'a pas cessé de causer du scandale, de faire peur ; aujourd'hui encore il est synonyme pour beaucoup d'imposture ou de mystification. Espagnol jusqu'à la moelle, célèbre dès les périodes bleue et rose de sa jeunesse mi-catalane, mi-parisienne, Les Demoiselles d Avignon sont, en 1907, son premier coup de force. Le cubisme, qu'il crée avec Braque, lui ouvre les portes des métamorphoses, et jamais, tour à tour ou simultanément classique, surréaliste, baroque, il ne cessera de faire de sa vie et de son œuvre un spectacle qu'il assortira d'amours multiples ou d'engagements politiques fracassants. Jusqu'aux ultimes face à face avec les chefs-d'œuvre - Delacroix, Manet, Greco, Vélasquez - et aux finales dissonants et superbes de la vieillesse solitaire, sans doute douloureusement supportée. Rebelle à la tradition comme à l'avant-garde, mais fidèle à l'image en tant que projection physique et mentale de l'individu et du monde, n'ayant guère eu, contrairement à Matisse, d'influence sur les jeunes peintres, et demeuré sans postérité artistique, Picasso a imposé à son siècle le droit de tout oser. Le créateur est un être libre qui ne connaît ni limites ni freins. On ne copie jamais la nature, on ne l'imite pas davantage, on laisse des objets imaginés revêtir des apparences réelles, disait Picasso. Il ne s'agit pas de partir de la peinture pour arriver à la nature, c'est de la nature à la peinture qu'il faut aller. Il y a des peintres qui transforment le soleil en une tache jaune, mais il y en a d'autres qui, grâce à leur art et à leur intelligence, transforment une tache jaune en soleil.