« Rien ne saurait étonner un américain », avertit l’auteur en préambule, citant Jules Verne. Mais alors quid d’un pauvre petit français comme moi ? Serai-je surpris, époustouflé, abasourdi ou alors indifférent, blasé? Une chose est certaine, avec Moon Palace, on tient un livre typiquement américain. Un livre, ou plutôt des livres tant les mises en abyme sont nombreuses dans ce récit.
Le narrateur porte un regard lointain et amusé sur ses mémoires, nous ouvrant les tiroirs de sa vie, de son destin. Il est des destins qui sont tout tracés, alors, quand on s’appelle Marco
Stanley Fogg, l’héritage se fait terriblement pesant. L’aventure résonne dans votre tête, vous invitant incessamment au voyage. Pourtant, Auster ne nous emmènera pas faire un, mais trois voyages. Sans bouger, Fogg vivra de nombreux cheminements, de multiples vies. Personnage hors norme, ce jeune étudiant nous entrainera aux fins fonds de son être, dans une introspection viscérale, aux confins de l’altération, entre folie et imaginaire, seul, affamé , au bout de ses idées, alors que la mort lui tend ses bras, c’est finalement la vie qui sortira victorieuse de cette lutte entre l’homme et la nature, contre la solitude et l’indifférence, entre la folie et la raison. Comme beaucoup d’entre nous, Fogg crée son néant, s’obligeant à y vivre, on finit alors par s’enfouir dans notre solitude, s’en remettant au hasard, à la fatalité, à l’inexorabilité de la vie. Si Fogg en ressort grandit, ce n’est pas toujours le cas pour tous ces Fogg qui parfois se perdent dans les dédales de Central Park, dans les méandres de leur âme, de leur vie, dans ces profondeurs abyssales, ces interrogations.
Moon Palace c’est aussi le livre des contraires, des conflits, des jeux de miroir et des mises en abyme, des quêtes identitaires ou initiatiques. C’est une opposition permanente entre lumière naturelle (la Lune), lumière artificielle (Edison/ Tesla). Le roman débute et se clôt avec l’astre lunaire, le cycle de la lune qui revient inlassablement, de façon identique, tandis que la vie et l’histoire bougent, changent constamment. Un livre remplit de pistes et d'interrogations, de hasards, de coïncidences. C’est la vie de trois reclus, Fogg, prisonnier de sa pauvreté, abandonné dans Central Park, dans sa vacuité, Effing, le vieillard, immobile dans sa chaise, prisonnier dans ses souvenirs, ses identités, ses meurtres et de Barber, séquestré par son corps difforme, et par un amour de jeunesse. Trois solitudes, trois itinéraires qui se répètent à des périodes différentes. Trois récits labyrinthiques entre rêve et réalité, trois quêtes où hasard, nihilisme et anéantissement tissent leur toile et se défont au fil du temps.
On est soumis à des sentiments contraires, on se prend à détester à tour de rôle, Effing, l’impotent despote au passé tumultueux, Barber, le libidineux nonchalant et apathique, Fogg l’étudiant insouciant et irréfléchi, pour finalement éprouver de l’empathie pour ces hommes brisés par le destin, la déréliction. On ne peut que se reconnaitre dans un Effing, un Barber, ou un Fogg, dans ces protagonistes éperdus, isolés mais généreux, à la recherche de leur but, de leur vie.
On ne peut réfuter le parallèle avec une autre œuvre de Paul Auster, L’Invention de la solitude. Alors, austère le Paul ? Au final un livre magistral, à la lecture duquel plus rien ne saurait nous étonner. Alors si comme moi, vous vous sentez une âme de Fogg, naufragé solitaire de la vie, en constante interrogation, laissez-vous tenter par le talent incroyable de conteur de l’auteur. Embarquez dans ces paysages ensorcelants, ces déserts mortifères, dans ce New-York extravagant et intrigant, mystérieux et captivant, capable de vous porter aux nues un jour et de vous lapidez dans la foulée.
Pour Paul Auster écrire est une question de survie, d’obsession. Obsession et survie, deux thèmes qui se retrouvent justement dans Moon Palace. Un véritable coup de ventricule gauche et d’oreillette droite à relire encore et encore…
Mythique
Un classique majeur du XXème siècle et comment... Marco Stanley Fogg emménage à New-York, où son oncle lui lègue une valise pleine de livres. Une existence modeste entre les cours et la lecture débute pour notre étudiant sans le sou, allant d'aventures en aventures. Mythique